Dans un autre article, nous avons évoqué comment les nouvelles pratiques en matière de soudage et industrie 4.0 pouvaient aider les industriels à attirer de nouveaux talents.
Nous avons cette fois demandé l’avis éclairé de Jean-Marc Scolari, gérant de Fronius France, concernant la formation des soudeurs.
Jean-Marc Scolari est le gérant de Fronius France.
Il représente également le groupe soudage au sein de l’organisation EVOLIS et il est présent au conseil d’administration de l’Institut de soudure.
Le groupe Fronius est spécialisé dans l’élaboration de nouvelles solutions destinées au contrôle et à la gestion de l’énergie, pour les chargeurs de batteries industrielles, les techniques de soudage et les onduleurs photovoltaïques.
Techniques de l’ingénieur : La pénurie de soudeurs est-elle un frein à la réindustrialisation de la France ?
Jean-Marc Scolari : La pénurie de soudeurs n’est pas nouvelle et cela fait plusieurs années que l’on recherche entre 5 000 et 7 000 soudeurs et chaudronniers en France.
Avec Evolis et l’Institut de soudure, nous sollicitons ainsi les politiques sur la pénurie de soudeurs dans un contexte de réindustrialisation et de montée en puissance du nucléaire.
Nous leur disons : Vous vous projetez sur la construction de 6 nouveaux EPR, très bien, mais comment allons-nous faire, sachant qu’actuellement à Flamanville nous avons des soudeurs américains et qu’il faut des années pour former un soudeur habilité ?
Or, les certifications nécessaires pour travailler dans le nucléaire coûtent cher, entre 3 500 € et 5 000 €. Si, jusqu’à présent, ces formations étaient souvent financées par le compte CPF des soudeurs, les pouvoirs publics ont récemment décidé de changer les règles, c’est-à-dire en imposant que les jurys soient paritaires (50 % interne aux certificateurs, 50 % externe) alors que les examens de soudeurs sont réalisés par un seul inspecteur qualifié qui vérifie la qualité de la soudure.
Avec Evolis et l’Institut de soudure, nous avons fait part de cette aberration aux pouvoirs publics. Les incohérences de ce genre sont malheureusement fréquentes et freinent la réindustrialisation.
Par ailleurs, la guerre en Ukraine a également perturbé le secteur de l’armement. L’entreprise Nexter, le fabricant du célèbre canon César, s’est par exemple engagée à tripler sa production de munitions d’ici à 2025 et, en plus d’être confrontée à des problématiques d’approvisionnement en poudre, elle subit de fortes contraintes en ce qui concerne la main-d’œuvre nécessaire aux opérations de soudage.
La robotique et la cobotique peuvent-elles aider à pallier cette pénurie ?
Quand on parle de réindustrialisation, il faut en effet parler de robotisation et plus généralement d’automatisation des procédés. Chez Fronius, c’est un challenge qui nous tient à cœur et quand nous développons un équipement de production, nous cherchons à obtenir la machine la plus aboutie, donc la plus automatisée possible.
Néanmoins, la France est loin d’être le pays le plus robotisé, un pays comme l’Italie ayant un taux de robotisation par opérateur trois fois supérieur. Nous avons donc une marge de manœuvre importante, mais cela nécessite des investissements.
Or, les industriels français sont souvent frileux quant aux investissements et ont parfois tendance à restreindre leur capacité d’innovation, à cause de budgets trop figés. Cela les pénalise, car ils ne perçoivent pas toujours la plus-value qui leur permettrait d’aller conquérir des marchés plus rétributeurs et d’être plus attractifs lorsqu’ils se positionnent sur des appels d’offres.
Il ne faut cependant pas se leurrer : la robotique et la cobotique ne solutionnent pas tout et certaines applications sont difficilement robotisables, par exemple dans le secteur naval. Si certains de nos partenaires travaillent à l’élaboration de chariots de soudage sur rails, pilotés automatiquement, à l’heure actuelle, la construction d’un bateau c’est beaucoup de soudage manuel, dans des positions pas toujours confortables. Dans les faits, nous aurons donc toujours besoin de soudeurs !
La formation de nouveaux soudeurs est-elle la clé ?
L’indépendance énergétique et l’armement sont des domaines stratégiques, régaliens qui nécessitent de disposer de ressources financières et humaines suffisantes. Il faudra nécessairement former de nouveaux soudeurs, ce qui prendra du temps, mais aussi ouvrir de nombreux centres de formation en soudage, car les centres actuels ne suffiront pas. Or, la formation c’est la clé de la réindustrialisation.
Actuellement, les quelques dizaines d’ingénieurs-soudeurs qui sortent des écoles sont immédiatement captés par les grands donneurs d’ordres tels que EDF, Orano et Framatome.
Pour contourner la pénurie, certaines entreprises sont forcées de recruter des profils non techniques, par exemple des boulangers en reconversion, et de se charger de leur formation en interne !
Car les grands donneurs d’ordres n’attendent pas que les choses changent d’elles-mêmes. En réponse à l’abandon des pouvoirs publics concernant la formation aux métiers techniques, ils ont pris les devants et se sont concertés pour créer leurs propres écoles de formation en soudage. L’école HEFAÏS, créée par EDF, Naval Group, Orano et CMN, accueille ainsi, depuis septembre 2022, des sessions de formation pour les salariés d’entreprise[1]. Mais ils ne sont pas les seuls, puisque les Chantiers de l’Atlantique et Fives Nordon ont pris des initiatives similaires.
Comment attirer les jeunes vers les filières techniques ?
La pénurie de soudeurs et de main-d’œuvre technique vient de très loin. Depuis longtemps, quand un collégien dans le secondaire n’est pas orienté vers l’enseignement général, il le vit souvent comme un échec, car cela lui est présenté comme un échec.
Il y a bien les stages de 3e qui aident à faire découvrir le monde du travail, mais ce n’est pas suffisant, car cela se joue aussi au niveau de la formation des enseignants, qui bien souvent ne connaissent pas l’industrie et ont une vision erronée des ateliers de production.
Il faut promouvoir les métiers techniques, redonner de l’appétence pour l’industrie et montrer que l’industrie ce n’est pas Zola, surtout que les niveaux de rémunération sont en moyenne bien plus importants que dans le service.
Enfin, les industriels sont conscients, au regard des tensions observées sur le marché du travail, qu’ils doivent gagner en attractivité vis-à-vis des jeunes générations et ils sont prêts à faire les efforts nécessaires. Cela passe par l’amélioration de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, des conditions de travail, des salaires, mais aussi par une modernisation des outils de production afin de décarboner la production dans les usines.
Les métiers du soudage vous intéressent et vous envisagez une formation ? Voici quelques liens pour vous aider dans vos recherches.
- La fiche formation de technicien EAPS[2]
- La fiche formation d’ingénieur IWE[3]
- Présentation des deux Écoles supérieures de spécialisations en soudage de l’institut de soudure
[1] L’école sera ouverte aux personnes en recherche d’emploi en 2023
[2] Technicien Supérieur de l’École d’Adaptation aux Professions du Soudage (EAPS)
[3] Ingénieur International en Soudage (IWE)
Cet article se trouve dans le dossier :
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