Dans la perspective du débat sur l’énergie organisé par le gouvernement et qui commence le mardi 20 novembre 2012, l’Agence vient de publier une note intitulée « Contribution de l’ADEME à l’élaboration de visions énergétiques 2030-2050 ».
Elle propose « des scénarios énergétiques et climatiques volontaristes axés sur la maîtrise de la consommation énergétique et le développement de l’offre d’énergies renouvelables ». Différentes « filières de croissance verte » sont mobilisées pour y parvenir.
Flexibilité : un rôle central joué par le gaz naturel
« Si le réseau de gaz est en 2050 le vecteur énergétique le plus carboné, sa flexibilité et son rôle pour le secteur des transports est central ». Selon l’agence, différentes sources pourraient alimenter le réseau de gaz.
Le gaz naturel d’origine fossile, bien entendu. Mais aussi le biométhane : « en faisant l’hypothèse d’installation de 550 méthaniseurs par an, le gisement accessible peut être porté à 9 Mtep en 2050 en énergie primaire » estiment les auteurs de la note.
La gazéification de la biomasse (procédé « biomass to gas ») est une troisième source envisageable. Enfin une portion de dihydrogène peut également être mélangée au méthane dans le réseau : lors des pointes de production éolienne ou solaire, l’électricité en excès peut servir à réaliser une électrolyse de l’eau.
Flexibilité : la technologie des STEP marines mise à contribution
L’ADEME estime que « le gisement mobilisable pour l’éolien terrestre est de 40 GW en 2050. Et de 30 GW en mer ». A ce stade, les objectifs fixé par le Grenelle de l’environnement pour 2020 sont de 19 GW pour l’éolien terrestre et 6 GW pour l’offshore. L’ADEME table donc sur l’installation de 21 GW d’éolien terrestre supplémentaires entre 2020 et 2050, c’est-à-dire en moyenne 0,7 GW par an sur cette période de 30 ans, ou encore une éolienne de 2 MW par jour. A titre comparatif, le groupe PSA, à lui seul, produit environ 10 000 voitures par jour.
Le gisement mobilisable pour le solaire photovoltaïque est de 60 GW à horizon 2050 estime l’ADEME. L’objectif du Grenelle est de 5,4 GW pour 2020. Selon la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), cet objectif sera dépassé et ce sont probablement 8 GW qui seront en place en 2020 compte-tenu de la forte popularité du solaire photovoltaïque auprès des français.
Concernant l’hydroélectricité modulable, l’ADEME fait le pari de l’émergence d’une technologie nouvelle en France mais reposant sur des technologies parfaitement matures : à horizon 2050, « une STEP marine est construite». L’association Hydrocoop a identifié 30 sites où la construction de STEP en bordure de mer est possible sur les 500 km de littoral du nord de la France. Avec ce type de STEP, la mer fait office de bassin bas et le bassin haut est perché en bordure d’une falaise d’environ 100 mètres. « La France dispose d’autant de capacités de stockage que nécessaire pour complémenter un important développement de l’éolien et du solaire » estime François Lempérière, président de l’association et ex-président du Comité Français des Grands Barrages (CFGB).
« Une indépendance pétrolière en 2050 »
Dans la vision de l’ADEME, le parc automobile français de 2050 pourrait être constitué d’un tiers de véhicules thermiques au gaz naturel, d’un tiers de véhicules 100% électriques et d’un tiers de véhicules hybrides. De quoi alléger considérablement la lourde facture pétrolière qui plombe actuellement la balance commerciale française. « Le scénario de l’ADEME permettrait de se passer de pétrole pour son usage dans les transports en 2050, ce carburant étant substitué par de l’électricité et du gaz pour les véhicules particuliers et les véhicules utilitaires léger, et par des biocarburants liquides pour les poids lourds. »
Néanmoins l’ADEME ne se prononce pas au sujet du gaz de schiste, sujet hautement stratégique qui fait l’objet d’un débat brûlant. Selon des estimations sommaires américaines, la France disposerait en effet des plus importants gisements d’Europe de cette ressource qui constitue, selon l’ancien premier ministre Michel Rocard, « un don du ciel » pour notre pays. Dans Le Monde, l’ambassadeur chargé des négociations internationales relatives aux pôles arctique et antarctique ajoute au sujet du gaz de schiste : « étant très écolo, je me suis longtemps abstenu. Mais je n’ai rien lu qui soit complètement convaincant. On a un réflexe fantasmé un peu du même type que face aux OGM (…) Peut-on s’en priver ? Je ne le crois pas ».
