Quand un évènement inattendu surgit, il faut bien souvent agir, même si l'on ne maîtrise pas l'ensemble des conséquences. Selon des chercheurs français, les souris se révèlent curieuses en situation d'incertitude : elles privilégient l'exploration de leur environnement afin de mieux l'appréhender. Les scientifiques ont mis en évidence le rôle primordial joué par l'acétylcholine, un neurotransmetteur, dans la modulation de ces comportements.
Dans notre quotidien, nous sommes fréquemment confrontés à des prises de décision. Quand il s’agit de choisir entre différentes options, celles-ci peuvent être sures et connues, ou bien plus incertaines. Estimer le « degré d’incertitude » associé à ces alternatives est indispensable pour prendre une décision adaptée. Cette évaluation joue sur notre motivation à tenter des actions aux conséquences incertaines, à être curieux. Elle peut aider à mieux connaître notre environnement et ainsi améliorer la réussite des actions futures. Ce mécanisme est clairement mis en œuvre dans les jeux d’argent comme le poker par exemple, mais aussi dans les marchés financiers ou dans la vie de tous les jours quand nous prenons des risques.
Jusqu’à présent, la manière dont l’évaluation de l’incertitude était régulée restait méconnue. L’équipe de Philippe Faure au laboratoire Neurosciences Paris-Seine (CNRS/UPMC/Inserm) a mis au point une expérience chez la souris permettant une analyse fine de ces comportements.
Première étape : les souris étaient placées dans une arène constituée de trois zones, chacune d’elle étant corrélée à l’obtention d’une récompense. Mais impossible pour elles d’obtenir deux récompenses consécutivement dans la même zone. Aussi, les souris ont vite appris à se déplacer de zone en zone pour obtenir une récompense. Une fois ce comportement acquis, les chercheurs ont, dans une deuxième étape, observé la réaction des souris en situation d’incertitude. Pour cela, ils ont associé à chaque zone une probabilité différente d’obtenir une récompense : 100% (soit la possibilité de recevoir une récompense à chaque fois, mais pas de manière consécutive) pour la zone A, 50% pour la zone B et 25% pour la zone C. Le résultat a été surprenant. En effet, les souris se sont avérées particulièrement motivées à se déplacer en zone B, celle associée à une incertitude maximale (50% de chance de ne pas avoir de récompense et 50% de chance d’en avoir une). Ce qui suggère qu’elles accordent une valeur positive à l’incertitude. En d’autres termes, elles attribuent une valeur à l’information, qui les pousse à être curieuses et à explorer leur environnement.
Afin de comprendre les mécanismes moléculaires sous-tendant ce type de comportement, les chercheurs ont ensuite testé des souris dépourvues du gène codant pour une sous-unité des récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine2. Résultat : ces souris ont été capables d’apprendre à chercher les récompenses dans l’arène mais elles n’étaient pas motivées à se déplacer en zone incertaine (zone B) lors de la deuxième étape de l’expérience. En revanche, lorsque les scientifiques ont à nouveau introduit la sous-unité dans un noyau dopaminergique3 (l’aire tegmentale ventrale) de ces souris, la valeur positive de l’incertitude a été restaurée chez les rongeurs.
Ces résultats établissent clairement le rôle de l’acétylcholine dans la motivation induite spécifiquement par l’incertitude du résultat. Ce neurotransmetteur n’intervient pas dans la motivation pour obtenir des récompenses. La motivation intrinsèque à explorer l’inconnu serait donc dépendante du système de contrôle cholinergique des neurones dopaminergiques. Ces recherches suggèrent par ailleurs un lien neuronal possible entre l’addiction au tabac (la nicotine agissant sur les récepteurs nicotiniques des neurones dopaminergiques) et l’addiction au jeu pathologique. Les scientifiques vont désormais tâcher d’examiner comment ces comportements face à l’incertitude sont perturbés par des drogues telles que la nicotine.
Notes :
¹Le laboratoire fait partie de l’Institut de biologie Paris-Seine. Cette équipe a travaillé en collaboration avec une équipe de recherche CNRS/Institut Pasteur.
² Neurotransmetteur notamment impliqué dans la mémoire, l’apprentissage, l’attention et l’état de vigilance.
³Un noyau dopaminergique comprend des neurones qui délivrent la dopamine, un autre neurotransmetteur du cerveau, impliqué dans de nombreuses fonctions essentielles chez l’homme, comme le contrôle moteur, l’attention, la motivation, la mémoire et la cognition.
Références :
Nicotinic Receptors in the Ventral Tegmental Area promote Uncertainty-Seeking. J. Naudé, S. Tolu, M. Dongelmans, N. Torquet, S. Valverde, G. Rodriguez, S. Pons, U. Maskos, A. Mourot, F. Marti, P. Faure. Nature neuroscience . Mis en ligne le 18 janvier 2016.
DOI: 10.1038/nn.4223
Source : CNRS
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