Charles-Alexandre Concedieu, Directeur commercial des Solutions Eau chez ITRON, nous a expliqué les enjeux de la digitalisation des compteurs et détaillé les stratégies à mettre en place pour lutter contre les pertes en eau.
ITRON innove pour permettre aux services publics et aux villes de gérer l’énergie et l’eau.
Son portefeuille de réseaux intelligents, de logiciels, de services, de compteurs et de capteurs offre à ses clients une plus grande visibilité et un meilleur contrôle de leurs systèmes de distribution.
Présent dans plus de 100 pays, ITRON fournit des solutions dotées d’une intelligence accrue qui améliore la sécurité, la fiabilité, la résilience et la durabilité de la distribution de l’énergie et de l’eau.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les activités d’ITRON ?
Charles-Alexandre Concedieu : Le groupe est surtout connu, en France et en Europe, comme fabricant de compteurs. Bien qu’ITRON soit une société américaine, le groupe a souhaité garder une holding en France, car il était très important de faire perdurer le savoir-faire et la qualité de la fabrication française, acquis depuis plus de 150 ans auprès des entités publiques.
Aux États-Unis, en revanche, ITRON ne fabrique pas de compteurs, mais propose des solutions de connectivité, dont les cartes de communication intégrées dans les compteurs. Une fois installées, ces cartes permettent d’exploiter nos solutions d’analyse de données, reconnues dans le monde de l’éclairage public connecté, puisque nous avons 85 % de part de marché sur l’éclairage public connecté aux États-Unis.
Pour les collectivités, à quels enjeux la digitalisation des compteurs d’eau répond-elle ?
Cela fait une quinzaine d’années qu’ITRON propose ses solutions de digitalisation des compteurs. Pour les collectivités, l’intérêt est d’avoir accès à des applicatifs leur permettant d’analyser leurs propres données, en rendant les compétences hydrauliques plus accessibles.
En ce qui concerne la gestion de l’eau, l’intérêt de remonter ces données n’est pas uniquement de faire de la facturation, même si c’est un point essentiel, c’est aussi un moyen de détecter des défauts techniques ou des anomalies sur le réseau.
En effet, il faut savoir qu’un compteur fabriqué par ITRON est capable de remonter pas moins de 32 informations différentes : compteur bloqué, module arraché, sous-dimensionnement, surdimensionnement, consommation anormalement haute ou basse, etc.
Ces informations, collectées par ITRON, peuvent alors être croisées avec d’autres données à disposition de la collectivité : volumes injectés dans le réseau, consommation par secteur hydraulique, capteurs de pression, etc.
Le croisement des données de production et d’exploitation permet ainsi aux collectivités de travailler d’une part sur l’amélioration du rendement des réseaux et d’autre part sur la préservation de la ressource.
En cas de fuite, quelles sont les possibilités d’action des collectivités ?
Nous proposons deux axes de travail. Le plus connu, celui qui semble le plus évident, est le cas de figure de la canalisation cassée, qui doit être réparée ou remplacée (la France a 50 ans de retard sur la rénovation de ses réseaux d’eau), mais ce n’est pas le seul.
Pour comprendre, il faut revenir à la définition de rendement du réseau, autrement dit la différence entre ce qui est produit et ce qui est consommé. Car les pertes d’eau ne sont pas toujours où l’on croit ! En France, on considère que 20 % de l’eau produite n’est jamais facturée. Sur ces 20 %, 70 % sont de réelles fuites présentes sur le réseau, mais pour les 30 % restants, les causes sont directement liées au comptage de l’eau (ou à son absence).
Ces anomalies de comptage peuvent avoir de multiples origines : compteur inexistant, branchement sauvage, compteur défaillant, mal dimensionné, mal relevé, etc.
