Pour les habitués du secteur de l’énergie, la récente prise de parole de la filière hydroélectricité en direction des médias signe probablement un tournant. Jusque-là discret, le monde des centrales hydroélectriques veut faire valoir plus fortement l’importance de son rôle pour une gestion responsable de la ressource en eau et pour une production d’électricité décarbonée. Une prise de parole qui a eu lieu lors de la journée mondiale de l’eau et alors que le GIEC venait juste de rappeler l’urgence climatique : le timing était parfait.
Simultanément, trois entités regroupant les professionnels ont mis en avant les qualités de la filière : France Hydro Électricité (FHE), le Syndicat des énergies renouvelables (SER) et l’Union française de l’électricité (UFE). Ce besoin d’unité fait sens, non seulement par la taille des enjeux à adresser, mais aussi parce que la filière est parfois oubliée par les pouvoirs publics : ainsi, le récent projet de loi d’accélération des énergies renouvelables ne prévoyait initialement aucun dispositif pour améliorer le déploiement de l’hydroélectricité. La mobilisation des hydroélectriciens a permis d’amender le texte afin que des facilités soient envisageables pour leurs actifs de production, en particulier en leur ouvrant la reconnaissance à la raison impérative d’intérêt public majeur, un décret devant encore préciser si un seuil minimum de puissance s’appliquera pour bénéficier de cet avantage.
Encore du potentiel à développer
Le poids de l’hydroélectricité n’est plus à prouver : avec 25,7 GW de capacités installées fin 2022 et 60 TWh de production annuelle moyenne, elle est un pilier du système électrique français. La « houille blanche », comme on l’appelait par contraste avec le charbon dans la première moitié du XXe siècle, est répartie sur tout le territoire et mobilise une multitude d’entreprises, des TPE et groupes familiaux aux très grands groupes comme EDF, la Compagnie nationale du Rhône et la Shem (Engie), en passant par des opérateurs publics et des entreprises de différentes tailles. La diversité géographique se retrouve dans la répartition des puissances : environ 2 300 centrales dites de « petite hydroélectricité » et situées en France ont une puissance inférieure à 10 MW ; près de 300 centrales de « grande hydroélectricité » dépassent ce niveau, dont une grande partie entre 10 et 300 MW et quelques-unes allant jusqu’à 1 000 MW, principalement dans les massifs montagneux.
La diversité des types d’exploitation vient du fait que certains ouvrages sont avec des réservoirs permettant du stockage, d’autres sont des ouvrages de plaine permettant un fonctionnement au fil de l’eau, et d’autres sont des ouvrages de haute chute. « Ses faibles émissions de CO2 estimées à 10 gCO2/kWh, son emprise au sol limitée, son bon facteur de charge qui peut aller jusqu’à 3 500 heures par an, la durabilité de ses installations, etc. font que l’hydroélectricité est une énergie stratégique à développer, défend Xavier Casiot, président de FHE. De plus, elle participe à la sécurité du réseau électrique en aidant à la régulation de la fréquence et de la tension, ce qui sera de plus en plus important avec le développement des autres énergies renouvelables plus variables. »
Cette forme décentralisée de production pourvoit de l’emploi local, repose principalement sur du « Made in France ». De plus, elle partage de la valeur avec les collectivités via les taxes, redevances et la fiscalité. Elle est aussi l’énergie préférée des Françaises et des Français (9 sur 10 en ont une bonne image selon un sondage IFOP d’octobre 2021). L’hydroélectricité peut-elle encore se développer ? « Oui, mais moins vite que prévu » semble dire le ministère en charge de l’énergie puisqu’il veut repousser l’objectif de l’actuelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) – qui prévoit environ 26,5 GW en 2028 – à 2033. Ce décalage de cinq ans vient en partie du fait que les pouvoirs publics n’ont pas mis en place un arrêté permettant de rénover les installations de plus de 1 MW. Mais la filière hydroélectrique, elle, estime que la PPE devrait maintenir l’objectif de 2028 à 26,3 GW et rehausser celui de 2033 à 27,1 GW. Elle identifie en effet un gisement potentiel de 12 TWh supplémentaires, porté à 85 % par la création de nouveaux ouvrages (2 885 MW) et à 15 % par l’équipement d’ouvrages existants (477 MW).
Même si tout ce potentiel ne pouvait être atteint, il reste néanmoins beaucoup à faire pour que ces objectifs soient atteignables. Pour les installations sous le régime des concessions – lorsque la puissance est supérieure à 4,5 MW – il faut que le marché envoie des signaux économiques de long terme pour permettre de nouveaux investissements, ce qui n’est pas encore acquis. Pour les puissances inférieures à 4,5 MW, sous le régime de l’autorisation, les appels d’offres annuels de 35 MW lancés par la CRE doivent ouvrir des opportunités. Mais les derniers appels ont été sous-souscrits, montrant que là aussi, les conditions économiques de déploiement ne sont pas encore au rendez-vous.
L’hydroélectricité doit aussi composer avec le respect de contraintes environnementales, notamment sur la biodiversité de la faune aquatique. « Nous renforçons notre plaidoyer pour que l’hydroélectricité se développe, mais cela se fera dans le respect des réglementations environnementales, dans un esprit de co-construction avec tous les acteurs de l’eau », précise Anne Penalba, vice-présidente de FHE. La filière dispose d’ailleurs de technologies permettant le respect de la biodiversité et compte sur son esprit d’innovation pour les améliorer.
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