Le démonstrateur industriel opéré par GRTgaz a montré la faisabilité de développer le Power-to-Gas à une échelle industrielle, dans sa version Power-to-Hydrogen, mais aussi Power-to-Methane. Florent Brissaud-Delord, Chef de projet R&D Power-to-Gas au laboratoire Research & Innovation Center for Energy (RICE), nous présente les principaux résultats de l’expérimentation menée depuis 2019 à Fos-Sur-Mer.
Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le projet Jupiter 1000 et quel est son objectif principal ?
Florent Brissaud : Jupiter 1000 est un démonstrateur industriel de Power-to-Gas, situé à Fos-sur-Mer, mis en service en 2019 et opéré par GRTgaz. C’est un projet multipartenaire soutenu par la Commission européenne, l’ADEME, le Programme d’investissement d’avenir de l’État et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Avec Jupiter 1000, c’est la première fois qu’une installation de Power-to-Gas a atteint l’échelle du mégawatt en France. Ce projet est aussi unique par la diversité des technologies exploitées. En effet, nous faisons du Power-to-Hydrogen grâce à deux technologies d’électrolyse (alcalin et PEM). Une partie de l’hydrogène est ensuite combinée avec du dioxyde de carbone (capté depuis des fumées industrielles) pour faire du Power-to-Methane, avec une technologie innovante de méthanation catalytique. Enfin, l’hydrogène « vert » et le méthane de synthèse sont injectés directement dans le réseau de transport de gaz (alimentant trois clients industriels).
Le principal objectif de Jupiter 1000 est de montrer la faisabilité de développer le Power-to-Gas à une échelle industrielle, dans sa version Power-to-Hydrogen, mais aussi Power-to-Methane. Ce projet nous permet aussi d’accroître nos connaissances sur les technologies impliquées, d’évaluer et d’améliorer les systèmes et les pratiques d’exploitation et de maintenance autour de l’hydrogène, du dioxyde de carbone et du méthane de synthèse.
Quels sont les avantages de la technologie Power-to-Gas et comment Jupiter 1000 exploite-t-il cette technologie ?
Le premier intérêt du Power-to-Gas est de produire de l’hydrogène « vert ». Aujourd’hui, la majorité de l’hydrogène destiné aux usages industriels est obtenu par vaporeformage du méthane, très émetteur de dioxyde de carbone. La décarbonation de cet hydrogène est donc une priorité nationale et la solution actuellement la plus mature pour cela est le Power-to-Hydrogen.
Le gaz ayant l’avantage d’être facilement stockable en grande quantité et sur du long terme, le Power-to-Gas est aussi intéressant pour électrifier la mobilité (les véhicules à hydrogène utilisent des piles à combustible pour convertir l’hydrogène en électricité). C’est aussi un moyen supplémentaire pour produire du gaz (méthane ou hydrogène) renouvelable (en complément des autres procédés comme la méthanisation, la pyrogazéification ou la gazéification hydrothermale). Enfin, le Power-to-Gas permet de remédier à l’intermittence de l’électricité renouvelable, en offrant un moyen de stockage de cette énergie tout en augmentant les synergies entre les réseaux électriques et gaziers, ce qui constitue alors un nouveau levier de flexibilité et d’équilibre des systèmes énergétiques.
Le Power-to-Gas repose en premier lieu sur l’électrolyse, produisant de l’hydrogène (Power-to-Hydrogen) à partir d’électricité et d’eau. Pour que l’hydrogène soit « vert », il faut bien sûr que l’électricité utilisée soit décarbonée, ce qui est le cas à Jupiter 1000 où l’électricité provient d’un champ d’éoliennes opéré par la CNR. Actuellement, les deux principales technologies sont les électrolyseurs alcalins et ceux à membrane échangeuse de protons (PEM). Toutes deux ont été installées sur Jupiter 1000 par McPhy Energy, ce qui en fait un site unique d’expérimentation où nous testons avec l’aide du CEA chacune d’elles dans des conditions opérationnelles identiques.
L’électrolyse peut être complétée par une étape de méthanation, permettant de faire réagir l’hydrogène avec du dioxyde de carbone pour produire du méthane (Power-to-Methane). Sur Jupiter 1000, nous exploitons un méthaneur catalytique de type millistructuré, développé par Khimod et le CEA. Le dioxyde de carbone utilisé est issu de fumées industrielles du voisin Ascometal, capturé par un procédé Leroux & Lotz et acheminé par un « carboduc » de plus d’un kilomètre.
Quels sont les défis techniques auxquels vous avez été confrontés et comment ont-ils été surmontés ?
