Des chercheurs de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) ont conçu un nouveau type de générateur de nombres aléatoires, pour des communications sécurisées et d’autres applications, qui est cryptographiquement sûr et dont le caractère aléatoire est certifié par les lois de la physique quantique. Explications.
Des chercheurs de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) ont conçu un nouveau type de générateur de nombres aléatoires, pour des communications sécurisées et d’autres applications, qui est cryptographiquement sûr et dont le caractère aléatoire est certifié par les lois de la physique quantique. Bien que les événements qui nous entourent puissent sembler fortuits et inopinés, aucun d’entre eux n’est réellement aléatoire au sens où on ne pourrait pas les prédire même avec suffisamment d’information. Le vrai hasard, en effet, est presque impossible à trouver. Cette situation est une source constante de préoccupation pour les cryptographes qui doivent utiliser de longues suites de nombres aléatoires comme « clefs » pour coder et décoder des données et messages sensibles.En pratique, ils font appel à divers algorithmes mathématiques appelés » générateurs de nombres pseudo-aléatoires » pour tenter de s’approcher de l’idéal. Mais ils ne peuvent jamais avoir la certitude que le système est invulnérable à des adversaires ou qu’une suite en apparence aléatoire ne soit pas, en fait, prévisible d’une manière ou d’une autre.
Une méthode certifiée par les principes de la physique quantique
Stefano Pironio et Serge Massar de l’ULB, Laboratoire d’Informatique quantique-Faculté des Sciences, en collaboration avec une équipe de chercheurs européens et américains, viennent cependant de démontrer une méthode qui permet de produire une suite de nombres dont le caractère aléatoire peut être certifié par les principes de la physique quantique (leurs résultats dans dont parus dans la revue Nature du 15 avril). » Au sens strict, l’aléatoire véritable n’existe pas en physique classique, explique Stefano Pironio. C’est-¬à-dire, le résultat de tout processus basé sur la physique classique peut au bout du compte être déterminé si suffisamment d’information sur les conditions initiales est disponible. Seuls les processus quantiques sont véritablement aléatoires. Et encore, il faut pouvoir s’assurer que le système est réellement quantique et débarrassé de tout bruit » pseudo-aléatoire » classique. « En physique quantique, la théorie de la matière et de l’énergie aux échelles les plus petites, les propriétés d’un objet (comme la position d’un électron ou la polarisation d’un photon) peuvent être fondamentalement indéterminées. Bien que la probabilité qu’propriété particulière prenne une valeur ou une autre puisse être calculée à l’avance, cette propriété ne prend une valeur bien définie qu’au moment où elle est mesurée – et cette valeur est intrinsèquement aléatoire. En théorie, on pourrait donc obtenir une suite de nombres aléatoires en faisant une séquence de mesures quantiques indépendantes les unes des autres. » Mais comment pouvez-vous être certain que ce dispositif produise vraiment des nombres aléatoires ?, demande Serge Massar. L’appareil pourrait connaître une défaillance inattendue et non-détectée. Les nombres qu’il produit pourraient continuer à vous sembler aléatoires, mais à cause de la défaillance, être en fait complètement prévisibles par un adversaire ingénieux. Ou pire encore, au lieu d’un générateur quantique authentique, quelqu’un aurait pu vous vendre un dispositif avec une mémoire remplie de nombres générés à l’avance. La sortie d’un tel appareil serait probablement considéré comme aléatoire au regard de tous les tests existants. Mais quelqu’un possèderait malgré tout une copie de tous les nombres « .
L’idée de départ : une invention de John Bell, en 1964
Les chercheurs de l’ULB cependant ont conçu une procédure qui garantit la présence de mesures quantiques réellement aléatoires, générées seulement – et exclusivement – à un endroit et un temps donnés. Leur proposition repose sur une invention faite par le physicien John Bell en 1964 pour tester une des hypothèses centrales de la physique quantique : le fait que deux objets puissent se trouver dans une condition étrange appelée « intrication », dans laquelle leurs états sont tellement interdépendants que si une mesure est faite pour déterminer une propriété d’un objet (mesure qui donnera bien sûr une valeur aléatoire), alors la propriété correspondante de l’autre objet est instantanément déterminée , même si les deux objets sont séparés par une distance si grande qu’aucune information ne peut se propager entre eux après qu’une mesure ait été faite sur le premier objet.De nombreux physiciens, y compris Albert Einstein, trouvèrent cette notion inacceptable, argumentant plutôt qu’un tel processus doit faire intervenir des variables cachées qui donnent aux objets des propriétés bien déterminées avant la mesure. Faute de quoi, une mesure purement locale sur l’objet 1 devrait avoir un effet instantané, non-local, sur l’objet 2. Un phénomène qu’Einstein rejetait comme « une action fantomatique à distance ».
