Alors que le débat public « Nouveaux réacteurs nucléaires et projet Penly » organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) s’ouvre ce 27 octobre, un autre débat organisé par le gouvernement a commencé il y a quelques jours...
Ce jeudi 27 octobre s’ouvre le débat public « Nouveaux réacteurs nucléaires et projet Penly ». Jusqu’au 27 février 2023, les Français pourront se prononcer sur la relance du nucléaire avec la construction de 6 nouveaux réacteurs EPR2 prévus d’ici 2035 dont les deux premiers devraient se situer à Penly. Organisé et piloté par la seule Commission nationale du débat public (CNDP), ce débat public doit poser la question de la relance du nucléaire en France. Mais une autre concertation, lancée le 20 octobre et organisée par le gouvernement, est passée un peu inaperçue. Portant sur l’avenir du mix énergétique français, elle se tient en parallèle de ce débat public. Cette concertation est encadrée par 4 garants de la CNDP, notamment pour contrôler le respect de la transparence de la démarche.
Quel scénario de mix énergétique choisir ?
Trois thèmes sont portés à la concertation du gouvernement : Comment adapter notre consommation pour atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 ? Comment satisfaire nos besoins en électricité, et plus largement en énergie, tout en assurant la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles ? Comment planifier, mettre en œuvre et financer notre transition énergétique ? Jusqu’au 31 décembre 2022, tout le monde peut partager son avis sur la plate-forme participative concertation-energie.gouv.fr. La plate-forme propose aussi de s’informer sur le contexte énergétique français et les différents scénarios élaborés par RTE et l’Ademe.
Le gouvernement rappelle dans un communiqué sa stratégie alliant « mesures de sobriété et d’efficacité énergétiques » et l’objectif de « décarboner totalement notre mix énergétique grâce aux énergies renouvelables et au nucléaire ». Cela suppose « de véritables choix de société sur notre façon de consommer et de produire, de se déplacer, de se loger ». D’ici fin décembre, un « Tour de France » devrait réunir dans chaque région le grand public, l’ensemble des parties prenantes locales, des étudiants, ainsi que des membres du Gouvernement. Mi-janvier 2023, un « Forum des jeunesses » sera organisé avec 200 jeunes, de 18 à 35 ans, tirés au sort pour donner leur avis sur l’avenir énergétique du pays.
Les anti-nucléaires montent encore au créneau
Alors que le débat public organisé par la CNDP doit interroger la pertinence du nouveau programme de construction de réacteurs, la concertation du gouvernement demande de choisir « trois priorités » s’agissant de la production d’électricité d’origine nucléaire en France. « Aucun [choix] ne propose explicitement de ne pas construire de nouveaux réacteurs ou de prévoir l’arrêt des réacteurs existants », dénonce le Réseau « Sortir du nucléaire », collectif d’associations anti-nucléaires. Le collectif dénonce en ce sens une « information biaisée », des « choix verrouillés », « un pur exercice de communication » et « un nouveau passage en force avant le débat public ».
105 députés issus de cinq groupes politiques ont de leur côté saisi mardi 25 octobre la CNDP pour réclamer la tenue d’un débat sur « la place du nucléaire dans le mix énergétique de demain ». Pour Marie Pochon, députée EELV de la Drôme, à l’origine de la saisine, avec Julien Bayou, la concertation gouvernementale sur l’énergie lancée le 20 octobre « n’offre pas les garanties de neutralité et d’indépendance suffisantes ».
Nourrir le débat parlementaire
Dans un entretien à l’AFP, Chantal Jouanno, présidente de la CNDP assure au contraire que « la décision n’est pas prise » et insiste sur l’importance du débat public et la concertation en cours. Elle explique : « Certains nous disent ‘le gouvernement a tout décidé puisqu’il l’a déjà annoncé’. En fait, rien n’est décidé. Et on sait que le Parlement aujourd’hui a de plus en plus d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif, compte tenu de sa composition. Le jeu est ouvert, et les conclusions peuvent être un appui pour les parlementaires. »
Les conclusions de cette concertation viendront en effet nourrir le débat parlementaire autour de la première loi de programmation sur l’énergie et le climat qui sera adoptée en 2023. Plus largement, elles participeront à définir les nouvelles stratégies climatiques et énergétiques nationales. « La mobilisation va aussi dépendre […] de la manière dont les politiques vont retransmettre l’existence de ces débats », conclut Chantal Jouanno.
Chantal Jouanno n’est d’ailleurs pas contestée pour manque de neutralité que par EELV. Bernard Accoyer, ainsi que le rapporte Le Point du 19 octobre, lui avait écrit « La teneur générale de vos déclarations reflète en filigrane un parti pris implicite de fond antinucléaire, qui est contraire à la neutralité que vous revendiquez par ailleurs. » Pas assez antinucléaire pour les uns, trop antinucléaire pour les autres.
Ceci dit on peut instruire sur la base des faits. Dans le cadre du débat sont présentés les différents scénarios de RTE qui prévoient une sortie plus ou moins progressive pour les uns et la mise en place de nouveau nucléaire pour les autres (visant à amener en 2050 25% de nucléaire pour le N1, 36% de nucléaire pour le N2 et 50% de nucléaire pour le N3), les scénarios de l’ADEME et le scénario « 100 % renouvelable » de l’association antinucléaire Négawatt.
Aucun de ces scénarios ne remet donc en cause les limites fixées dans la loi de transition énergétique (LTECV : 63,2 GW de limite en puissance et 50 % de limite en énergie produite pour le nucléaire) et les prescriptions de la programmation pluriannuelle de l’énergie : arrêter 14 réacteurs nucléaires (dont les deux de Fessenheim) avant 2035 à l’échéance de leur cinquième visite décennale (avec, en plus deux voire quatre réacteurs arrêtés par anticipation si possible avant 2028).
Aucun de ces scénarios ne remet en cause non plus les fondements de consommation électrique intérieure avec une prévision moyenne de 700 TWh pour RTE (750 TWh pour le scénario N3) alors même que les académies des sciences et des technologies ont alerté que ces estimations leur semblaient beaucoup trop basses et qu’il était préférable de viser une fourchette de 850 à 900 TWh sans compter des objectifs de redevenir exportateurs structurels d’électricité décarbonée pour nos voisins (comme nous l’étions avant de fermer 11 GW de capacité pilotable ces dix dernières années, dont les 1,8 GW de Fessenheim).
Ainsi donc peut-on s’étonner que ni le scénario NEGATEP du collectif Sauvons le Climat, ni le scénario N4 conçu par Cérémé en se basant sur les estimations des académies et en faisant sauter le verrou des 50 %, ni le scénario plus récent Terrawater de l’association Les voix du nucléaire ne seront présentés dans les débats.
Qu’est-ce qu’un débat qui ne met pas toutes les options sur la table ?
Le gouvernement pourrait faire la « langue de bois » en se retranchant derrière la loi existante si les seuls rapports présentés étaient ceux des organismes publics (RTE, ADEME).
Mais en l’espèce il peut paraître cavalier de se retrancher derrière l’existence de la loi puisque l’objet des activités parlementaires à venir est justement de faire évoluer la législation , et puis surtout, dès lors qu’il est présenté aux participants aux débats des scénarios en provenance d’ONG antinucléaires (Négawatt) il est pour le moins curieux que les scénarios d’ONG qui ne le sont pas soient eux écartés.
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