Hy24, qui est le fruit d’une co-entreprise entre Ardian[1], un des leaders mondiaux de l’investissement privé, et l’expert industriel FiveT Hydrogen[2], gère aujourd’hui le plus grand fonds mondial dédié au développement des infrastructures dont la filière a besoin pour se structurer. En investissant, en France et à l’international, sur des projets et technologies d’envergure ayant un impact durable pour l’industrie et la société, l’entreprise veut participer au déploiement de l’hydrogène, un vecteur incontournable de la transition énergétique, s’alignant ainsi sur l’ambition de la France et sa stratégie nationale hydrogène révisée, bientôt entérinée.
Pierre-Germain Marlier, Directeur de l’investissement de l’équipe d’Hy24 dédiée aux infrastructures, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur la stratégie d’investissement mise en place par Hy24 pour sourcer et investir dans des projets hydrogène à grande échelle.
Quelle est l’ambition d’Hy24 ?
Pierre-Germain Marlier : Hy24 est un gestionnaire de fonds qui déploie aujourd’hui un fonds dédié aux infrastructures hydrogène qui s’élève à 2 milliards d’euros, et qui lève actuellement un second fonds dédié aux équipements et technologies hydrogène. Le fonds infrastructure investit dans des entreprises et des projets de production d’hydrogène et ses dérivés (carburants durables, ammoniaque), au transport, à la distribution d’hydrogène, jusqu’au applications finales comme la production d’acier vert et la mobilité lourde (investissement dans les réseaux de stations hydrogène ou des flottes captives par exemple).
Le fonds équipements va soutenir la structuration des entreprises qui devront produire à l’échelle les technologies dont nous avons besoin pour mener à bien les projets d’infrastructures.
Le fonds dédié aux infrastructures, qui fait partie de mon périmètre, a pour ambition de soutenir les projets qui font sens pour Hy24, pour nos investisseurs (LPs), pour la transition énergétique, et pour les clients. Notre objectif est d’accompagner ces projets industriels pour une durée de sept à dix ans au minimum, et ils ont pour vocation de continuer leur exploitation pendant plusieurs dizaines d’années après notre sortie. Notre intérêt est donc que ces projets génèrent de la valeur sur le long-terme, même après notre sortie. C’est pour cette raison que nous ciblons les actifs qui auront une valeur stratégique et une compétitivité accrue, même dans dix ans.
Comment peut se matérialiser cette valeur stratégique que vous évoquez ?
Cette notion de valeur stratégique peut prendre plusieurs formes : les entreprises et les projets disposent d’un accès préférentiel à une ressource renouvelable, au réseau de distribution électrique, à des réseaux de distribution comme des pipelines pour approvisionner les clients, mais aussi la proximité avec les clients, les ports, mais aussi la solidité et l’expérience des équipes dirigeantes… Ce sont tous ces facteurs qui vont guider nos décisions d’investissements, en plus des critères financiers, bien sûr, et des critères de réduction des émissions de CO2 puisque nos fonds sont alignés avec la taxonomie européenne, et catégorisés Art 9 de la réglementation SFDR.
Comment positionnez-vous votre activité par rapport aux stratégies nationales élaborées autour de l’hydrogène ?
D’un côté, nous ne pouvons pas attendre que les stratégies soient totalement publiées et exécutées pour agir. Mais de l’autre côté, il est difficile pour nous de nous positionner sur des actifs tant qu’il n’y a pas une certaine stabilité, au niveau stratégique et réglementaire, et au niveau des impulsions données par les gouvernements.
Prenons par exemple la comptabilité pour les énergies renouvelables. Nous avons attendu pendant des années que l’Europe publie de manière claire les règles sur la manière de s’approvisionner en électricité renouvelable pour que l’hydrogène que l’on produit soit en accord avec la réglementation européenne.
Nous avons anticipé, et avons commencé à travailler sur certains projets, avec tout de même une certaine incertitude sur ce périmètre règlementaire.
Nous avons d’ailleurs, chez Hy24, des équipes qui se consacrent à la veille règlementaire pour l’implémenter dans les projets et être en mesure d’agir et d’investir en prenant en compte l’agenda réglementaire.
Après, comme dans tous les projets relatifs à l’industrie lourde, nous sommes obligés de travailler en avance de phase, car il faut souvent plusieurs années entre l’idée de départ et la réalisation effective de ces projets.
Quelle est la spécificité de la stratégie française sur l’hydrogène ?
La stratégie française sur l’hydrogène tient sa spécificité dans le rôle qui est aujourd’hui donné au nucléaire. L’enjeu est aujourd’hui de savoir si le nucléaire va devenir contingent pour le développement de la filière hydrogène. Aujourd’hui, il apparaît clairement que le nucléaire a et va avoir un rôle clé dans le mix énergétique français. La question qui va se poser est celle de la compétitivité, notamment par rapport à nos voisins européens.
Nous voyons que le gouvernement pousse pour faire du nucléaire un vecteur énergétique de production d’hydrogène décarboné. En tant qu’investisseur, nous prenons en compte les différentes options de production d’hydrogène décarboné ou bas carbone, sans pour autant ignorer les coûts inhérents à la solution choisie, et les délais d’implémentation. Le nucléaire en France n’est pas une stratégie, c’est une des solutions du mix, un potentiel de décarbonation immense, mais nous ne pourrons pas compter uniquement sur cette solution. La stratégie de la France ne peut donc pas seulement se résumer à une relance du nucléaire mais doit prévoir d’accélérer le déploiement des renouvelables et considérer d’importer une part de son énergie, depuis des pays où les énergies vertes sont les plus compétitives (Europe du Nord, du Sud, pays du pourtour méditerranéen).
