Le projet est né d’un chalenge. Celui lancé à ses ingénieurs par le président du troisième constructeur mondial[1] d’engins de BTP, le groupe britannique JCB.
Il y a un peu plus de deux ans, en pleine montée de la pandémie de COVID-19, Anthony Paul Bamford – dit Lord Bamford, fils du fondateur qui a légué ses initiales au groupe, Joseph Cyril Bamford – a mis au défi son équipe R&D composée d’une centaine d’ingénieurs de concevoir rien de moins qu’un tout nouveau type de moteur : un moteur à combustion interne alimenté non pas par du gazole, mais par de l’hydrogène. Une voie alors encore quasi inexplorée dans le secteur des engins de chantier.
Aiguillonnés, c’est en l’espace de seulement quelques semaines que les ingénieurs sont parvenus à jeter les bases de cette innovation. Des mois de travail leur ont toutefois été nécessaires pour affiner ensuite la mise au point, puis l’intégration de ce moteur novateur dans un engin de chantier.
Un fonctionnement entièrement revu
« Il ne s’agit pas d’une conversion à l’hydrogène, mais bien d’une toute nouvelle technologie de combustion », assure Ryan Ballard, directeur de l’ingénierie des groupes motopropulseurs chez JCB. « Nous avons dû passer au crible la plupart des éléments du moteur et nous les avons entièrement repensés pour l’hydrogène », poursuit le responsable.
Partant de la base d’un moteur diesel conventionnel, les ingénieurs n’en ont conservé que les bases, « l’ADN du moteur », tel que les décrit Ryan Ballard. Ils ont en revanche complètement revu de nombreux éléments clés, à commencer par le système d’injection, qu’ils sont en outre venus compléter par un dispositif d’allumage commandé. Contrairement au gazole, l’hydrogène utilisé comme carburant n’est en effet présent dans la chambre de combustion qu’à des pression et température relativement basses. Une étincelle est donc nécessaire pour initier sa combustion. Partant de ce principe, les ingénieurs de JCB se sont ainsi également attelés au développement d’un système électronique de pointe destiné à assurer un contrôle précis de l’allumage. Et outre cet aspect, l’équipe de développement s’est concentrée sur trois autres points clés.
Le premier d’entre eux est le turbo. Les ingénieurs britanniques ont en effet développé un modèle de turbocompresseur spécifiquement pensé pour les besoins du moteur à hydrogène : capable de comprimer un important volume d’air, il offre aussi un temps de réponse extrêmement court.
Afin d’en optimiser les caractéristiques, le comportement du mélange air/hydrogène introduit dans les cylindres du moteur a également été scruté à la loupe par les ingénieurs JCB, à grand renfort d’outils de modélisation numérique.
Enfin, l’équipe s’est penchée sur un ultime problème, qui aurait pu réduire à néant le reste de leurs efforts : celui de la gestion des gaz d’échappement. Contrairement au diesel, les gaz rejetés par le moteur à hydrogène sont en effet relativement froids et, surtout, composés uniquement de vapeur d’eau. Un gaz qui a tendance à se transformer en liquide, formant ainsi des gouttelettes d’eau susceptibles d’enrayer le fonctionnement du moteur. Pour remédier à ce phénomène, les ingénieurs ont ainsi eu l’idée de lubrifier le moteur à l’aide d’une huile hydrophobe renforcée d’additifs empêchant la formation d’une émulsion au contact de l’eau.
Allumage, mélange air/hydrogène, suralimentation, et gestion de la vapeur d’eau… En parvenant à maîtriser l’ensemble de ces points clés, l’équipe a ainsi donné naissance à un moteur à hydrogène de 55 kW aux performances en tous points comparables à celle de son équivalent diesel. « Les propriétés de combustion uniques de l’hydrogène permettent au moteur de fournir la même puissance, le même couple et le même rendement que ceux dont bénéficient les machines JCB actuelles, mais sans émission de CO₂ » s’est ainsi félicité dans un communiqué le président du groupe, Lord Bamford.
En route vers la production à grande échelle
Alors que le constructeur britannique annonçait début décembre la sortie de chaîne de production du cinquantième exemplaire de ce moteur zéro émission – toujours pour des besoins de développement –, JCB en a déjà équipé plusieurs de ses machines : chargeuses-pelleteuses et chargeurs télescopiques. Des machines qui, si elles ne sont pas encore produites en série, sont en tout cas parfaitement fonctionnelles. La production à grande échelle devrait quant à elle démarrer fin 2023 et ouvrira ainsi la voie à un élargissement de la gamme d’engins animés par le moteur hydrogène à combustion interne imaginé par JCB dans le cadre de sa stratégie « Road to zero ». « Ces équipements disposeront des mêmes caractéristiques de vitesse, de chargement et d’excavation que ceux alimentés par du carburant d’origine fossile », souligne Tim Burnhope, directeur de l’innovation.
Des engins qui devraient en outre bénéficier peu ou prou de la même autonomie, grâce à un réservoir d’hydrogène installé en lieu et place du réservoir de gazole, et dont le coût ne devrait se révéler qu’à peine plus élevé que celui de leurs homologues diesel.
Si des concurrents tels que le constructeur français Manitou ont eux aussi révélé s’atteler au développement de moteurs à combustion interne alimenté à l’hydrogène, JCB semble en tout cas pouvoir se targuer d’être le premier à avoir pleinement relevé le défi. Un pari à 100 millions de livres sterling lancé – l’histoire le retiendra sans doute – en pleine crise sanitaire mondiale.
[1] Troisième constructeur mondial en volume, numéro un sur le segment des chargeurs télescopiques et des chargeuses-pelleteuses.
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