200 à 300 millions de tonnes. Telle est, selon les estimations, la masse de carburants consommée chaque année par un secteur central de notre économie mondialisée : le transport maritime. Une véritable clé de voûte des échanges commerciaux internationaux, qui se révèle ainsi, à elle seule, à l’origine de l’émission dans l’atmosphère de pas moins de 1 076 millions de tonnes d’eqCO2 par an, et pèse ainsi pour près de 3 % des émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre d’origine anthropique[1]. À l’heure où l’atteinte de la neutralité carbone d’ici à 2050 s’impose plus que jamais comme un impératif, décarboner le transport maritime mondial semble ainsi constituer un sacré défi…
C’est pourtant bel et bien ce que vise l’institution spécialisée des Nations Unies chargée, notamment, de prévenir la pollution des mers et de l’atmosphère par les navires : l’Organisation maritime internationale (OMI). Après avoir fixé, en 2018, l’objectif d’une réduction de 50 % des émissions du secteur à l’horizon 2050 par rapport à 2008, l’institution a en effet révisé sa stratégie en juillet 2023 et dévoilé alors de nouvelles ambitions, parmi lesquelles figure, notamment, celle de « parvenir à réduire à zéro les émissions nettes de GES [des transports maritimes internationaux] avant ou vers 2050 ». Reste donc désormais aux acteurs du secteur, à trouver – et à mettre en œuvre – les solutions techniques ad hoc. Parmi elles, les carburants dits « alternatifs », tels que les e-carburants ou l’hydrogène, sont sans doute celles qui suscitent le plus d’engouement. Autour de ces carburants de nouvelle génération flottent toutefois encore de nombreuses incertitudes et questions d’ordre technique, économique ou encore de sécurité – sans parler des risques de compétition entre usages terrestres et maritimes. « Le maritime est loin d’être le seul secteur restant à décarboner… », rappelle en effet à ce titre Lise Detrimont, déléguée générale d’une association française – Wind Ship – qui s’est justement construite depuis sa création en septembre 2019 autour d’une solution de décarbonation radicalement différente : la propulsion par le vent. Sous ses apparences a priori anachroniques, la voile s’annonce en effet comme une approche particulièrement prometteuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport maritime mondial, comme le démontrent notamment de nombreux acteurs français.
TOWT : mise à flot imminente…
Plutôt que de faire à nouveau voguer des galions sur les mers du globe, ce sont en effet bien souvent des navires à voiles d’un genre nouveau que les quelque 50 adhérents de la structure associative française entendent mettre à flot et s’attellent ainsi chacun à développer avec leur propre recette.
C’est notamment le cas de TOWT qui, après avoir misé dès 2010 sur des navires à voile traditionnels – les vieux gréements – s’est lancée en 2022 dans la construction de voiliers-cargos « uniques au monde », qu’elle qualifie volontiers de « véritables prouesses technologiques ». D’une longueur de 81 mètres, pour une capacité de chargement de 1 200 tonnes, ces voiliers 2.0 se destinent au transport de marchandises entre l’Europe et les Amériques, l’Asie ou encore l’Afrique. Le tout, en « propulsion principale vélique », c’est-à-dire avec des moteurs « la plupart du temps éteints ».
