L’eau est très importante dans l’industrie textile, en particulier pour les ennoblisseurs, dont l’action donne au textile son aspect, sa teinture et ses propriétés.
Pour obtenir les caractéristiques d’un produit textile, il faut le mettre dans de l’eau et la chauffer, en recommençant ces processus plusieurs fois. La problématique de l’ennoblissement est donc à la fois d’ordre hydrique et énergétique.
La problématique de l’usage de l’eau pour l’ennoblissement est quelque chose sur lequel l’Union des Industries Textiles travaille beaucoup depuis longtemps, en particulier parce que l’industrie textile française n’est pas très florissante, et la réduction des coûts via des méthodes économes en eau est à la fois un enjeu de sobriété, mais aussi de compétitivité essentiel.
Sophie Frachon, responsable Développement durable et RSE au sein de l’UIT, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur en quoi la sobriété hydrique est une problématique qui n’est pas nouvelle pour l’industrie textile, et comment le manque criant de contrôles sur les produits textiles importés plombe la filière française.
Comment s’illustre la baisse des ressources en eau au niveau de la filière textile ?
Sophie Franchon : Pour prendre en exemple l’histoire récente, il y a eu en 2023 des épisodes de sécheresse très importants en France avec des arrêtés sécheresse et même des interdictions totales de prélèvements, une situation dans laquelle les usines textiles n’ont d’autres choix que de se mettre totalement à l’arrêt. En même temps, la mise en place du Plan eau a eu un impact au niveau national. Il a été demandé à toutes les filières industrielles de mettre en place un plan de sobriété hydrique.
Au niveau des comités stratégiques de filières ont été mises en place des actions, que ce soit pour la filière mode et luxe, la filière cuir, arts de la table ou textile. La filière textile avait de l’avance sur ces problématiques liées à l’eau, par nécessité : le contexte morose de la filière a depuis longtemps forcé cette dernière à mettre en place des stratégies pour économiser l’eau, à des fins de compétitivité économique.
Nous avons la chance d’avoir un centre technique très actif au niveau de la filière textile, avec lequel nous collaborons beaucoup, et qui fait de la recherche principalement sur l’aspect ennoblissement, qui concentre à lui seul l’immense majorité des consommations d’eau de la filière.
Quelles sont les technologies développées pour économiser l’eau ?
Notre centre technique fait de la recherche – sur des procédés de teintures utilisant peu voire pas d’eau – couplé avec un programme, Révolutions énergétiques, travaillant sur l’aspect énergétique de l’ennoblissement, puisque l’eau utilisée est chauffée, et de nombreux procédés utilisent de la vapeur. De nombreux industriels participent à ces programmes et mettent en place des solutions pour aller vers plus de sobriété énergétique.
Avec le CSF mode et luxe, qui est en retard sur la filière textile sur la problématique de sobriété hydrique, nous avons commencé par quelque chose qui peut paraître anodin : la détection des fuites. C’est le premier pas pour économiser l’eau, et la limitation des fuites permet souvent aux industriels d’améliorer significativement le bilan hydrique de leurs activités.
Ensuite, il y a les financements. De nombreuses aides existent, mais sont très compliquées à obtenir : nous sommes donc là pour les aider à obtenir ces financements, qui peuvent par exemple leur permettre de renouveler leurs machines.
Les réglementations en vigueur aujourd’hui en Europe et sur d’autres continents diffèrent largement en ce qui concerne la production textile. Comment remédier à cela ?
C’est la base de notre combat. Les réglementations française et européenne sont très strictes. La quasi-totalité de nos ennoblisseurs sont soumis aux réglementations ICPE, nous nous battons donc pour qu’il y ait une réciprocité sur cet aspect réglementaire, pour contrer les pratiques qui sont par exemple aujourd’hui autorisées dans les pays lointains. Ces derniers ne sont pas soumis aux mêmes règles que les nôtres, notamment à la réglementation Reach, mais au-delà de ça, les réglementations qui leur sont imposées en tant qu’exportateurs. Quand ces dernières ne sont pas respectées et quand certains industriels utilisent des produits interdits, cela n’est pas sanctionné puisque les contrôles sont quasi inexistants.
Ainsi, au-delà de nos coûts de fabrications qui sont plus chers, la question de la réciprocité est un enjeu essentiel pour la pérennité de la filière.
Ce qui est difficile, parce que le contrôle des produits textiles implique de les tester en laboratoire pour connaître la nature des substances utilisées pour leur fabrication, et donc la mise en place de moyens importants en termes de matériel et logistiques.
Quels projets sont mis en place aujourd’hui pour aller vers une plus grande sobriété énergétique de la filière textile ?
Il y a des projets de recherche menés au niveau international auxquels la France participe, comme le projet DRYE, qui vise le développement de traitements des textiles par voie sèche là où sont encore aujourd’hui utilisés des traitements par voie humide. Ces traitements innovants permettent d’économiser entre 66 et 80 % de consommation d’eau, avec des technologies de chimie totalement différentes de celles en place aujourd’hui. Aussi des technologies à base de mousse se développent, qui permettent d’économiser, pour certaines d’entre elles, jusqu’à 100 % d’eau.
Comment ces projets sont-ils appréhendés par les acteurs de la filière ?
Les donneurs d’ordre sont souvent réticents à l’idée de mettre en œuvre ces technologies innovantes, même quand elles ont prouvé leur efficacité. En effet, ces derniers ont développé des technologies avec lesquelles ils sont familiers, et qui leur donnent des résultats – teinture, aspects, propriétés, résistance aux lavages… – dans lesquels ils ont confiance. Il faut donc que les ennoblisseurs qui développent de nouvelles technologies parviennent à convaincre leurs clients que les technologies qu’ils utilisent ne vont pas avoir d’impact négatif sur la qualité des produits, ce qui n’est pas simple. Cela dit, les industriels avec lesquels nous collaborons jouent le jeu et testent ces nouvelles technologies, cela va dans le bon sens.
Enfin, quels projets mettez-vous en place pour favoriser le développement de l’utilisation des fibres naturelles par les acteurs de la filière ?
Nous avons créé un pôle fibres naturelles, pour la laine, le coton, le lin et le chanvre, avec les créateurs de mode, pour que ces derniers se saisissent de ces matières. Là encore, il faut que les contrôles soient renforcés pour que les textiles produits avec ces matières puissent être compétitifs et de qualité. Aujourd’hui, de nombreuses plateformes web permettent de commander des vêtements en lin importées de pays lointains sans aucun contrôle. Nous avons fait l’expérience en faisant analyser un vêtement vendu comme étant 100 % lin, qui in fine ne contenait que 40 % de lin et 60 % de coton. Qui plus est, les matières comme le lin sont souvent traitées massivement avec des produits chimiques en Chine, chose que nous ne faisons pas en France. Il y a donc une nécessité de renforcer drastiquement les contrôles.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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