La Commission de régulation de l’énergie (CRE) fête ses 20 ans cette année. A cette occasion, son président, Jean-François Carenco a reçu la semaine dernière l’association des journalistes de l’énergie (AJDE) pour revenir sur le rôle de l’autorité mise en place à l’aune de la libéralisation des marchés de l’énergie (électricité puis gaz).
Née des directives européennes ouvrant les marchés de l’énergie, la CRE entend contribuer à la construction de l’Europe de l’énergie, car « plus que jamais », a insisté Jean-François Carenco, « l’énergie, c’est l’Union européenne ». Et c’est un dossier sur lequel le régulateur français entend peser.
Retour en arrière
Dominique Jamme, directeur général des services, et présent depuis les tous débuts de la CRE, a rapidement passé en revue les grandes étapes de l’institution. D’abord, comme il le rappelle, « nous avons été une sorte de startup », dont « la légitimité n’existait pas, même juridiquement tout n’était pas consolidé. »
La première pierre à poser a résidé dans l’indépendance des opérateurs de réseaux, sans laquelle il n’y a pas de marché, a-t-il insisté. Ensuite dans la foulée, cela a consisté à mettre en œuvre un marché de gros afin d’avoir une référence de prix. Cela s’est traduit par la création de la bourse de l’électricité (Powernext, devenue Epex), puis celle du gaz. Dès le départ, de premières concertations avec les parties prenantes ont été instaurées, avec la création, dès 2003, des groupes de travail, électricité (GTE) et gaz (GTG). Et l’UE a joué un rôle dès le départ également, en poussant à libéraliser le marché de la production, alors que, jusque-là, n’existait qu’un seul opérateur.
Ce qui implique qu’il a fallu « s’attaquer aux ressources », donc « obliger le fournisseur historique à mettre à disposition de la production ». Il y a d’abord eu les VVP (les virtual power plants, ou centrales virtuelle), contraignant EDF à mettre sur le marché un certain volume de kWh, puis l’Arenh (Accès réglementé à l’énergie nucléaire historique, contraignant EDF à céder à un prix fixé un quart de son nucléaire). Un Arenh toujours au cœur des préoccupations aujourd’hui. Autre chantier d’importance, la « dépolitisation » des tarifs réglementés de vente (TRV) aux clients, avec l’adoption de « l’empilement des coûts ». Côté indépendance, la CRE a été mise à rude épreuve avec le dossier des énergies renouvelables, pour lesquels elle donne un avis motivé et lance les appels d’offres, notamment sur l’offshore éolien.
Autre dossier, récurrent, celui de la fixation des tarifs d’accès au réseau public, Turpe, pour l’électricité et ATR pour le gaz ; la CRE fixant les montants des dépenses et des rémunérations des gestionnaires de réseaux.
La CRE a également participé au marché, en favorisant l’entrée en service des compteurs communicants, comme Linky et Gazpar. Aujourd’hui, l’un des dossiers majeurs est celui de la transformation du mix français et donc des réseaux dans cette transformation.
L’avenir
Autant de dossiers qui demeurent sur la table du régulateur, a indiqué son président. Ainsi, la CRE va gérer la fin des tarifs réglementés de vente pour le gaz, programmée pour 2023. Par ailleurs, toujours en termes de gaz, Jean-François Carenco a rappelé que la CRE pouvait mettre à son crédit, sur les deux dernières années, le fait qu’il n’existe plus aujourd’hui qu’une seule zone pour le transit de gaz en France, avec deux opérateurs, GRTgaz et Terega (au sud-ouest), mais aussi pour le stockage.
La CRE insiste par ailleurs sur la pertinence du modèle actuel d’organisation du marché du gaz fondé sur le principe d’une tarification du transport qui reflète les coûts de réseau. La CRE souligne également le succès de la régulation du stockage de gaz mise en place en France et rappelle que à ce titre la législation européenne doit préserver la juste flexibilité qui a permis l’élaboration de ce nouveau cadre afin que d’autres pays puissent éventuellement s’en inspirer.
