Il n’y a pas que la déforestation qui porte atteinte à la forêt. Les multiples dégradations lui sont aussi très préjudiciables : coupes sélectives, feux, dépérissement des arbres lié au climat, notamment des sécheresses répétées… C’est ce que révèle une étude publiée dans Nature Climate Change par des chercheurs de l’INRAE, du CEA et de l’Université d’Oklahoma. En observant sur dix ans (2010 à 2019) la forêt amazonienne brésilienne, ils concluent que la perte de sa biomasse végétale aérienne est davantage liée à la dégradation (73 %) qu’à la déforestation (27 %). Et qu’au final, elle rejette davantage de carbone qu’elle n’en stocke sur cette même période.
Si l’étendue de la déforestation peut facilement s’observer à partir d’images satellites, les multiples dégradations le sont beaucoup moins. « Aucun outil n’existe pour évaluer l’impact de ce phénomène, affirme Jean-Pierre Wigneron, directeur de recherche à l’INRAE. Les mesures optiques permettent seulement d’observer le dessus de la canopée, mais nullement de distinguer ce qui se passe en dessous. Or, beaucoup d’arbres peuvent rester en place malgré les multiples dégradations. Des mesures in situ sont parfois pratiquées, mais restent localisées et ne peuvent être réalisées à grande échelle ».
Calculer l’extinction des radiations micro-ondes
Face à cette difficulté, les chercheurs ont contourné le problème en utilisant l’indice de végétation appelé L-VOD (L-band vegetation optical depth) qui permet de sonder l’ensemble de la strate végétale et pas uniquement le sommet de la canopée. Issu des observations spatiales du satellite SMOS, cet indice mesure la quantité de biomasse de la forêt, en prenant en compte à la fois l’impact de la déforestation et la dégradation. Concrètement, il calcule l’extinction des radiations micro-ondes qui traversent la végétation, car lorsque ces radiations se propagent dans une forêt, elles sont atténuées. Le L-VOD calcule alors le facteur d’atténuation en utilisant la bande fréquence L et une longueur d’onde de l’ordre de 30 cm.
Pour évaluer la dégradation de la forêt, les scientifiques ont procédé par différence, c’est-à-dire qu’ils sont partis des résultats de l’indice L-VOS auxquels ils ont soustrait les données relatives à la déforestation. Pour calculer cette dernière, ils se sont appuyés sur une nouvelle technique de suivi développée par l’université d’Oklahoma. Cette dernière a mis au point une méthode d’évaluation de la déforestation plus précise à partir de données optiques, mais aussi radars en provenance de plusieurs satellites. La méthode présente également l’intérêt d’utiliser des données d’observations quasi journalières, ce qui permet de faire face aux difficultés de lecture des images en présence de nuages. « Les travaux de l’université d’Oklahoma ont démontré que la déforestation de la forêt brésilienne a été multipliée par quatre en 2019 comparé aux années 2017 et 2018, complète le chercheur. Cette très forte augmentation est probablement liée au relâchement de la politique environnementale de ce pays. »
Le climat joue un rôle important dans la dégradation de la forêt
En soustrayant cette déforestation à l’indice L-VOD, les chercheurs ont donc réussi à évaluer l’impact de la dégradation. Leur étude démontre que ce phénomène est la principale cause des pertes de carbone de la forêt amazonienne brésilienne. C’est en 2015, lors de l’épisode climatique El Niño, que cette perte a été la plus importante sur la dernière décennie. Cette année-là, il a notamment été observé une augmentation de la mortalité des arbres et des dégradations dues aux feux. L’étude met en lumière à quel point le climat a un impact important sur la forêt. Et au global, en prenant en compte à la fois la dégradation et la déforestation, les pertes de carbone de la forêt brésilienne sont supérieures aux gains d’environ 18 % entre 2010 et 2019.
Ce travail de recherche va se poursuivre sur d’autres régions du monde ; il est d’ailleurs déjà en cours en Australie pour observer l’impact des grands feux ainsi qu’en Sibérie. « Il est important d’essayer de comprendre à l’échelle de la planète, les zones où la forêt capte du carbone et celles où elle a plutôt tendance à en relâcher, analyse Jean-Pierre Wigneron. Alors qu’on comptait sur la forêt pour capter une partie du carbone, il ne faut peut-être plus compter elle. Il s’agit d’un cercle vicieux, car le changement climatique est en train d’affecter le fonctionnement des forêts qui n’arrivent plus à jouer leur rôle de capteur de CO2 et qui dans certains cas contribuent à accélérer le réchauffement du climat. »
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