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Interview

Yumana, une solution digitale pour encadrer l’intrapreneuriat en entreprise

Posté le par Pierre Thouverez dans Entreprises et marchés

L’entreprise Yumana propose à ses clients des plateformes en SaaS d’innovation collaborative. Ces plateformes permettent de soutenir la mise en place des programmes d’intrapreneuriat initiés en interne par ces entreprises.

Née de la fusion en juin 2020 de deux acteurs majeurs dans la fourniture de plateformes en SaaS pour l’innovation collaborative, Ayno et MyCrowdCompany, l’entreprise Yumana fournit aujourd’hui à ses clients, entre autres, des solutions digitales pour gérer les dispositifs d’intrapreneuriat.

Céline Degreef, CEO de Yumana

Céline Degreef, CEO de Yumana, a répondu aux questions de Techniques de l’Ingénieur sur la mise en place de ces dispositifs dans les grandes entreprises : enjeux pour les différents secteurs de l’entreprise, pour la gestion de leurs collaborateurs… Mais aussi évolution des méthodes de travail, de l’innovation : l’intrapreneuriat fait évoluer les groupes qui choisissent d’y recourir.

Techniques de l’Ingénieur: Quels services propose Yumana à ses entreprises clientes ?

Céline Degreef : Nous fournissons à nos clients une plateforme clé en main qui leur permet de développer des dispositifs d’intrapreneuriat mais également d’innovation collaborative. Les dispositifs d’intrapreneuriat sont les plus ambitieux mais aussi les plus complexes à gérer pour une entreprise.

Nous travaillons avec des entreprises de tous secteurs confondus. Parmi elles, il y a plusieurs grands groupes qui utilisent notre plateforme pour gérer leur dispositif d’intrapreneuriat. Dans un groupe comme Safran par exemple, notre plateforme qui supporte le programme d’intrapreneuriat réunit environ 90 000 collaborateurs.

Quelles sont les attentes des grands groupes qui développent l’intrapreneuriat par rapport à l’utilisation de plateformes collaboratives d’innovation ?

Deux choses sont très attendues de cette plateforme : d’abord, le fait de pouvoir proposer des idées. Ensuite, une fois qu’une idée est sélectionnée, la plateforme va permettre d’identifier des sponsors, de faire des appels à financement, et d’accélérer les projets en ciblant les collaborateurs motivés et aptes à s’investir.

Quelles seront les différences au niveau de la plateforme selon le nombre de collaborateurs concernés par son utilisation ?

En fonction de la taille de nos clients, l’approche n’est pas du tout la même. La solution que nous proposons est digitale, elle est ensuite paramétrée en fonction des besoins spécifiques du client. C’est fondamental : la taille de l’entreprise, mais aussi ses attentes par rapport à l’outil développé, ses objectifs en termes d’innovation, de gestion RH… Cela dépend vraiment des objectifs du client. Pour Safran par exemple, la volonté est d’être disruptif : cela favorise l’émergence d’idées et de projets qui sont totalement en-dehors du corps de business de l’entreprise.

Pour d’autres entreprises, la volonté sera de rester sur de l’innovation incrémentale : comment développer de nouveaux services avec les outils déjà présents au sein de l’entreprise, par exemple, dans le but d’améliorer l’existant.

Vous preniez l’exemple de Safran. Est-ce que cette volonté de faire émerger des idées disruptives est quelque chose que l’on retrouve de plus en plus au sein des grands groupes industriels ?

Pas forcément. Cela va vraiment dépendre de leur stratégie sur tout ce qui touche à l’innovation. Safran n’a défini aucune thématique pour orienter les collaborateurs sur certaines idées structurantes. Ils ont fait le choix de rester totalement ouverts.

