Interview

Jean-Noël Patillon : « Il faut s’assurer que toutes les données des entreprises françaises ne soient pas exploitées par les États-Unis. »

Posté le 6 août 2024
par Philippe RICHARD
dans Informatique et Numérique

La souveraineté des infrastructures informatiques est devenue le cheval de bataille de la France. Pour de nombreux acteurs, les offres cloud des GAFAM sont considérées comme un cheval de Troie pour mettre la main sur les données sensibles des entreprises hexagonales.

Afin de proposer une alternative aux Big Tech américains, la France a lancé PEPR Cloud. Co-piloté scientifiquement par le CEA et INRIA, ce Programme et Équipements Prioritaires de Recherche est doté d’une enveloppe budgétaire de 51 millions d’euros sur 7 ans. Il a pour objectif de proposer des avancées significatives sur la performance, la sécurité et la frugalité des infrastructures et services de cloud tout en mettant l’accent sur le transfert des solutions innovantes issues de la recherche vers l’industrie. Explications avec Jean-Noël Patillon, responsable du PEPR pour le CEA.

Jean-Noël Patillon est directeur adjoint de l’institut List du CEA, en charge notamment de la recherche et des programmes. Il co-pilote le PEPR Cloud en compagnie d’Adrien Lebre (INRIA).

Techniques de l’ingénieur : Quel est le principal objectif de ce programme ?

Jean-Noël Patillon : Le volume de données produites par les entreprises ne cesse d’augmenter. Mais de plus en plus de données sont hébergées dans des infrastructures appartenant à des entreprises américaines et il est fondamental de s’assurer que toutes les données des entreprises françaises ne soient pas exploitées par les États-Unis. Pour relever ce défi, il est nécessaire de faire monter en puissance la recherche dans le domaine des clouds et donc aussi les industriels français spécialisé dans ce domaine. Le PEPR vise ainsi au développement d’une alternative souveraine.

Le but ultime du PEPR Cloud est que toute la chaîne du cloud (de la donnée en passant par les technologies de calcul) soit distribuée. Ce serait en quelque sorte un « système d’exploitation distribué » comme Windows, mais disponible et accessible sur chacun des Edge computing qui auront été déployés.

En quoi consiste ce Edge computing ?

Il ne suffit pas de dire que nous sommes « souverains » pour l’être. Les acteurs français ne peuvent pas jouer dans la même cour que les GAFAM. Il faudrait des investissements colossaux pour pouvoir atteindre les masses critiques d’un Amazon par exemple. Aucun industriel français ne dispose de telles capacités. Il est donc nécessaire d’exploiter une autre voie, en l’occurrence la décentralisation des clouds avec cet Edge computing. Les données resteraient dans les entreprises, ce qui permettrait de garantir la souveraineté des données. Des informations pourraient être partagées, mais elles seraient anonymisées au préalable.

Au-delà de la problématique de la souveraineté des données, cette solution permettrait de réduire l’impact du cloud sur l’environnement.

Oui, l’empreinte carbone de ce type de cloud distribué serait réduite, car il y aurait moins de données qui transiteraient dans ces clouds de proximité. De façon générale, il s’agirait de réduire les coûts sur l’ensemble de la chaîne grâce à un cloud décentralisé. Une étude publiée par le MIT a démontré que sur la partie transport des données, on peut gagner un facteur 1 000 entre le recours à un cloud centralisé comme celui d’Amazon et une solution complètement distribuée.

Le PEPR cloud n’est pas la seule initiative allant dans ce sens. Manufacturing X (le « X » signifiant « Exchange » et symbolise l’échange de données) est une initiative européenne (soutenue en particulier par le gouvernement fédéral allemand) qui consiste à avoir du Edge computing dans les entreprises, donc au plus près des données, et que ces mini datacenters soient fédérés au sein d’un cloud.

Enfin, cette volonté de réduire l’impact énergétique est aussi partagée par un autre programme. Le PEPR Intelligence artificielle, s’attaque aux problèmes mathématiques pour concevoir des algorithmes qui soient moins énergivores que la genAI actuelle. Cela passerait notamment par un « transport » des données qui soit le plus frugal possible et des architectures de calcul permettant d’optimiser ces intelligences artificielles.

Le PEPR Cloud prévoit la mise en œuvre d’un banc d’essai sous forme d’une infrastructure expérimentale distribuée. Quel sera le rôle de cette plateforme ?

Elle jouera un rôle essentiel en fournissant les premiers éléments du nœud français de l’initiative européenne SLICES (Scientific Large-Scale Infrastructure for Computing/Communication Experimental Studies). La brique française, appelée SLICESFR, est construite à partir d’un projet PEPR cloud dénommé SILEX. Ce dernier s’appuie sur des infrastructures existantes de calcul et d’internet des objets. Ces deux infrastructures vont être renforcées par des équipements complémentaires.


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