La France et le GNL, c’est une relation emplie de paradoxes. Alors que le gaz représente aujourd’hui 16% du mix énergétique français, et que l’hexagone est sur le chemin tortueux de la neutralité carbone d’ici à 2050, il est difficile de voir comment cette ressource fossile sera remplacée dans les décennies qui viennent. Très utilisé notamment pour le chauffage des habitations et des entreprises, ainsi que dans l’industrie, le gaz joue un rôle prépondérant dans le mix énergétique français, même si la demande a baissé, notamment depuis le début de la crise entre la Russie et l’Ukraine.
Cette crise géopolitique a permis de constater que si la France était moins dépendante du gaz russe que son voisin allemand par exemple, s’en passer est compliqué. La France, qui a décidé de se tourner vers le GNL pour limiter les importations par pipeline venues de Russie, a dû se résoudre à importer du GNL issu des roches de schistes américaines, mais aussi du GNL venu de Russie. Premiers paradoxes.
En effet, si la consommation de gaz en Europe a atteint en 2023 son plus bas niveau depuis dix ans, la consommation de GNL, notamment en provenance de Russie, est restée à un niveau très élevé. Rappelons que l’embargo contre la Russie concerne le pétrole et non le gaz, même si l’UE mène une politique destinée à réduire voire effacer au plus vite sa dépendance au gaz russe.
Ainsi, si les Européens ont acheté, en 2023, principalement du GNL venu des Etats-Unis, à hauteur de 47% du volume importé, la Russie arrive tout de même en troisième position, avec près de 11% des importations, juste derrière le Qatar (environ 12% du total des importations). Les principaux bénéficiaires de ces importations sont dans l’ordre la France, suivie de l’Espagne et des Pays-Bas.
En ce qui concerne l’hexagone, la Russie se place même en tant que deuxième fournisseur derrière les Etats-Unis, avec une augmentation des importations de GNL venues du géant d’Europe de l’Est de plus de 40% en 2023.
Ainsi, la réalité du mix énergétique européen, et en particulier tricolore, entre ici en contradiction avec les intentions géopolitiques de l’UE, qui cherche à isoler au maximum l’envahisseur russe, et si possible l’affaiblir économiquement, autant que possible.
Autre situation qui interroge, la volonté française d’augmenter ses capacités d’importation de gaz et notamment de GNL, alors que la consommation et la demande nationales baissent. En 2023, la France s’est dotée d’un cinquième terminal méthanier, au Havre. C’est en l’occurrence un méthanier flottant, le Cape Ann, propriété de TotalEnergies, qui s’est installé dans le port du Havre : ses unités de stockage et de gazéification vont offrir à l’hexagone une plus grande marge de manœuvre pour stocker et distribuer le gaz importé. Mais dans quelle mesure ce cinquième terminal est-il indispensable, alors que la France veut réduire sa consommation de gaz drastiquement, pour être en cohérence avec la trajectoire, toujours d’actualité, de la neutralité carbone en 2050 ?
Le sabotage des gazoducs Nord Stream (1 et 2) qui reliaient la Russie à l’Allemagne, il y a à peine un an, a créé chez certains de nos voisins européens – Allemagne, Espagne, Italie, Pologne – un élan de panique et la mise en place, en toute hâte, de terminaux méthaniers destinés à parer au plus pressé. Il semble bien que l’installation du Cape Ann au Havre obéisse au même élan. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé que le méthanier restera au Havre de manière transitoire, jusqu’en 2028. Au maximum.
Quoi qu’il en soit, si la crise russe a incarné pendant quelques mois l’occasion pour l’Europe et la France de mettre fin à leur dépendance au gaz, russe en l’occurrence, pour se plonger pleinement dans une transition énergétique contrainte mais souhaitée, la réalité fait aujourd’hui état d’une nouvelle dépendance au GNL, pour la décennie qui vient en tout cas.
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