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La contamination des thons au mercure reste stable depuis 1971

Posté le 1 mars 2024
par Matthieu Combe
dans Environnement

La lutte contre la contamination au mercure présente des défis persistants, selon une nouvelle étude révélant que les niveaux de mercure dans le thon demeurent inchangés depuis 1971. Et ce, malgré les efforts pour réduire les émissions de ce contaminant toxique.

Le mercure est un contaminant répandu qui peut se convertir naturellement en méthylmercure dans les écosystèmes marins. Il est associé à des déficits neurocognitifs chez les fœtus et les enfants, ainsi qu’à des effets cardiovasculaires chez les adultes. L’exposition des humains au méthylmercure se fait principalement par la consommation de produits de la mer. Au banc des accusés : les thons, poissons marins les plus consommés au monde. Ils peuvent accumuler des niveaux élevés de méthylmercure en se nourrissant de proies contaminées, telles que de plus petits poissons ou des crustacés. Les impacts mondiaux de l’exposition au méthylmercure sont estimés à 117 milliards de dollars par an.

Malgré les efforts déployés pour réduire les émissions de mercure dans l’environnement, notamment via la Convention de Minamata signée en 2013 et entrée en vigueur en 2017, des chercheurs français, en collaboration avec une équipe internationale, signalent dans Environmental Science & Technology Letters que les niveaux de mercure dans le thon semblent inchangés depuis 1971. Ils s’établissent sur la période autour d’un microgramme par gramme de muscle. Les chercheurs avancent donc la nécessité de fixer des objectifs de réduction des émissions de mercure plus drastiques afin de faire baisser ces niveaux dans le thon.

Des thons contaminés au mercure

Les chercheurs ont compilé des données précédemment publiées et leurs propres données sur les niveaux de mercure dans le muscle de thon dans près de 3 000 échantillons capturés dans les océans Pacifique, Atlantique et Indien entre 1971 et 2022. « Comme ils ne subissent pas de migrations transocéaniques, toute contamination trouvée dans les muscles des animaux reflète probablement les eaux dans lesquelles ils nagent et se nourrissent », souligne l’étude.

Les chercheurs ont ciblé les thons tropicaux, à savoir le thon albacore, le thon obèse et le listao. Ces thons sont des prédateurs de haut niveau, largement distribués et fortement exploités, constituant 94 % des prises mondiales de thon.

Après avoir standardisé les concentrations de mercure dans les thons en fonction de leur taille, l’étude relève des concentrations de mercure globalement stables à l’échelle mondiale, à l’exception du nord-ouest du Pacifique. Là, les concentrations de mercure dans les thons ont augmenté de manière significative à la fin des années 1990. Près de l’Asie, les concentrations de mercure dans le thon listao ont atteint des concentrations jusqu’à quatre fois plus élevées que celles observées ailleurs dans l’océan mondial. Cela suggère une contamination accrue le long des côtes asiatiques, proches de points chauds d’émissions de mercure.

À l’exception du nord-ouest du Pacifique, l’étude montre des concentrations de mercure stables à long terme dans les thons, mais une variabilité annuelle. Cette dernière reflète probablement des processus biogéochimiques et/ou écologiques naturels.

Un mercure « hérité » qui remonte des profondeurs

Si la contamination des thons reste stable dans la plupart des parties du monde, le mercure atmosphérique a diminué dans le monde entier au cours de la même période. Les chercheurs émettent donc l’hypothèse que cette stabilité du niveau de mercure dans le thon pourrait être causée par du mercure « hérité », remontant des eaux plus profondes (50 – 1 500 mètres). Ce mercure hérité aurait été émis des décennies auparavant, et ne reflète donc pas encore les effets de la diminution des émissions dans l’air. Il continue à alimenter les réseaux alimentaires océaniques en profondeur et en surface.

Ainsi, les résultats suggèrent que la baisse de la contamination dans les thons peut prendre des décennies suite aux mesures de réduction des émissions. « En raison du mélange ascendant de ce mercure hérité, le réservoir océanique de surface (0 à 50 mètres) met des années, voire des décennies, à réagir aux changements dans les émissions primaires », proposent les chercheurs.

Et pour demain ?

Les chercheurs ont également voulu simuler l’impact de trois politiques environnementales de plus en plus restrictives sur les niveaux de mercure océanique et de thon à l’avenir. Leurs modèles mathématiques suggèrent que même la politique d’émission la plus restrictive prendrait de 10 à 25 ans pour influencer les concentrations de mercure océanique. Puis, les baisses dans le thon suivraient des décennies plus tard.

Leurs résultats indiquent la nécessité d’un effort mondial pour réduire plus agressivement les émissions de mercure et un engagement envers une surveillance continue et à long terme du mercure dans la vie océanique pour évaluer l’efficacité des décisions politiques et des efforts de réduction par rapport à la santé humaine.


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