Selon une rumeur qui circule massivement sur les réseaux sociaux, la pollution particulaire qui frappe la région île de France proviendrait des centrales à charbon allemandes. Cette affirmation est-elle fondée ?
L’Île de France fortement polluée ? Certains pro-nucléaires et/ou xénophobes en ont profité pour semer des messages de désinformation sur les réseaux sociaux. Comme par exemple ici, de la part du journaliste Gilles Dauxerres. Selon eux l’Allemagne aurait augmenté sa production électrique à base de charbon (ce qui est faux, lire sur Techniques de l’Ingénieur l’article : En Allemagne la régression du nucléaire s’accompagne de celle du charbon) et en conséquence l’air de Paris est devenu dangereux pour la santé.
Selon AirParif, en Ile de France, seulement 2% des particules proviennent des centrales électriques thermiques. La France produit en effet une partie de son électricité à partir des centrales au charbon (5119 MW selon RTE) et de fioul (8883 MW). 1,5% de la production électrique française en 2014 était à base de charbon, et 0,8% à base de fioul. Cette carte EDF permet de localiser les sites concernés. En région parisienne se trouvent la centrale au charbon de Vitry-Sur-Seine (500 MW) et la centrale thermique au fioul de Porcheville (2400 MW) juste à côté de Mantes-la-Jolie. Le centrale à charbon du Havre (1450 MW) n’est guère éloignée.
Toujours selon Airparif 37% de la pollution particulaire (PM2,5) en Ile de France provient du résidentiel et tertiaire (chauffage, y compris au bois, moyen de chauffage encouragé par Ségolène Royal), 27% du trafic routier (véhicules diesel), 24% de l’industrie manufacturière et 7% des activités agricoles (dont les épandages d’engrais). Le trafic aéroportuaire pèse de son côté 2% et les transports ferroviaires et fluviaux 1%. Pour les PM10 les ordres de grandeur sont globalement équivalents. A noter qu’au niveau du boulevard périphérique de Paris, la part du trafic routier monte à 47% au lieu de 27% en moyenne en Ile de France.
Selon la direction de déplacement des masses d’air, des particules peuvent provenir des régions voisines : la Basse-Normandie, la Picardie, la Champagne-Ardennes, la Bourgogne et la région Centre. Et aussi de régions plus éloignées, voir même de pays voisins : Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni, Irlande, Allemagne, Suisse.
Ajoutons que du fait des vents d’ouest dominants, la France (pays de la zone tempérée du littoral Atlantique) envoie plus souvent ses particules vers ses voisins de l’est que l’inverse. La pollution française est poussée vers l’Allemagne. C’est d’ailleurs pour cette raison que les Allemands et les Suisses sont inquiets de l’état de la centrale nucléaire de Fessenheim: en cas de catastrophe nucléaire suite à des actes terroristes ou un événement climatique exceptionnel ils pourraient être affectés par la pollution radioactive.
En Grande-Bretagne le tiers de l’électricité provient de la combustion du charbon. Paris est plus proche de Londres (330 km), de Bruxelles (260 km), du Luxembourg (280 km) et d’Amsterdam (440 km) que de Berlin (863 km), Francfort (450 km), Stuttgart (480 km), Munich (700 km) ou Hambourg (760 km). Or plus on s’éloigne d’un foyer d’émission de particules, plus leur concentration baisse.
A noter qu’une bonne partie des particules produites par les pays voisins proviennent elles aussi du trafic routier, de l’industrie manufacturière et du résidentiel et tertiaire. La production électrique à base de charbon, qui recule en Allemagne grâce à la montée des énergies renouvelables, n’est qu’une composante parmi de nombreuses autres.