Plus généralement, l’entreprise cadre les réflexions et les idées des collaborateurs en fournissant des axes de travail, en lien avec la stratégie de l’entreprise, des problématiques spécifiques à résoudre…

Cela a aussi trait à la gouvernance de l’entreprise : à quel point veut-on laisser les collaborateurs s’exprimer, par exemple. Toutes ces données sont fondamentales pour que nous puissions développer une plateforme cohérente et efficace. Il est indispensable pour nous de bien comprendre comment l’entreprise veut utiliser l’outil et pour quelles finalités.

Un secteur comme l’industrie est-il plus adapté que d’autres au développement de plateformes d’intrapreneuriat ?

Pas forcément. Cela dépend en fait vraiment de la culture de l’entreprise. Dans des groupes comme LVMH ou Richemont par exemple, il y a une culture entrepreneuriale qui permet de faire émerger beaucoup de nouvelles idées de projets. Ce foisonnement est encouragé par le top management, il est dans l’ADN de l’entreprise. Dans d’autres entreprises, s’il n’y a pas de cadre, les collaborateurs vont avoir beaucoup plus de difficultés à s’approprier l’outil et à proposer de nouvelles idées. Cela peut même se révéler contre-productif. C’est pour cela qu’il est très important pour nous de bien appréhender la culture de l’entreprise et le contexte dans lequel on va développer des outils d’intrapreneuriat. C’est grâce à cette analyse que nous pouvons proposer un service adapté aux besoins de l’entreprise cliente.

Nous prenons aussi en compte le cycle de vie de l’innovation, qui varie selon les secteurs d’activités. Pour reprendre l’exemple de Safran, nous pouvons être amenés à développer des projets d’innovation qui peuvent durer une dizaine d’années. Dans des secteurs comme le retail, pour des grandes entreprises comme LVMH par exemple, les cycles sont beaucoup plus courts. Cela fait partie des paramètres à prendre en compte.

Peut-il y avoir une forme de collaboration entre le secteur R&D d’une entreprise et l’activité d’intrapreneuriat ?

Dans certains secteurs d’activités, la R&D est un moteur très puissant pour l’entreprise. Dans ce cas, on voit plutôt se développer des programmes d’intrapreneuriat orientés sur des périmètres disjoints de ceux de la R&D, afin de ne pas créer de potentielles tensions. Ceci dit, on trouvera aussi des entreprises au sein desquelles un porteur d’idée issu du programme intrapreneurial va collaborer avec un département R&D au sein de son entreprise pour développer son projet. C’est ce qui s’est passé chez Thales, à l’occasion de la création de la Digital Factory. Le groupe a décidé d’investir massivement pour accélérer l’innovation et la transformation numérique, en créant plusieurs entités à travers le monde afin d’incuber des startups du numérique et les accélérer, entre autres. Cependant, cet investissement ne remet pas en cause l’activité R&D préexistante sur le numérique au sein du groupe. D’ailleurs, les projets qui sont sélectionnés pour être passés au moule de la Digital Factory, s’ils sont validés, vont ensuite être réintégrés chez Thales dans une business unit du groupe. Cet exemple illustre aussi ce que l’intrapreneuriat permet en termes de timing. En multipliant les projets et en les testant rapidement, l’intrapreneuriat offre une agilité qu’on ne retrouve pas au niveau de la R&D, où les projets sont conduits sur du plus long terme. Il y a un aspect très complémentaire qui permet de manager l’innovation de manière différente.

Pour une entreprise, quels vont être les grands enjeux liés au développement de l’intrapreneuriat ?

Il y a deux grands enjeux quand on lance un programme d’intrapreneuriat. D’abord un enjeu RH : comment garder les talents ? Comment leur proposer une autre façon de collaborer ?

