Le rapport analyse l’ensemble de l’aval du cycle, à partir du moment où le combustible usé est sorti du réacteur jusqu’à sa mise en place dans un stockage, y compris l’entreposage intermédiaire et, le cas échéant, le retraitement. Il pose surtout la question de la doctrine française nucléaire, qui considère que toute matière fissile (combustible usé, combustible issu du retraitement, uranium appauvri issu de l’enrichissement) est valorisable et doit donc être stockée pour une utilisation future dans des réacteurs ad hoc (neutrons rapides ou réacteurs modulaires, etc.). C’est la conception du cycle du combustible dit « fermé », par opposition au cycle « ouvert » qui conduit au stockage des combustibles usés. Le concept de cycle fermé est cependant en réalité « semi-fermé », puisque le combustible usé n’est retraité qu’une fois pour produire du Mox (oxyde mixte d’uranium et de plutonium) qui, lui, n’est pas autorisé pour l’heure à être retraité après son passage en réacteur.
La Cour des comptes a adressé ses recommandations au ministère de l’Environnement, de l’Administration du climat et de l’énergie, de l’administration des finances et à l’Agence nationale française de gestion des déchets radioactifs, ou Andra.
Amont et aval du cycle liés
L’instance demande de revenir à plus de cohérence entre les décisions prises en amont du cycle nucléaire (telles que la fermeture de réacteurs, le renouvellement de réacteurs) et en aval du cycle. Le rapport rappelle en effet l’interdépendance entre amont et aval, dans la mesure où certaines décisions politiques prises, comme l’arrêt de certains réacteurs, vont avoir un impact sur la manière de gérer la fin du cycle.
La Cour souligne en outre qu’il faut des décisions sur la question de savoir quelles matières nucléaires seront envoyés à Cigéo, le stockage géologique en profondeur prévu par le pays pour les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue à Bure.
Les commissaires demandent notamment des éclaircissements sur la question de savoir si tous les combustibles usés doivent être retraités à l’avenir, face à la fois à la montée en puissance des stocks de matière valorisable et la baisse des besoins à l’aune des choix faits en matière de production nucléaire. Mais ils se demandent aussi si les combustibles Mox devraient être retraités. Ces choix, indique la Cour des comptes, sont déterminant notamment pour connaître l’inventaire des matières qui seront stockées définitivement à Cigéo.
L’importance du débat
Le rapport soulève en effet plusieurs problématiques : le volume de matières et de déchets nucléaires est important et en constante augmentation, il est à craindre que les installations d’entreposage (intermédiaires donc) atteignent bientôt la pleine capacité, les perspectives de saturation à terme des centres des stockages existants (notamment pour les déchets de faible et moyenne activité à vie courte), les coûts associés à leur gestion et le projet de stockage final souterrain de Cigeo ou l’impact des décisions de politique énergétique sur la fin du cycle du combustible nucléaire.
Toutes ces questions sont adressées dans le débat public en cours sur la cinquième révision par le gouvernement français de son plan de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), signale la Cour des comptes. Pour la première fois, une consultation publique sur le plan a débuté en avril et devrait se terminer en septembre. Le PNGMDR sera alors présenté et débattu auprès des parties prenantes sous l’autorité de l’administration chargée de l’énergie et du climat (DGEC) et de l’autorité de sûreté nucléaire (ASN). Un décret gouvernemental doit ensuite être publié d’ici à la fin de 2020.
Pour le débat public, le maître d’ouvrage, c’est-à-dire le gouvernement, a soumis un « cahier d’acteurs » passant en revue la politique actuelle, et l’Andra a proposé plusieurs scénarios concernant l’avenir de la fin du cycle du combustible (fermeture de réacteurs, prolongement de la vie de réacteurs, nouvelles constructions de réacteurs). Cependant, la Cour des comptes signale qu’en parallèle, dans sa programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), le gouvernement a d’ores et déjà fait des choix en faveur de la poursuite du retraitement, jusqu’en 2040. D’où une demande de la Cour des comptes pour plus de cohérence.
Selon le rapport de la Cour, les coûts d’exploitation des installations de stockage et de stockage sont en moyenne de 137,7 millions d’euros par an. Les investissements cumulés dans ces installations entre 2014 et 2017 se sont élevés à 255 millions d’euros et pourraient atteindre près de 1,4 milliard d’euros entre 2018 et 2030 et augmenter de 1,5 milliard d’euros entre 2030 et 2050, indique la Cour. En outre, le coût du projet Cigéo a été fixé par décret à 25 milliards d’euros, mais ce coût doit être régulièrement révisé en fonction des choix qui seront faits en matière d’accueil des matières nucléaires (combustibles usés ou pas). Et le rapport de rappeler que tout changement de politique aura un impact financier qu’il est nécessaire de préciser.
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