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L’ASNR débute sur fond de divergences

Posté le par Stéphane SIGNORET dans Énergie

À l’issue de la fusion forcée de l’IRSN et de l’ASN, une nouvelle entité a vu le jour début 2025. La désormais Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection doit encore faire la preuve qu’elle pourra laisser vivre l’indépendance et la recherche des experts de l’ex-IRSN en son sein, ainsi que la transparence de ses décisions.

En ce début de 2025, une nouvelle entité a vu le jour : l’ASNR (Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection). Voulue par le Gouvernement, elle est censée « répondre au défi de la relance de la filière nucléaire », comme elle l’annonce sur son site internet. Les premiers pas de cette autorité administrative indépendante (AAI) préfigurent-ils une réussite en la matière ? Rien ne permet de l’affirmer, et encore moins si on regarde les tensions internes dues à sa création.

En effet, l’ASNR est le produit de la fusion de deux structures préexistantes : l’IRSN et l’ASN. De la première, qui était un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), elle hérite des missions d’expertise, de recherche, de formation et de dialogue avec la société civile. De la seconde, qui était déjà une autorité administrative indépendante depuis 2006, elle endosse les missions de réglementation, de contrôle et d’information.

D’un côté près de 1 600 salariés qui restent de droit privé et sont reconnus internationalement pour savoir élaborer des avis d’experts fondés scientifiquement. Et de l’autre environ 450 agents publics dédiés à leur mission de « gendarme du nucléaire ». Le précédent fonctionnement avec deux entités différentes, mais complémentaires, puisque l’IRSN réalisait des études pour l’ASN, permettait à la France d’afficher une bonne réputation sur la sûreté nucléaire et la radioprotection.

Peu de synergies administratives et des questions budgétaires

En demandant leur regroupement début 2023, le Gouvernement d’Élisabeth Borne a suscité de nombreuses interrogations sur la pertinence d’une entité unique. Le projet controversé a fait l’objet d’une large mobilisation à son encontre, ce qui a permis son report d’environ un an. Mais le projet a été repris par le Gouvernement de Gabriel Attal et inscrit dans la loi promulguée le 21 mai 2024.

La fusion des deux anciennes entités – l’ASNR préfère parler de « réunion » – est très loin d’avoir réglé les questionnements, tant sur la forme que sur le fond. Au niveau de la gestion, même si certaines directions support ont été regroupées, on constate peu de synergies, les équipes étant encore chacune sur leur site. « Il y a surtout des incertitudes sur le fonctionnement. Vu les différences de statut – privé d’un côté, public de l’autre –, on se retrouve avec des incohérences. Par exemple, le logiciel de gestion Chorus utilisé par l’ASN ne sait pas traiter les activités de l’IRSN. Ou la responsabilité en hygiène, sécurité et environnement (HSE) ne s’exerçant juridiquement pas de la même manière, nous attendons de connaître la nouvelle organisation pour en évaluer les impacts, sachant que l’ASNR accueille les risques inhérents aux expérimentations que les équipes de l’ex-IRSN mènent avec des hautes températures, de la radioactivité, des courants forts, etc. On ne sait pas non plus si l’ASNR pourra récupérer la TVA comme le faisait l’IRSN, ce qui fait 20 millions d’euros de moins dans nos finances », explique François Jeffroy, délégué syndical central CFDT de l’ASNR.

Ce trou fiscal contribue à l’incertitude budgétaire. En l’absence de vote du budget 2025, l’État a reconduit le budget 2024 : l’ASNR va se retrouver en 2025 avec un manque de l’ordre de 15 millions d’euros dû à l’augmentation de la masse salariale inscrite dans la loi de création de l’Autorité, ainsi que la disparition des 60 millions d’euros que l’IRSN recevait auparavant de la part des exploitants des installations nucléaires de base.

De plus, l’IRSN avait des contrats de recherche, dont une soixantaine cofinancée par la Commission européenne. Leur transfert à l’ASNR se fera-t-il sans encombre ? Pour l’instant, en l’absence de réponse de l’Europe, l’incertitude est aussi de mise.

« La cohérence de cette nouvelle entité unique serait qu’on ait un état d’esprit commun, mais les différences administratives génèrent des situations complexes et des questions autour de l’harmonisation des conditions d’emploi… On est loin de la simplification », ajoute François Jeffroy.

Une réelle interrogation sur l’indépendance

Sur le fond, les questions sont aussi nombreuses. Même si le nouveau président de l’ASNR, Pierre-Marie Abadie, n’est pas issu des anciennes entités, ce n’est pas le cas du Collège des Commissaires et du Comex, où les ex-dirigeants de l’ASN sont majoritaires en nombre. Les salariés de l’IRSN s’interrogent donc encore sur la façon dont le statut d’Autorité va permettre d’assurer réellement l’indépendance de l’expertise au regard des décisions.

Un règlement intérieur, obligatoire pour une AAI, est en cours de discussion entre la direction et les syndicats. Il doit être présenté le 16 janvier à l’OPECST. Une première version élaborée fin 2024 a été fortement critiquée par le Comité social et économique (CSE) de l’IRSN. Trois aspects majeurs ont été identifiés comme manquants, alors qu’ils avaient été prévus lors des débats au Parlement. Le premier concerne le fait que le règlement intérieur doit énoncer explicitement que l’expertise doit être cadrée, réalisée et conclue avant tout sur des bases scientifiques et techniques. « Autre aspect crucial : les experts ne répondent pas à des “commandes” ! Ils doivent répondre à une demande dont ils aident à définir le contenu, ils doivent pouvoir conduire l’expertise sous leur seule responsabilité, et ils doivent avoir une capacité d’auto-saisine », insiste François Jeffroy.

Le second aspect, en partie lié au premier, est le besoin de définir le rôle et les moyens du conseil scientifique comme le prévoit le Code de l’environnement. Ce dernier doit, selon le CSE, pouvoir évaluer la pertinence des programmes de recherche, en effectuer le suivi et en évaluer les résultats ; il doit pouvoir s’autosaisir ; et les modalités de nomination de ses membres doivent permettre d’assurer la pluralité des profils de compétence.

Le troisième aspect que le projet de règlement intérieur ignore est la publication de l’ensemble des avis d’expertise de l’ASNR. Il les limite en effet aux seuls avis préalables à une décision de l’Autorité. Or il existe bien d’autres avis qui ne relèvent pas du champ décisionnel, mais participent de la transparence nécessaire en démocratie. Le CSE estime même qu’un avis d’expertise peut être publié indépendamment de la décision qu’il est censé fonder si celle-ci n’est pas rendue dans un délai raisonnable.

L’année 2025 va donc être une année d’ajustement du fonctionnement de l’ASNR, avec encore beaucoup de doutes sur la façon dont le couplage entre l’expertise et la décision va se faire. Dans le meilleur des cas, une solution satisfaisante pour toutes les parties prenantes sera trouvée. Sinon, les divergences vont perdurer, mettant à mal la réputation de l’Autorité. Dans tous les cas, c’est une perte de temps et d’énergie pour la filière nucléaire française.

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Posté le par Stéphane SIGNORET


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