Le second enjeu, bien sûr, est économique : comment développer de nouveaux business models, de nouveaux services, de nouveaux produits. Selon moi, il faut retrouver ces deux enjeux dans un programme d’intrapeneuriat. Si l’on choisit de ne se concentrer que sur l’aspect RH, cela traduit une certaine tendance à ne pas être très orienté sur le résultat. En cas de crise, le programme d’intrapreneuriat sera souvent arrêté, faute d’enjeu financier. Si à l’inverse c’est le prisme business sur lequel le programme se concentre, dans ce cas l’intrapreneuriat n’est pas forcément l’outil adapté : la croissance externe, les alliances ou la recherche de partenaires externes paraissent être des moyens d’actions plus efficients.

Quel taux de participation des collaborateurs observez-vous sur les plateformes collaboratives installées chez vos clients ?

Un de nos clients, une entreprise qui emploie 145 000 collaborateurs à travers le monde, présente un taux de participation qui est d’environ 10%. C’est très élevé. Cela traduit le fait que dès qu’un appel à idée est lancé sur la plateforme, il y a beaucoup de foisonnement, de propositions… Comme je le disais tout à l’heure, pour les entreprises comme LVMH où Richemont par exemple, ce dynamisme et cette culture de l’innovation font partie de leur ADN. Il n’est donc pas surprenant de constater que les collaborateurs participent de manière importante.

Mais le taux de participation n’est qu’un indicateur parmi d’autres. L’avantage de la plateforme pour les salariés est qu’elle leur permet également de se positionner sur des projets de leurs choix selon leurs envies, leurs compétences… Aussi les collaborateurs ont la possibilité de mettre en avant sur la plateforme leurs propres compétences, ou des thématiques sur lesquelles ils ont envie de s’investir. C’est une manière assez innovante pour les salariés de se valoriser au sein de l’entreprise.

Est-ce que les démarches d’intrapreneuriat initiées par les entreprises, notamment via des plateformes comme celle proposée par Yumana, ont tendance à limiter les départs de collaborateurs désireux d’entreprendre par eux-mêmes ?

Dans certains cas, des projets sont sélectionnés par le programme d’intrapreneuriat, accélérés puis arrêtés à un moment, pour une raison ou pour une autre. Si le porteur du projet veut continuer à travailler dessus, il peut être amené à quitter l’entreprise. Cela arrive. Mais plus globalement, j’aurais tendance à dire que les collaborateurs ayant une âme d’entrepreneur, auront tendance à quitter l’entreprise de toute façon, un jour ou l’autre, pour se lancer. Pour ces derniers, le fait qu’il y ait ou pas un programme d’intrapreneuriat ne change pas la donne. Par contre, pour ceux qui n’ont pas forcément envie d’assumer tous les risques liés à l’entreprenariat, l’intrapreneuriat est une solution très pertinente. Il y a un confort certain à rester salarié, tout en développant des projets innovants via l’intrapreneuriat : la possibilité d’être sponsorisé, de profiter des compétences de l’entreprise, l’accompagnement RH, la puissance d’une grande structure…

Enfin, il y a aussi la gestion de l’échec : un projet qui échoue n’a pas les mêmes répercussion selon que l’on est intrapreneur ou entrepreneur. La faculté à se relever, pour l’intrapreneur, est bien plus importante. Du coup, il est beaucoup plus facile pour lui par la suite de passer à autre chose et de repartir dans un processus de création de projet, avec plus d’expérience. Cette résilience est plus difficile à maintenir pour les entrepreneurs.

Quelles sont les prochaines étapes pour l’intrapreneuriat ?

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins : les programmes d’intrapreneuriat lancés par des grands groupes, il y a quelques années, font l’objet d’un suivi quant à leurs résultats. On commence à avoir un recul suffisant pour évaluer ce que ces programmes apportent aux entreprises, autant d’un point de vue RH que d’un point de vue business. Ce qui est certain aujourd’hui, c’est que le soutien du top management quant à la démarche d’intrapreneuriat est fondamental. Sans cela, le dispositif dans son ensemble reste tributaire d’aléas qui le fragilisent.

Propos recueillis par Pierre Thouverez

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