En tant que démonstrateur, Jupiter 1000 a été construit et mis en opération alors que les acteurs français de la filière hydrogène étaient encore en phase de maturation. Les technologies utilisées, que ce soient les deux électrolyseurs ou le méthaneur, ont toutes été perfectionnées durant la période d’exploitation et nous opérons aujourd’hui avec de nouvelles versions par rapport à celles mises en service initialement. De plus, lorsque certaines défaillances sont apparues, nous avons dû faire face à des manques de disponibilité des fournisseurs, ceux-ci déjà peu nombreux opérant dans un secteur en forte croissance. Bien évidemment, la période COVID a aggravé les choses… Bien que tout cela ait impliqué un report de l’échéance du projet, le retour d’expérience a été d’une richesse exceptionnelle.
Enfin, la conception et l’exploitation d’installations en hydrogène et en dioxyde de carbone étaient relativement nouvelles pour GRTgaz, expert depuis longtemps du méthane. Il a donc fallu mettre en place des formations spécifiques, notamment pour répondre aux enjeux de sécurité. La conception, la mise en service et l’exploitation de Jupiter 1000 nous ont permis de capitaliser des connaissances opérationnelles sur la maîtrise de la fiabilité, la maintenance et la sécurité de ce type d’installation.
Quels sont les résultats et les réalisations obtenus jusqu’à présent ?
À ce jour, la plupart des essais sur les électrolyseurs (alcalin et PEM) ont été réalisés. Cela a permis de valider globalement les performances d’un électrolyseur alcalin, en termes de rendement énergétique, de flexibilité et de dynamique de démarrage. Les performances de notre électrolyseur PEM ont été un peu en deçà de ce que nous envisagions, mais cela s’explique par certaines caractéristiques propres à notre système. Un des principaux résultats est que nous sommes capables de produire 1 kg d’hydrogène « vert » sous pression avec moins de 60 kWh d’électricité, soit un rendement énergétique « chaîne complète » de 66 %. À noter que plus des deux tiers de cette consommation énergétique sont dus à l’électrolyseur. Les technologies ayant évolué depuis (nos électrolyseurs datent de 2017), il est vraisemblable que le seuil des 70 % soit déjà dépassé pour les systèmes actuels.
Les performances du méthaneur ne sont pas encore connues, car les essais sont prévus en fin d’année 2023.
Des études économiques et environnementales sur le Power-to-Gas ont aussi été réalisées par le CEA pour le projet Jupiter 1000. À l’horizon 2035, un hydrogène « vert » à moins de 2 € le kilogramme est possible, avec un contenu carbone proche de celui du biométhane (obtenu par méthanisation). Concernant le méthane de synthèse, son coût au mégawattheure et son contenu carbone seraient en l’état d’environ deux fois supérieurs.
À noter que tous ces résultats sont détaillés dans l’article « Le Power-to-Gas – Technologies, enjeux et perspectives », publié aux Techniques de l’Ingénieur en mai 2023.
Quels sont les principaux résultats attendus à long terme du projet Jupiter 1000 en termes de production d’hydrogène et de gaz renouvelable ?
La fin du projet Jupiter 1000 est prévue en 2024. Nous aurons alors terminé les essais sur les chaînes Power-to-Hydrogen et Power-to-Methane, ainsi qu’un pilotage « intelligent » des installations où les démarrages et arrêts seront commandés « en temps réel » par les productions, consommations et prix de marché de l’électricité et du gaz.
Ces derniers résultats permettront aussi d’actualiser les études économiques et environnementales sur le Power-to-Gas.
Quelles sont les perspectives d’avenir pour son déploiement à plus grande échelle ? Le projet Jupiter 1000 pourrait-il être reproduit ou adapté dans d’autres régions ou pays ?
La France ambitionne d’atteindre une capacité de Power-to-Gas de 6,5 gigawatts à l’horizon 2030, objectif jugé atteignable par France Hydrogène au vu de la trajectoire actuelle des nouveaux projets. Si Jupiter 1000 a apporté le premier mégawatt de cet objectif, ses principaux apports seront sans doute son retour d’expérience que nous partageons autant que possible avec la filière pour atteindre les ambitions françaises en termes d’énergie renouvelable.
Deux voies distinctes sont explorées à Jupiter 1000 : la production d’hydrogène et la production de méthane de synthèse. Nous ignorons encore la part respective de ces deux filières dans l’avenir des énergies renouvelables. En parallèle du projet, la France a déployé une vision nouvelle de création de réseaux de transport d’hydrogène, assurant ainsi un débouché nouveau pour les unités de production à venir.
Les contributions de Florent Brissaud aux Techniques de l’Ingénieur
Florent Brissaud contribue en tant qu’auteur avec les Techniques de l’Ingénieur.
Webinar :
Voir le replay du webinar Le Power-to-Gas : Technologies, enjeux et perspectives du mardi 19 Septembre 2023.
En complément :
– L’article fondamental Qu’est-ce que le Power-to-Gas ?
– L’article de ressource documentaire Le Power-to-Gas – Technologies, enjeux et perspectives.
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