La CRE relève particulièrement le souci constant qu’il faut avoir de mettre en cohérence la vision européenne et les particularités nationales.
Du côté des réseaux, la CRE consulte sur l’évolution du réseau de transport d’électricité de RTE. Ce dernier a publié en septembre 2019 son schéma décennal de développement du réseau de transport d’électricité (SDDR). Un tel schéma n’avait pas été élaboré depuis 2016.
RTE estime que les investissements devront atteindre environ 33 milliards d’euros sur la période 2021 à 2035. À ceci s’ajoutent environ 3 milliards d’euros d’investissement dit hors réellement lié au réseau tel que l’immobilier, la logistique et des systèmes d’information. D’après RTE, les investissements sont donc amenés à croître fortement au cours des prochaines années, passant de 1,5 milliard d’euros en 2018 à 2,4 milliards d’euros en 2030 puis après de 2,9 milliards d’euros par an entre 2031 et 2035. Si la CRE se félicite de la qualité générale des travaux de RTE, elle note que l’augmentation des dépenses d’investissement se traduira nécessairement par une augmentation substantielle du Turpe. Il est donc nécessaire de chercher les meilleurs arbitrages entre les coûts la sécurité la qualité et l’impact environnemental tout en tenant compte des risques et incertitudes pesant sur l’évolution du système électrique. La CRE estime notamment qu’il y a une réflexion à faire sur les systèmes d’information. En outre, dans le Turpe 6, c’est-à-dire celui qui est en cours d’élaboration, les investissements doivent accepter de nouvelles d’injections et ces droits à l’injection représentent quelque 7 milliards d’euros.
Au titre des priorités il faut aussi prendre en compte l’enfouissement des lignes. Mais aussi les interconnexions, la France exportant environ 15 % de sa production. Une nouvelle ligne est en construction vers l’Espagne, deux vers l’Italie, l’une Piémont Savoie l’autre via la Corse et une nouvelle liaison IFA 2 est quasiment réalisée avec le Royaume-Uni. Enfin une nouvelle liaison entre la France et l’Irlande est en cours. Jean-François Carenco souligne cependant qu’il faut que ces liaisons servent et qu’il s’agit d’être circonspect dans ces dépenses.
Les zones non interconnectées (ZNI), c’est-à-dire les territoires d’Outre-mer et la Corse, seront également un sujet pour la CRE. Jean-François Carenco a rappelé que l’Outre-mer devient le lieu où se mettent en œuvre les systèmes énergétiques d’avenir de la France, avec un verdissement total, une sécurité d’approvisionnement et l’autonomie. Le tout avec un contrôle financier, car on dépense par an environ 2 milliards d’euros.
Aujourd’hui la contribution des ENR à la production d’électricité des ZNI est de 30 % seulement, a rappelé Catherine Edwige, commissaire chargée du dossier, alors que ce n’est que 2 % du territoire national, les émissions de CO2 des ZNI comptent pour environ 20 % des émissions de la France.
L’Arenh s’est à nouveau invité au menu futur de la CRE, avec la demande par les ministres de la Transition écologique et solidaire et de l’Économie, respectivement Élisabeth Borne et Bruno Le Maire, de réaliser une analyse des coûts de production, de passer de l’Arenh à un autre mécanisme qui ferait qu’EDF vende l’ensemble de sa production nucléaire à un prix qui évoluerait dans une fourchette à définir. Jean-François Carenco s’est félicité que la CRE ait été saisie de ce dossier par les ministères, démontrant, selon lui, l’indépendance de l’institution. Au passage, cette modification entre également dans le cadre de la réorganisation en deux entités d’EDF, le fameux plan Hercule.
Enfin, pour préparer l’avenir, le président de la CRE a souligné la mise en place du comité de prospective, qui va entamer très prochainement sa troisième saison, en abordant les questions des énergies marines, des réseaux centralisés/décentralisés, du pilotage des recharges de véhicules électriques et enfin de l’hydrogène.
Autant dire, que la CRE ne va pas chômer dans les mois à venir.
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