Vers un tout nouveau type de générateur de nombres aléatoires
Pendant 30 ans, la question resta ouverte sans possibilité convaincante de la tester expérimentalement. Puis, Bell proposa une méthode révolutionnaire impliquant d’évaluer les corrélations entre des mesures faites sur deux objets lorsque les appareils de mesures sont tournés suivant plusieurs orientations différentes. Bell montra mathématiquement que si les objets ne sont pas intriqués, leurs corrélations doivent nécessairement être inférieures à une certaine valeur, exprimée comme une « inégalité ». S’ils sont intriqués, par contre, le taux de corrélations peut être plus élevé, « violant » donc l’inégalité. Au cours des dernières décennies, différents types de test de Bell ont confirmé la violation de ces inégalités, et donc le caractère non-local de la physique quantique. » Le point important est que la violation d’une inégalité de Bell est possible uniquement si on mesure des systèmes véritablement quantiques « , explique Stefano Pironio. » Par conséquent, si nous observons une violation d’une inégalité de Bell entre deux systèmes isolés, nous pouvons être sûrs que notre appareil a produit de l’aléatoire authentique et ceci indépendamment de toute imperfection expérimentale ou détail technique. Mais pour transformer cette intuition de départ en quelque chose de concret, nous devions quantifier la quantité d’aléatoire réellement produite et déterminer si cet aléatoire est sûr dans un contexte cryptographique. » C’est le problème théorique que Stefano Pironio et Serge Massar ont abordé avec leurs collègues. Ils ont établi un lien quantitatif entre la violation des inégalités de Bell et la quantité d’aléatoire produite dans une expérience, ouvrant ainsi la voie à un tout nouveau type de générateur de nombres aléatoires à la fiabilité et à la sécurité sans précédent.
Pour la première fois, l’aléatoire véritable a été produit dans une expérience
L’article dans la revue Nature rapporte une démonstration expérimentale de cette idée, réalisée à l’Université de Maryland. Cette expérience est la première à violer une inégalité de Bell avec des systèmes séparés par une distance significative sans manquer aucune détection, une condition nécessaire pour appliquer ces résultats théoriques. Les expérimentateurs ont placé deux atomes uniques, chacun dans une enceinte complètement isolée et séparée de l’autre par 1 m. Ils ont ensuite intriqués ces atomes en utilisant une méthode désormais familière basée sur des photons uniques voyageant entre les atomes. Chaque fois qu’ils obtenaient un état intriqué, les chercheurs tournaient chaque atome sur leur axe et prenaient une mesure de la lumière émise par ceux-ci. Les valeurs recueillies étaient ensuite utilisées pour générer un nombre binaire.Les chercheurs ont effectué plus de 3000 intrications consécutives au cours d’un mois environ, ce qui leur a permis de confirmer la violation d’une inégalité de Bell et de générer à travers le processus une suite de 42 nombres binaires aléatoires et secrets avec une confiance de 99 %. En conséquence de quoi, ils écrivent dans Nature « nous pouvons, pour la première fois, certifier que de l’aléatoire véritable a été produit dans une expérience sans aucun modèle détaillé du dispositif ». Autrement dit, la conclusion ne repose que sur le fait d’avoir réussi à intriquer et mesurer des objets quantiques, mais aucunement sur la manière particulière dont l’intrication a été obtenue. » Le taux de génération de bits aléatoires est extrêmement faible « , commente Chris Monroe, qui dirigea l’équipe expérimentale. » Mais nous nous attendons à des améliorations de plusieurs ordres de grandeur dans les prochaines années au fur et à mesure que nous intriquons plus efficacement des atomes, peut-être en utilisant des systèmes quantiques implantés dans des puces à semi-conducteurs . Dans le futur, conclut-il, de tels systèmes pourraient être déployés pour un type plus sûr de cryptage des données. »
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