Depuis l’arrivée sur le marché spatial d’un acteur peu commun, la société américaine SpaceX dirigée par Elon Musk, les règles du jeu semblent avoir changé. Les prix sont cassés, « low-cost » peut-on lire parfois. Un lancement américain revient à 45 millions d’euros contre 130 pour Ariane 5. Il faut dire que la conception d’Ariane 5 remonte aux années 90 et comporte aujourd’hui quelques faiblesses dont la principale est son coût de lancement comme on le disait plus haut, très onéreux lorsqu’il est impossible d’envoyer deux satellites en même temps. À l’heure actuelle, la fusée lourde bénéficie d’une estime mondiale gagnée au fil du temps grâce à sa fiabilité, mais il n’est pas impensable que ses concurrents grignotent petit à petit des parts de marché jusqu’à obtenir le leadership dans ce domaine.
Pour cette raison, les Européens ont choisi de ne pas faire une version évoluée d’Ariane 5 mais de créer un nouveau lanceur économiquement compétitif et d’utilisation plus souple. Deux déclinaisons verront le jour (A62 et A64) afin de répondre aux différents besoins des clients. Si l’architecture des deux fusées sera plus ou moins identique – elle comportera trois étages et une coiffe sur une hauteur de 70 mètres – il y aura tout de même quelques variables. Par exemple, A62 ne pèsera que 500 tonnes et disposera de 2 boosters contre 800 tonnes et 4 boosters pour A64. L’ESA envisage de réaliser 12 lancements par an, dont 5 institutionnels.
Cela devrait permettre de rester dans la course à la conquête spatiale, et faire en sorte que l’Europe continue d’être un acteur majeur. Ce qui, selon Karim Michel Sabbagh, directeur exécutif de SES, l’opérateur de satellites de communication n’aurait pu être le cas sans cette décision : « l’Europe aurait eu un retard compétitif qu’elle n’aurait jamais pu rattraper ». Car ce n’est pas les récents exploits de la sonde Rosetta et du robot Philae déposé sur la comète Churyumov-Gerasimenko ou le redressage d’un des satellites du projet Galileo qui auraient suffi à donner le change.
Et les factures dans tout ça ? Une enveloppe de huit milliards d’euros sera consacrée à la construction des fusées spatiales ainsi qu’un centre de lancement en Guyane, plus quelques modifications d’Ariane 5. Les dépenses s’étaleront sur dix ans, ce qui signifie que chaque année, 800 millions d’euros serviront ce projet financé à moitié par la France et à moitié par les autres participants que sont l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse.
Le développement d’Ariane 6 a été confié à la division Aibus Defense and Space ainsi qu’à son motoriste, le bien nommé Safran. Les deux industriels ont décidé de fonder une co-entreprise dédiée à la construction de la fusée modulaire : Airbus Safran Launchers, annoncée en juin 2014. Dès 2016, pas moins de 8 500 employés, répartis dans diverses usines en France et en Allemagne entre autres, entameront ce travail. Ils auront fort à faire puisque la date prévisionnelle de rendu des deux déclinaisons d’Ariane 6 est calculée pour 2020.
La nouvelle entité espère grâce à cette mise en commun créer une synergie et diminuer les coûts de production en réduisant le nombre d’interfaces commerciales. Mais plus important encore, cette alliance leur offre une marge de manoeuvre très aérée, une liberté d’action quasi totale, notamment pour le choix de tel ou tel matériau. Ce qui peut se révéler inquiétant pour certains puisque le Centre national d’études spatiales (CNES) ne pourrait plus exercer son droit de surveillance financière et technique qui lui permet de comprendre et mieux maîtriser les dépenses de l’argent public.
Par Sébastien Tribot
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