Ce n’est pas une découverte : il y a des pays où l’éolien et le solaire sont plus compétitifs qu’en France, et l’hydrogène permet de transporter ces énergies vertes au travers des océans, notamment pour les besoins de l’Europe. Avoir la possibilité d’importer (et les infrastructures associées) me paraît sain, même quand on a des ambitions domestiques importantes. Cela peut aussi permettre à la France, au-delà de sa demande domestique, d’aller chercher de la croissance, en se positionnant à la fois comme producteur mais aussi comme porte d’entrée des renouvelables importés vers le reste de l’Europe. In fine, le but est d’avoir le choix, un mix d’options que l’on pourra faire évoluer selon les différentes conditions de marché et pour les besoins de la transition énergétique.
L’hydrogène blanc peut-il devenir une solution pour les pays, comme la France, qui disposent de réserves dans leur sous-sol ?
Nous regardons tout ce qui se passe autour de l’hydrogène blanc avec la même approche que pour le reste, c’est-à-dire en gardant un maximum d’options ouvertes. Nous ne tirons pas de conclusions hâtives sur les coûts de l’hydrogène blanc versus l’hydrogène produit avec de l’électricité issue du nucléaire et des renouvelables. Il faut donc regarder, étudier, essayer de comprendre quels sont les volumes concernés. Est-ce une ressource fossile mais décarbonée, renouvelable avec le temps ? Nous sommes en train d’étudier ces questions, sans verdict définitif pour le moment.
Une des interrogations concerne notamment le degré de pureté de l’hydrogène qui peut être extrait du sol et in fine, du coût associé à l’extraction et à la purification de l’hydrogène blanc.
L’impact environnemental et l’acceptabilité sociale de l’activité extractive est également un enjeu important qui doit être adressé.
Le contexte international actuel est-il selon vous propice au développement d’une filière industrielle de l’hydrogène décarboné ?
La période actuelle me paraît très importante, c’est aujourd’hui que nous devons être en mesure de démontrer que l’on peut utiliser l’hydrogène à grande échelle dans différents segments de marché et secteurs clés comme l’acier ou le raffinage par exemple. Avec le conflit en Ukraine, l’Europe et la France ont réalisé que notre dépendance au gaz russe met à mal notre souveraineté. Sans intégrer les enjeux environnementaux dans notre stratégie de remplacement du gaz russe, le risque est de créer une nouvelle dépendance, au GNL par exemple, que nous allons importer en plus amples quantités du Moyen-Orient ou des Etats-Unis, et de ralentir notre transition aux énergies renouvelables, notamment sous forme d’hydrogène. C’est en ce sens que la période actuelle est déterminante pour faire de l’hydrogène un vecteur d’énergie compétitive, qui rebat les cartes du jeu géopolitique mondial.
Sur l’aspect infrastructures, pourriez-vous nous donner un exemple d’investissement réalisé par Hy24 ?
Nous avons récemment investi dans une entreprise qui s’appelle H2 Green Steel, qui développe en Suède une aciérie verte de taille industrielle, qui sera opérationnelle fin 2026. Elle produira plus de 5 millions de tonnes d’acier « vert » par an. Ce dernier sera à 90% décarboné par rapport à celui qui est aujourd’hui produit par des hauts fourneaux à base de charbon.
Ce nouveau site « intégré » de production d’acier fonctionnera entièrement avec de l’hydrogène vert que H2 Green Steel peut produire grâce aux ressources abondantes disponibles en Suède. Le pays est doté d’une électricité peu chère et l’hydroélectricité permet de pallier l’intermittence des énergies renouvelables telles que le solaire et l’éolien. Ce sont ces deux facteurs qui permettent de mettre en place des usines de ce type, à cet endroit, en considérant également que la Suède possède sur son sol de nombreuses mines de fer.
Aussi, la demande en acier vert, venant notamment des acteurs industriels européens de l’automobile, est de plus en plus soutenue. Pour remplir leurs objectifs de production de véhicules Net Zéro (scope 3), les constructeurs doivent se fournir en acier vert. C’est la combinaison de tous ces facteurs qui a permis de financer ce projet d’usine, pour plus de 5 milliards d’euros.
Image du une : Pierre-Germain Marlier, HY 24. Copyright Geraldine Aresteanu
[1] Ardian
[2] FiveT Hydrogen
Cet article se trouve dans le dossier :
Hydrogène : quels ajustements pour la stratégie française ?
- L’hydrogène, père noël de l’industrie tricolore ?
- L'hydrogène, un des piliers de la transition énergétique française et européenne
- « Il faut offrir un coût d’accès à l’électricité favorable pour les producteurs d’hydrogène »
- « La période actuelle est très importante pour l’hydrogène »
- Hydrogène, une stratégie encore en évolution
- Feu vert pour l’exploration d’hydrogène blanc en France
- Le PIIEC hydrogène, carrefour des ambitions écologiques européennes
- Le déploiement des technologies hydrogène au regard des objectifs France 2030
Dans l'actualité
- « Il faut offrir un coût d’accès à l’électricité favorable pour les producteurs d’hydrogène »
- L’hydrogène, un des piliers de la transition énergétique française et européenne
- De nouvelles fonctionnalités ajoutées à un composite recyclable pour stocker l’hydrogène
- Le GNL, une ressource énergétique incontournable sur l’échiquier mondial
- Hydrogène bas carbone : une demande surestimée en Europe ?
- Accélérer l’adoption de l’hydrogène à l’aide de la simulation Ansys
- Hydrogène renouvelable en Europe : des objectifs « irréalistes »
- Des micro-ondes pour produire de l’hydrogène ?
- Mobilité hydrogène : La France, un marché qui démarre