Des chercheurs de l’Université portugaise de Coimbra ont évalué le potentiel de plusieurs applications industrielles pour les déchets industriels de coquilles d’oeufs. Leur étude est parue dans le journal Resources, Conservation and Recyling. Il faut dire que le Portugal fait figure de pionnier aux côtés de l’Espagne et du Royaume-Uni. En effet, au bout de la Péninsule Ibérique, les coquilles d’oeufs sont compostées dans une usine de compostage industrielle. Elles sont ainsi collectées auprès de l’industrie agroalimentaire et compostées en mélange avec les biodéchets collectés de manière sélective. Les 3.300 tonnes de coquilles issues de l’industrie agroalimentaire y sont donc valorisées.
Mais cette situation fait presque exception en Europe. Et les déchets industriels de coquilles d’oeufs représenteraient dans les pays européens 360.800 tonnes chaque année. Pourtant, il serait possible de les valoriser de nombreuses façons, malgré quelques restrictions.
Un sous-produit animal valorisable
Une coquille d’oeuf est un sous-produit animal, classé en catégorie 3 (risque le plus faible), selon la réglementation européenne. En tant que tel, les coquilles peuvent être incinérées, subir un traitement thermique, être compostées ou être transformées en biogaz. Elles peuvent aussi servir à la production d’aliments pour les animaux de compagnie ou à la combustion de carburant (bien que leur valeur calorique soit très faible). Mais elles peuvent aussi être utilisée ou éliminées par toute autre méthode qui empêche le risque biologique.
Cette dernière option ouvre la voie à l’utilisation de ces déchets sans aucun prétraitement. Outre le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni tirent profit de cette disposition. L’Espagne autorise ainsi leur application directe comme engrais ou amendement des sols dans les fermes d’élevage qui génèrent ces déchets. Le Royaume-Uni l’autorise aussi sur les sols en contrôlant l’absence de risques biologiques.
« S’il existe un réseau de surveillance bon et effectif concernant l’apparition d’une épidémie ou d’infection qui pourrait compromettre l’application directe des déchets de coquilles d’oeufs, […], d’autres pays européens pourraient profiter de la réglementation », préviennent les auteurs de l’étude.
De la coquille d’oeufs aux applications industrielles
Les déchets de coquilles d’oeufs contiennent toujours des membranes et des restes de blanc et de jaune d’oeuf. Leurs principaux impacts environnementaux sont le risque de propagation d’agents pathogènes (comme Salmonella), l’émission d’odeurs désagréables et la production de lixiviats dans les décharges. Il s’agit néanmoins d’un matériau alcalin, riche en azote, avec une teneur élevée en carbonate de calcium et un faible pourcentage de matière organique. Ainsi, la valorisation de ces déchets serait à la fois bénéfique sur le plan environnemental et économique.
Les applications industrielles se divisent en deux catégories: celles qui utilisent les coquilles comme matières premières et celles qui l’utilisent comme catalyseur ou sorbant. Dans le premier cas, cela peut être comme addditif alimentaire pour l’homme ou les animaux ou comme amendement pour le sol. Il peut aussi servir à produire du carbonate de calcium purifié, ou un biomatériau composite pour des implants orthopédiques et dentaires. Enfin, les particules de coquilles peuvent remplacer les microbilles de plastique dans les cosmétiques. Dans le second cas, il peut être utilisé comme catalyseur dans la production de biodiesel, l’isomérisation du lactose ou la synthèse du carbonate de diméthyle. Et comme sorbant pour l’élimination ou l’immobilisation de polluants dans l’air, les sols ou les liquides.
En particulier, le carbonate de calcium purifié a de nombreuses applications industrielles : dans le bâtiment comme matériau de construction ou comme ingrédient dans le ciment ou le mortier. Dans la papeterie, il donne du brillant et de la souplesse au papier. Il peut aussi être utilisé comme matière première dans le verre, les peintures ou les colorants.
Quelle valorisation favoriser ?
Actuellement, le processus de co-compostage est le seul mis en oeuvre à l’échelle industrielle, comme au Portugal. « Compte tenu des propriétés des déchets de coquilles d’oeufs et des propriétés du sol dans de grandes régions d’Europe (pH acide et faible teneur en carbone organique du sol végétal), la production de compost enrichi en calcium obtenu par compostage semble être une approche particulièrement intéressante pour une économie circulaire », analysent les chercheurs. C’est d’ailleurs la valorisation qui semble être promue par la réglementation européenne, soulignent-ils.
D’autres études ont également soulevé des applications innovantes des coquilles d’oeuf. Des chercheurs anglais les ont utilisées pour mettre au point un pansement ultracicatrisant. Ce pansement de 10 cm de côté aide à guérir les plaies chroniques plus rapidement. Des chercheurs chinois ont créé une carte mémoire ultrarapide à partir de coquilles d’œufs écrasées. Nommée ReRAM, elle pourrait ouvrir la voie à des ordinateurs plus rapides et plus écologiques. De leur côté, des chercheurs américains ont fabriqué des pneus en utilisant des peaux de tomate et des coquilles d’œufs.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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