À la clé, selon les chiffres avancés par l’entreprise basée au Havre, une diminution de plus de 95 % des émissions de CO2 par rapport aux porte-conteneurs carburant à l’énergie fossile. Ceci, sans pour autant faire chuter drastiquement leur vitesse commerciale, estimée en effet à 11 nœuds[2] de moyenne par TOWT. « Nos voiliers-cargos vont permettre non seulement de décarboner radicalement [le secteur], mais également d’aller plus vite : c’est contre-intuitif, mais ils offriront un meilleur lead time qu’un transport fossile », assure en outre la compagnie havraise, qui vient d’ailleurs tout juste d’annoncer la première sortie en mer d’Anémos, qui sera bientôt rejoint par Artemis. Deux « sisterships » ou navires-jumeaux, auxquels s’ajouteront d’ici à 2027 six autres membres de cette famille navale en devenir, comme l’a en effet annoncé TOWT le 30 avril dernier. Une compagnie de transport maritime qui est ainsi loin d’être la seule en France à surfer sur la vague du transport vélique…
De nombreux autres acteurs hexagonaux, et un soutien manifeste de l’État
Créée en 2018, la start-up française Ayro développe par exemple les Oceanwings, des ailes semi-rigides destinées à équiper tant les yachts de plaisance que les cargos de transport de marchandises. Reposant sur une technologie brevetée, la solution se déploie, se replie et s’ajuste automatiquement grâce à l’action combinée de capteurs et d’un logiciel développé par la jeune pousse, comme elle l’explique sur son site internet : « Des capteurs sur le navire mesurent le vent en temps réel. [Notre] logiciel propriétaire analyse les données en temps réel et envoie des instructions aux actionneurs contrôlant les Oceanwings®. Des actionneurs ajustent enfin l’angle d’attaque et la courbure de chaque voile de manière indépendante ».
L’approche novatrice a ainsi notamment déjà séduit la compagnie maritime française EuroGreen Maritime. L’entreprise varoise a en effet annoncé en avril dernier la signature d’un contrat d’affrètement de sept ans avec la compagnie pétrolière Equinor, qui prévoit la construction de quatre tankers à propulsion hybride équipés d’une paire d’ailes Oceanwings®, en complément de moteurs dual-fuel alimentés au méthanol. Une combinaison de technologies propres qui permettra, selon EuroGreen Maritime, de diminuer de plus de 45 % les émissions de gaz à effet de serre des navires, mais également de réduire respectivement de 95 % et 50 % les rejets atmosphériques d’oxydes de soufre (SOx) et d’azote (NOx).
Autres exemples : celui de Vela – qui conçoit à Bayonne un trimaran nouvelle génération destiné au transport de marchandises 100 % à la voile, dont un premier exemplaire devrait prendre la mer en 2025 –, ou encore celui de l’équipementier nazairien Computed Wing Sails (CWS), qui a en effet quant à lui annoncé en avril dernier avoir reçu une approbation de principe (ou AiP, Approval In Principle) pour sa « voile-aile » asymétrique rigide et pliable, baptisée Airfin350…
Des exemples parmi tant d’autres[3], qui témoignent ainsi de l’ébullition que connaît le secteur au niveau national. Une dynamique qui a d’ailleurs connu un point d’orgue en mars dernier, avec la signature par Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Énergie, et Hervé Berville, secrétaire d’État chargé de la Mer et la Biodiversité, d’un « Pacte vélique », visant à soutenir et à « mettre à l’honneur » les acteurs de la propulsion des navires par le vent.
« Le développement du secteur vélique français est une opportunité majeure de réindustrialisation verte », a ainsi déclaré Roland Lescure, qui entend d’ailleurs « positionner la France en leader mondial sur ces technologies ».
« Ce pacte constitue le signal déclencheur du changement d’échelle nécessaire à la consolidation d’un marché émergent et prometteur », a quant à elle ajouté la déléguée générale de l’association Wind Ship Lise Detrimont, avant de dévoiler les objectifs ambitieux de la filière vélique française : créer, d’ici à 2030, plusieurs milliers d’emplois dans ce secteur, tout en évitant l’émission dans l’atmosphère d’un million de tonnes de CO2.
[1] Chiffres pour 2018, publiés en 2020
[2] Contre 15 à 25 nœuds environ pour un porte-conteneurs conventionnel.
[3] Sans parler de Wisamo (Michelin), de Beyond the sea, de SolidSail (Chantiers de l’Atlantique), de Seawing (Airseas), de Grain de Sail, de Zéphyr & Borée, ou encore d’ACCWING et de son concept A.S.Cargo. (Liste non exhaustive.)
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