Si le plan Ecophyto II prévoit une réduction de moitié des pesticides d'ici 2025, il ne présente aucun objectif explicite de réduction concernant les expositions professionnelles des travailleurs agricoles. Une grave lacune pour l'Anses qui dénonce un manque inquiétant de données et de suivi de ces expositions et dresse un bilan sévère des politiques de prévention.
La réduction de l’usage des pesticides est le plus souvent pensée pour réduire l’impact environnemental et la contamination des produits finaux par des résidus. La question de la santé des travailleurs occupe une place de dernier plan dans les débats. Les 1.000 pages des 7 volets du nouveau rapport de l’Anses y sont enfin consacrés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ses conclusions sont alarmistes.
Selon ce nouvel avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), le personnel agricole est trop exposé aux pesticides.
Par pesticides, le rapport englobe un large spectre de produits : les produits phytosanitaires (insecticides, fongicides, herbicides…), les biocides utilisés pour désinfecter les équipements et bâtiments, et certains médicaments vétérinaires utilisés pour lutter contre les parasites externes.
L’agence relève des données « lacunaires », des formations inadéquates, une trop large place données aux port d’équipements de protection individuelle (EPI) pour assurer la protection des travailleurs et un suivi insuffisant de l’ensemble du personnel.
Un manque flagrant de données
Alors que sur une même exploitation, une large gamme de pesticides est utilisée pour traiter les cultures, les animaux, les bâtiments, le matériel… « peu de connaissances existent sur les caractéristiques et les effets potentiels de ces combinaisons », s’alarme l’Anses. L’agence recommande donc de soutenir des études indépendantes sur le terrain pour explorer les effets potentiels d’expositions à une combinaison de pesticides « à l’échelle de l’individu, au cours d’une saison, et au cours d’une carrière professionnelle ». Elle souhaite aussi caractériser les expositions possibles aux différents postes en fonction des filières, des tâches et du profil du travailleur, avec un effort particulier sur les populations sensibles ou vulnérables, telles que les femmes enceintes.
Les données existantes sont « dispersées, sans aucune centralisation de l’ensemble, aussi bien pour les données de pré-homologation que de post-homologation ». Seuls les produits phytosanitaires sont concernés par des projets de suivi réglementaire « post-homologation », et l’Anses juge le suivi actuel « très insuffisant ». L’Anses préconise donc de créer un dispositif de veille public « centralisant et capitalisant les informations scientifiques, techniques et réglementaires sur les expositions pour tous les pesticides ». Par ailleurs, elle propose de développer une veille collaborative internationale pour mieux documenter les différentes expositions, suivant les pratiques agricoles.
La stratégie Ecophyto remise en cause
Certaines stratégies visant à réduire l’usage des pesticides peuvent s’avérer contre-productives. C’est notamment le cas de quelques pratiques présentées comme agro-écologiques, qui peuvent entraîner en réalité une augmentation des expositions professionnelles : techniques sans labour, élevage de grande dimension, fractionnement des doses, substitution des produits…. L’Anses demande de « revoir la stratégie du plan Ecophyto en mettant en oeuvre dès maintenant sans attendre 2020 une réelle politique d’accompagnement des acteurs à la réduction d’utilisation des pesticides : fondée sur la recherche d’une moindre dépendance des systèmes de culture et de production aux pesticides permise par des stratégies de reconception de ces systèmes ».
Dans le cadre du plan Ecophyto II, le conseil est dans les mains des producteurs de pesticides ou des entreprises dont les bénéfices commerciaux sont directement dépendants de l’usage de pesticides, ce qui « soulève la question des conflits d’intérêt dans lesquels s’inscrivent ces prestations », relève l’Anses. Elle recommande d’évaluer les conséquences de ces situations sur la qualité du conseil délivré et de développer des actions de prévention par des organismes indépendants.
Les formations et la prévention des risques nettement insuffisantes
Selon l’Anses, plus d’un million de personnes travaillent régulièrement en agriculture. Si l’agence note déjà une formation insuffisante concernant l’exposition aux pesticides des salariés, celle-ci est quasi-inexistante pour les « plusieurs centaines de milliers de travailleurs non permanents ainsi que plusieurs dizaines de milliers de stagiaires ». L’agence exhorte les pouvoirs publics à agir pour que l’ensemble des travailleurs potentiellement exposés soient effectivement formés, quel que soit leur statut sur une exploitation.
Sur le terrain, la prévention des risques se limite principalement aux comportements individuels : mesures d’hygiène, port des EPI (combinaison, masque et gants) et type de matériel utilisé. Une ineptie, selon l’Anses, pour qui les EPI devraient être le dernier rempart à favoriser, et non le pilier de la formation et du conseil.
Si « des évolutions technologiques du matériel, des équipements de protection, des conditionnements, des formulations sont régulièrement proposées par les fabricants comme des solutions permettant de diminuer les expositions des utilisateurs […], il n’y a pas d’évaluation systématique de la réelle diminution d’exposition individuelle qu’entraînent ces changements », regrette l’agence sanitaire. Elle prône donc la mise en place d’études de terrain indépendantes pour vérifier ces performances et demande de renforcer le contrôle du matériel de pulvérisation.
Les formations doivent inclure « la notion prioritaire de réduction d’usage avant le port des EPI », rappelle l’agence. Elles doivent aussi aborder la question des contaminations indirectes, notamment lors de la réentrée dans les cultures traitées, suite à une pulvérisation de pesticides, ou la manipulation des animaux traités. Il convient par ailleurs de « privilégier les mesures de prévention et de protection générales et ou collectives plutôt que les mesures individuelles ». Le contrôle des pulvérisateurs peut être l’occasion d’une meilleure information sur la question des expositions aux pesticides grâce à la mise en place d’une formation adéquate des utilisateurs.
Enfin, l’Anses souhaite harmoniser les méthodes d’évaluation des expositions dans la procédure d’autorisation de mise sur le marché des trois types de pesticides. L’agence estime que les données d’exposition utilisées dans les modèles d’exposition sont pour la plupart fournies par les industriels. Elle invite à modifier les procédures pour s’assurer que ces modèles incorporent des données produites par la recherche académique, les données de la statistique publique agricole et les données d’études de terrain.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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