Une pollution printanière multi-source
Selon le CNRS (communiqué du 21 mars 2014) voici les « différentes fractions de particules fines observées du 7 au 15 mars dernier, sur la zone 5 du supersite SIRTA au CEA Saclay :
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PM2,5 nitrate d’ammonium : 51 % – le nitrate d’ammonium est un composé « secondaire », formé dans l’atmosphère à partir d’ammoniac et d’oxyde d’azote, sous l’action de la photochimie. L’ammoniac est principalement émis par les activités agricoles. Il représente 97% des émissions nationales annuelles d’ammoniac en 2011. Les oxydes d’azote (NOx) sont principalement émis par les transports, et dans une moindre mesure l’industrie manufacturière et l’agriculture. Ils concernent respectivement 56%, 14% et 10% des émissions nationales de NOx en 2011.
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PM2,5 primaires combustion de biomasse : 15 % – particules fines émises directement dans l’atmosphère par la combustion de biomasse (chauffage au bois et brûlage de déchets verts).
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PM2,5 primaires fuel fossile : 11 % – particules fines émises directement dans l’atmosphère par la combustion de dérivés du pétrole (dont les transports).
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PM2,5 organiques secondaires : 12 % – particules fines composées de matière organique, générées dans l’atmosphère à partir de précurseurs gazeux comme les composés organiques volatils (COV). En période hivernale (comme c’est le cas actuellement), ces COV sont émis principalement par les activités humaines.
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PM2,5 sulfate d’ammonium : 11 % – le sulfate d’ammonium est également un composé « secondaire », formé dans l’atmosphère à partir d’ammoniac et de dioxyde de soufre. Le dioxyde de soufre est émis en France par l’industrie manufacturière et la transformation d’énergie. »
Il n’y a donc vraiment aucune raison de focaliser exclusivement sur les centrales électriques allemandes (ce qui n’enlève rien au problème sanitaire que constituent les centrales à charbon pour les riverains des centrales en Allemagne). L’Allemagne, qui produit dès à présent 27% de son électricité à partie des énergies renouvelables, va dépasser les 40% dès 2020 et à comme objectif 80% à horizon 2050.
Ce climat germanophobe qui pollue le débat énergétique et environnemental est vraiment détestable. Balayer devant sa porte avant d’accuser les partenaires européens de la France est le premier pas vers l’éco-responsabilité.
Le site Atlantico.fr a osé publier le 22 mars 2015 l’article « Pollution sur Paris : la vache, les autos sont hors de cause ! » (signé du journaliste Hugues Sarraf) au contenu gravement fallacieux et vraiment irresponsable compte-tenu des implications sanitaires: le fait que les sources soient multiples ne peut en aucun cas conduire à la conclusion que chacune de ces sources soit hors de cause. Quand 10 violeurs agressent collectivement une Femme, le fait qu’ils soient 10 n’enlève rien à la responsabilité individuelle de chacun d’entre eux.
Mais les biais dans le sens inverse existent aussi. Dans un article publié sur LeMonde.fr, signé Audrey Garric, le titre du camembert qui l’illustre, en grands caractères gras, est erroné: « 51% du trafic en Ile de France provient du trafic routier ». Le bon chiffre est 27%, comme l’indique clairement le communiqué de presse Airparif qui sert de référence à l’article du Monde. Le 51% (47% en réalité car il y a une seconde erreur dans ce camembert) correspond à la contribution des PM2,5 au niveau du boulevard périphérique.Le sous-titre « PM2,5 mesurées près du trafic routier », intégré en petit caractères et en italique au camembert, est en contradiction avec le titre qui porte sur toute l’Ile De France.
« L’idéologie c’est ce qui pense à votre place » soulignait l’intellectuel Jean-François Revel.
Par Olivier Daniélo
Merci pour cette mise au point des aprioris sur l’Allemagne assez intéressante… elle reste pourtant imprégnée ci et là de boniment écologique sans grande valeur objective, qui dévalorise finalement les faits démontrés plus rigoureusement. Un autre ingénieur (M. Jancovici), s’est donné le mal de démontrer que la production allemande fossile ne baisse pas en Allemagne malgré 22% de développement industriel renouvelable – il s’agit d’un leurre provenant de la dissimulation statistique du mécanisme d’exportation d’énergie en période de surproduction (par grand vent!): http://www.manicore.com/documentation/transition_allemagne.html
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