« Après un examen complet du dossier, y compris une analyse approfondie menée par le Département d’Etat, j’ai décidé que l’intérêt national des États-Unis serait mieux servi en refusant à TransCanada un permis présidentiel pour le pipeline Keystone XL ». C’est par ces mots prudents et bien choisis que John Kerry, secrétaire d’Etat américain et ancien candidat à la présidence, a annoncé la nouvelle avant de dérouler l’argumentaire présidentiel. Car si Barack Obama ne l’a pas annoncé en personne, il s’est fortement investi dans ce dossier qui le poursuit depuis le début de sa première présidence.
Enjeux
Keystone XL est un projet de pipeline géant reliant sur 1 900 km (dont 1 400 aux Etats-Unis) les sites d’extraction de sables bitumineux de l’Alberta (Canada) vers les raffineries texanes du golfe du Mexique. Cela revient à traverser les Etats-Unis du nord au sud sur six états. Il répond à un besoin canadien de traiter son pétrole lourd (nécessitant des processus de raffinage plus complexes) dont l’exploitation s’est accrue ces dernières années. Lancé en 2008 par le consortium TransCanada, il représente en fait une augmentation de capacité d’un oléoduc existant mais totalement congestionné par la hausse de la production canadienne. A pleine capacité, Keystone XL a pour objectif d’acheminer 830 000 barils de brut par jour.
Si les volumes sont impressionnants, les projets d’infrastructures énergétiques entre le Canada et les Etats-Unis ne sont en revanche pas inédits. Historiquement, le grand frère américain a toujours absorbé les excédents de production ainsi que 98% des exportations du pays. Mais la mise en exploitation massive des pétroles et gaz de schiste sur les terres de l’Oncle Sam a totalement changé la donne. Les Etats-Unis, qui ont une longue histoire pétrolière et une filière dédiée, sont devenus en quelques années le premier producteur du monde, devant l’Arabie Saoudite. Le marché et les infrastructures américaines ont rapidement été inondés de gaz et de pétrole, rendant les excédants canadiens moins désirables et surtout difficilement transportables. C’est pourquoi, faute de conduites suffisantes pour exporter le brut extra-lourd, les compagnies canadiennes ont eu recours de plus en plus au transport ferroviaire. Mais en juillet 2013, un convoi a déraillé dans la localité de Lac-Mégantic, faisant 47 victimes et rasant la ville entière. Cet accident a alerté l’opinion publique sur les dangers de ce type de transport et poussé Ottawa à faire pression sur Washington. Sans succès. Il est de notoriété publique que les relations américano-canadienne ne sont gère équilibrées…
Symbole
Dès son élection en 2008, Barack Obama a rompu avec la stratégie énergétique historique du pays, basée sur les énergies fossiles. La politique environnementale du président démocrate aura sans conteste été au centre des débats internes aux Etats-Unis, exception faite du Medicare (ou Obamacare). L’obligation faite aux électriciens de réduire de 32 % leurs émissions de dioxyde de carbone d’ici 2030 a fait grincer des dents. Il faut dire que 67,2% de la production électrique est générée par des combustibles fossiles (39% avec du charbon et 27% par du gaz naturel, et 1% de pétrole selon les chiffres 2014 de l’US Energy Information Administration). Le soutien au développement des énergies renouvelables s’est heurté au boom des pétroles et gaz de schiste, qui a considérablement augmenté la production d’hydrocarbures domestique. De fait, les prix ont baissé, et l’industrie pétrolière américaine, qui n’avait pas connu telle activité depuis longtemps, est revenue sur le devant de la scène économique. Le projet Keystone est devenu le symbole d’une filière renaissante, pourvoyeuse d’emplois, de retombées économiques, soutenue par l’industrie lourde (chimique au 1er rang) et les Républicains.
Comprenant les risques, la Maison Blanche a tout fait pour retarder la décision en jouant de manœuvres dont sont coutumiers les politiciens de Washington. Ainsi, sous la pression des Conservateurs, le Congrès vote en 2011 un texte obligeant le Président à prendre une décision. En vain. L’administration Obama a également joué sur les différents échelons de décision caractéristiques des Etats-Unis. En avril 2014, elle s’est ainsi appuyée sur un litige avec l’état du Nebraska pour suspendre la procédure d’évaluation. Grâce à tous ces reports, Barack Obama a gagné du temps et minimisé l’impact électoral qu’aurait eu un refus en pleines élections de mi-mandat. Il s’offre par ailleurs une crédibilité écologique bienvenue à la veille de la COP 21 à Paris.
Objectif Paris
Le timing observé sur le dossier Keystone est en effet loin d’être hasardeux : « Les Etats-Unis ne peuvent pas demander aux autres nations de faire des choix difficiles pour combattre le changement climatique si nous sommes incapables de les faire nous-mêmes. Refuser le pipeline Keystone XL est l’un de ces choix difficiles, mais il s’agit de la bonne décision pour l’Amérique et le monde », indiquait John Kerry. Un discours de bon augure pour la COP21 et qui montre un changement de perception majeur sur la question environnementale. Il faut en effet se rappeler qu’il y a moins de dix ans, les Etats-Unis ne voulait pas entendre parler de traité international contraignant en la matière. Barack Obama a d’ores et déjà annoncé qu’il voulait un accord ambitieux à Paris. Un moyen pour lui, à l’approche de la fin de sa présidence (les élections auront lieu le 8 novembre 2016), de marquer dans le marbre le virage écologique qu’il a initié. Reste à savoir dans quelle mesure cet engagement liera son successeur quel qu’il ou elle soit. Déjà, Marco Rubio, l’un des favoris des primaires Républicaines a prévenu : « Lorsque je serai Président, (le projet) Keystone sera approuvé et les politiques énergétiques d’un autre temps du Président Obama arriveront à terme ». Un symbole on vous dit…
Par Romain Chicheportiche
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