Louis Gallois, auteur d’un rapport sur la compétitivité de l’économie française, et les 98 PDG des plus grandes entreprises privées françaises estiment également que la France ne peut pas se passer de cette ressource. « On ne passe pas d’un jour à l’autre d’un système énergétique dominé à 85% par les fossiles, à un système tout renouvelables, ou en tout cas dominé par elles. Il y faut du temps. Dans l’intervalle – la transition – on va probablement utiliser plus de gaz » estime sur son blog personnel Cédric Philibert, conseiller à la Direction internationale de l’ADEME, soulignant l’intérêt du gaz de schiste pour l’économie française.
Faisant l’hypothèse de l’émergence de changements importants concernant les habitudes de mobilité, l’ADEME estime que le parc automobile français pourrait être réduit de 35 millions d’unités aujourd’hui à 22 millions en 2050, même si la population de la France métropolitaine passe de 62 millions à 74 millions sur la période. « Cette hypothèse ambitieuse suppose que la voiture n’est plus majoritairement un bien acheté par le particulier, mais aussi un mode de transport intégré dans un offre bien plus large que l’on paie pour son usage ». Les auteurs de la note ajoutent que « les véhicules sont mutualisés, servent plusieurs fois dans une même journée et transportent plus de voyageurs. Ils sont aussi mieux adaptés à chaque type de trajet avec des différenciations plus fortes entre véhicules urbains et véhicules longue distance, et sont ainsi plus efficaces énergétiquement.»
Au bout du compte, selon l’ADEME, le gaz naturel pourrait constituer près de la moitié de l’énergie primaire consommée dans l’ensemble des transports (45%), le reste étant partage entre les biocarburants de 2de et 3ème génération (20%), et l’électricité (32%). Le seul secteur qui pourrait continuer à consommer du pétrole est l’aviation avec le jet fuel pour (3%). « En 2050, le productible des biocarburants est relativement stable à 3,3 Mtep». L’ADEME estime que la 1ère génération aura complètement disparu en 2050, remplacée par la 2ème génération qui « constitue la base de la production avec un possible complément de 3ème génération (notamment les carburants à base d’huile d’algue, ndlr) non chiffré.
Des bâtiments économes en énergie et une agriculture intégrée
Grâce à de sérieux progrès au niveau de l’efficacité énergétique, les bâtiments résidentiels et tertiaire pourraient réduire considérablement leur consommation d’énergie pour le chauffage et la climatisation. Les marges de progrès sont plus faibles dans l’industrie étant donné que les industriels ont déjà fourni d’importants efforts en matière d’efficacité.
Pour le chauffage, et les applications thermiques en général, l’agence mise beaucoup sur la combustion de la biomasse : « l’hypothèse est faite d’un plan de mobilisation ambitieux de la ressource forestière permettant de passer d’un taux de prélèvement sur l’accroissement naturel de la forêt de 48% aujourd’hui à un taux de 75% en 2050. Le gisement accessible pour la combustion est de 18 Mtep »
Enfin, l’ADEME estime que l’agriculture intégrée, une agriculture qui combine les avantages des méthodes de l’agriculture conventionnelle à celle de l’agriculture biologique dans une perspective de compromis entre rendements et impacts environnementaux, constituera l’essentiel (60%) de la production agricole en 2050. Cela permettrait notamment de diminuer les apports d’engrais, et donc de diminuer la consommation d’énergie. L’agriculture intégrée, c’est dés à présent 86% de la production agricole en Suisse.
Selon les auteurs de la note, les français pourraient aussi modifier leurs habitudes alimentaires, et passer d’une ration alimentaire de 3324 kilocalories par personne et par jour aujourd’hui à 3270 kcal en 2050. La part des protéines totales serait réduite d’un quart, passant de 113 grammes par personnes et par jour à 86 grammes. Cela serait possible en réduisant la consommation de viande et de produits laitiers. Au pays des fromages, cela ne sera pas forcément l’objectif le plus facile à atteindre.
Si la « vision 2050 » de l’ADEME se réalisait, les émissions de CO2 seraient divisées d’un facteur 4 dans notre pays qui pèse aujourd’hui 0.9% (0,7% en 2050) de la démographie mondiale. Un petit pas pour le monde. Un grand pas pour la France.
Par Olivier Danielo
Cet article se trouve dans le dossier :
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