Depuis des décennies, l’océan Arctique se réchauffe plus rapidement que la température moyenne des océans du reste du monde. Cette situation s’explique en partie par l’« atlantification » de l’Arctique, c’est-à-dire par des courants d’eau plus chaude et relativement salée venant de l’Atlantique Nord qui se déplacent vers l’Arctique. Le processus mis en œuvre est complexe et implique des interactions entre le système atmosphère-océan, mais son origine était jusqu’ici mal connue. Dans une étude publiée dans la revue Science, des chercheurs regroupant notamment ceux de l’université de l’Alaska de Fairbanks, révèlent que ce phénomène est lié à un facteur météorologique appelé le dipôle arctique.
Mis en lumière pour la première fois au milieu des années 1990, le dipôle arctique désigne un schéma de circulation atmosphérique qui se caractérise par des différences de pressions atmosphériques entre plusieurs régions de l’hémisphère nord. Il produit une configuration des vents qui génère des courants océaniques supérieurs qui ont des effets tout au long de l’année sur la température de l’air de la région, les échanges thermiques atmosphère-glace-océan, la dérive des glaces, ainsi que des conséquences biologiques. Les auteurs de cette étude ont identifié que les sens de circulation des vents ont pour effet de limiter ou alors de favoriser le déplacement des courants d’eau plus chaude vers l’Arctique.
Selon eux, le dipôle arctique actuellement à l’œuvre se déroule selon un schéma qualifié de positif. Il se caractérise par des hautes pressions sur la partie canadienne de l’Arctique et crée des vents dans le sens des aiguilles d’une montre. En parallèle, un système dépressionnaire est centré sur l’Arctique sibérien, avec des vents qui circulent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Ce schéma provoque une diminution du débit de l’océan Atlantique vers l’océan Arctique via le détroit de Fram à l’est du Groenland, ainsi qu’une augmentation du débit atlantique dans la mer de Barents, située au nord de la Norvège et à l’ouest de la Russie. Au final, cette configuration a un effet positif et permet de ralentir le déversement d’eau plus chaude vers l’Arctique et donc de limiter la fonte de la banquise.
Le dipôle arctique pourrait à nouveau avoir un impact négatif prochainement
Grâce à l’analyse d’une multitude de données, notamment des observations instrumentales directes, des produits de réanalyse et des informations satellitaires remontant à plusieurs décennies, les scientifiques sont parvenus à démontrer que le dipôle arctique alterne selon un cycle d’environ 15 ans et que le cycle actuel a démarré en 2007. Depuis cette date et jusqu’en 2021, il a donc contribué à réduire le déclin de la glace de la mer arctique par rapport à la période précédente allant de 1992 à 2006. Ces dernières années, il apparaît que l’épaisseur que la couche d’eau froide de l’océan Arctique en surface a augmenté, la rendant trop épaisse et trop stable pour se mélanger avec l’eau plus chaude et salée qui circule en dessous et en provenance de l’Atlantique. Cette couche d’eau froide et moins dense empêche actuellement l’eau de mer plus chaude de faire fondre la glace.
Mais selon les chercheurs, le cycle actuel approche très probablement de sa fin et ils estiment que le dipôle arctique pourrait passer en mode négatif prochainement et donc avoir pour effet de participer à l’accélération de la fonte de la glace. « Nous avons dépassé le sommet du régime dipolaire arctique actuellement positif, et il pourrait s’inverser à tout moment, déclare Igor Polyakov, l’auteur principal de cette étude. Cela pourrait avoir des répercussions climatologiques importantes, notamment une perte de glace dans la mer potentiellement plus rapide dans les systèmes climatiques arctiques et subarctiques. »
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