Pour une collectivité, faire la distinction entre ces deux sources de pertes est capital. En effet, si l’eau provenant d’une fuite sur le réseau d’eau potable peut représenter 70 % des pertes, l’impact est limité en termes financiers puisque sa valeur équivaut au coût de production qui est de 20 centimes le m3, en moyenne. Néanmoins, c’est un défi environnemental majeur pour les années à venir et la préservation de la ressource.
En revanche, pour l’eau provenant de problèmes de comptage, l’enjeu financier est bien plus important, puisque l’eau a bien été consommée, mais jamais facturée. Sachant que le m3 d’eau facturé et assaini est autour de 4 € le m3 (20 fois plus que le m3 produit), ces pertes ont donc un impact non négligeable sur les finances des collectivités ! C’est un des outils immédiats pour augmenter la capacité d’investissement dans la lutte contre les pertes réseau.
Quelle stratégie proposez-vous aux collectivités pour traquer ces pertes en eau ?
Bien entendu, nous considérons qu’il faut travailler sur les deux axes. Mais nous pensons qu’il est bien plus simple et rentable de commencer par s’attaquer au problème des m3 consommés et non facturés.
Grâce à notre savoir-faire d’hydraulicien et à nos décennies d’expérience sur les compteurs, nous savons identifier rapidement toutes sortes d’anomalies. Grâce à la démocratisation de la télérelève, il est dorénavant possible, en une semaine, d’avoir une vision claire de la situation, alors qu’il fallait attendre un an avec la relève manuelle.
Nous donnons ainsi aux collectivités les moyens d’agir rapidement pour récupérer les sommes injustement non perçues. Une fois récupéré, cet argent peut ensuite être réinvesti sur le deuxième volet, particulièrement coûteux : la mise en place de programmes de surveillance acoustique des réseaux et leur rénovation.
Par ailleurs, nous sommes conscients que certaines collectivités n’ont pas les moyens financiers et humains pour détecter la dérive des compteurs et mettre en place les actions correctives. Pour les convaincre qu’il est pertinent d’investir dans nos solutions, nous avons un argument fort : l’obligation de résultat.
En clair, nos études préalables sont des prestations de service intellectuelles. Elles sont facturées si le client dégage des économies. C’est donc la preuve que nous sommes certains de trouver des anomalies ! De plus, il ne faut pas oublier que la prestation est ponctuelle, mais que les bénéfices se répercuteront chaque année.
Y a-t-il une accélération de la demande ? Comment voyez-vous l’avenir ?
Cela fait plusieurs années que nous constatons une explosion des demandes concernant nos solutions de gestion intelligente de l’eau. Nous avons observé une progression de +53 % en 3 ans sur la partie compteurs connectés !
La sécheresse de 2022 a aussi été un événement majeur qui a marqué les consciences collectives, les amenant à sérieusement s’y intéresser. Les capacités à financer les projets de télérelève ont alors augmenté, pour les ARS et les conseils généraux, et l’arrivée du Plan Eau en 2023 n’a fait que confirmer cette tendance.
De nouveaux financements sont envisagés, notamment pour la mise en place des réseaux de communication radio, ce qui va aussi libérer des fonds pour l’achat de compteurs communicants, sans lesquels ces réseaux seraient plus difficilement amortissables.
Enfin, il faut savoir que, depuis 2020, tous les appels d’offres en délégation de service public demandent au minimum l’option de télérelève et dans 75 % des cas celle-ci est imposée. C’est la preuve d’une transformation profonde du marché français !
Les collectivités se sont donc saisies du sujet vital de la gestion de l’eau et ITRON veut être là pour les accompagner dans cette transition. Malheureusement, les prévisions de sécheresse du GIEC pour les années à venir nous donnent raison.
Cela est néanmoins rassurant : le monde de l’eau est bel et bien en train d’opérer sa transition vers un vrai suivi de la ressource, mais avec 15 ans de retard par rapport à l’électricité et au gaz. Nous allons vers un pilotage de la production au plus juste, de type smart grid et avec de fortes différences territoriales et saisonnières.
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