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Décryptage

La compensation carbone, un outil efficace qui doit regagner en crédibilité

Posté le par Pierre Thouverez dans Entreprises et marchés

Aujourd’hui, les entreprises ont la possibilité de compenser les émissions de GES inhérentes à leurs activités en finançant des projets permettant de réduire les émissions de CO2, ou de le séquestrer.

C’est ce que l’on appelle la compensation carbone. Ainsi, une entreprise, pour réduire ses émissions, va transférer de l’argent vers une autre entreprise, ou une organisation, qui met en œuvre des projets de séquestration de CO2. En ce sens, l’entreprise ne réduit pas ses propres émissions, d’où le terme de compensation. 

Il existe aujourd’hui deux types de compensation carbone : la compensation réglementaire, qui concerne certaines entreprises, dont les émissions sont plafonnées dans le cadre d’une réglementation internationale, comme le protocole de Kyoto. Au niveau européen, environ 11 000 sites industriels sont concernés, dans des secteurs d’activité tels que la production d’électricité et de chaleur, l’industrie lourde, les compagnies aériennes… Au niveau français, ce sont près de 1 000 sites qui sont impactés. Les entreprises concernées se voient attribuer des quotas d’émissions, et doivent racheter de nouveaux quotas, si jamais elles dépassent ceux qui leurs sont alloués. 

Les autres entreprises, c’est-à-dire l’immense majorité, ont la possibilité de compenser leurs émissions sur la base du volontariat. C’est la compensation volontaire. 

La compensation volontaire des émissions concerne des acteurs très variés : entreprises publiques, privées, particuliers, qui s’engagent à compenser leurs propres émissions de gaz à effet de serre pour des raisons qui leurs sont propres. De plus en plus, les grandes entreprises, voire les collectivités qui organisent des grands événements, comme les JO de Paris 2024 par exemple, se sentent investies d’une obligation morale et d’un sens de l’éthique, les poussant à participer à la protection de l’environnement, au-delà de la recherche de profits.

Dans les faits, ce sens de l’éthique glisse de plus en plus vers la stratégie marketing, ou green washing, car les entreprises ont bien compris que les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux problématiques environnementales. L’action de compensation est peu à peu devenue un argument de vente.

Le marché de la compensation carbone est un marché comme les autres, c’est-à-dire qu’il est soumis à la loi de l’offre et de la demande. La demande vient des organisations qui veulent compenser leurs émissions. En tout premier lieu, il convient pour ces dernières de faire un bilan carbone de leurs émissions, directes et indirectes. Une fois ce bilan effectué, l’entreprise va prendre, de manière volontaire, des engagements de réduction de ses émissions. 

Depuis 2017, de nombreuses entreprises françaises s’engagent dans des démarches de réduction “basées sur la science” (Science Based Target Initiative, SBTI), qui ont pour vocation à amener les entreprises vers la neutralité carbone.

Côté offre, on trouve des développeurs de projets, qui vont proposer des activités de réduction ou d’absorption des GES, et qui vont mettre en œuvre leurs projets suivant des exigences méthodologiques, qui permettront d’attester la crédibilité effective des projets. Les différentes méthodes sont érigées selon des standards nationaux et internationaux, dont la certification française “Label bas carbone”, et les standards internationaux Verra et gold standard

Ces standards vont déterminer le résultat du projet de réduction ou d’absorption, et accoucher de certificats de réduction, comme les fameux crédits carbone. 

Au niveau mondial aujourd’hui, ce certificat, qui équivaut à une tonne de CO2, a une valeur qui oscille entre 5 et 25 euros. Côté français, le label bas carbone délivre des certificats qui sont à 30 euros par tonne.

Les entreprises peuvent-elles, comme on le dit aujourd’hui, acheter des crédits carbone sans rien changer à leurs pratiques, juste pour redorer leur image ?

Depuis quelques années, plusieurs scandales ont éclaté, liés à des constatations, sur le terrain, que certains développeurs de projets ne respectaient pas les exigences des standards. Ainsi, les articles du Guardian, le scandale C-Quest Capital, entre autres, ont mis en lumières des pratiques qui mettent en doute la crédibilité des projets de compensation. 

Il est souvent difficile de savoir si les réductions sont additionnelles – c’est-à-dire si ces réductions n’auraient pas pu être mises en œuvre sans le projet de compensation – réelles et mesurables.

Les standard sont aussi accusés de laxisme, et de délivrer des certifications alors que les réductions d’émissions n’ont pas été effectives sur le terrain. 

Tous ces scandales ont poussé les acteurs du marché carbone volontaire à prendre des initiatives pour redevenir crédible. Comme par exemple l’initiative pour l’intégration du marché carbone volontaire, qui a établi dix principes directeurs en mars 2023, censés améliorer la qualité et l’effectivité des réductions d’émissions sur le terrain.

Les principaux standards internationaux étaient d’ailleurs à la COP 28 l’année dernière pour promettre solennellement d’appliquer ces principes. Les gouvernements aussi se sont impliqués, lors du G7 en 2022, pour redonner du crédit à la compensation carbone.

En novembre 2022, la Commission européenne a fait des propositions de règlement visant à encadrer la certification des absorptions de carbone. Dans la même veine, la Commission a également, en mars 2023, fait une proposition de directive concernant les allégations écologiques des entreprises, visant à vérifier l’intégrité des compensations que ces dernières utilisent pour revendiquer la neutralité carbone.

Ces avancées sont nécessaires dans un contexte de porosité de plus en plus grande entre le marché réglementé et volontaire, mais aussi pour faire de la compensation carbone un outil efficace de réduction des émissions, ce qu’elle est, et pas un argument marketing.

Pour aller plus loin

Posté le par Pierre Thouverez


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