Quel était le problème rencontré par le constructeur automobile ?
Si un moteur thermique produit un important vrombissement, ce n’est pas pour autant désagréable à l’oreille. C’est un son à basse fréquence, parfois même valorisant pour l’acheteur.
En revanche, le bruit électrique dont la haute fréquence a tendance à beaucoup varier peut émettre des sifflements intempestifs peu mélodieux et pénibles à la longue. C’est de la psycho acoustique, il y a des bruits qui ne sont pas forcément très forts mais qui sont déplaisants.
Renault a donc décidé de s’associer à nous pour trouver l’origine du bruit et le supprimer, afin que la voiture électrique silencieuse soit vraiment silencieuse !
Pour cela, il nous a fallu trouver une solution qui fonctionne sur la majorité des modèles, une solution générique, une base de modélisation identique qui nous permette d’ajuster seulement quelques paramètres lors de la conception d’un nouveau groupe motopropulseur.
Quelles sont les compétences dont vous avez eu besoin pour mener à bien cette mission ?
Pour ce projet AVELEC (Acoustique de Véhicules ELECtriques), nous avons eu besoin d’unir les compétences de Renault aux nôtres. Il s’agissait de décloisonner des compétences assez éloignées les unes des autres : mécanique vibratoire, acoustique, électrique, magnétique, électronique de puissance.
Pour ma part, j’avais déjà travaillé avec Alstom sur cette problématique acoustique, sur les tramways en centre-ville. Mais chaque moteur a ses spécificités et il n’est pas toujours possible de transposer une solution sur une autre modélisation.
D’où vient ce bruit indésirable perçu par l’automobiliste ?
On fait de la conversion d’énergie dans un moteur. L’idée, c’est de transformer de l’électricité en force mécanique mais les forces qui nous intéressent, ce sont les forces tangentielles et les forces radiales.
Les forces tangentielles sont orthogonales par rapport au rotor qui tourne (partie centrale du moteur) et produisent du couple. Mais comme le moteur est en trois dimensions, et le champ magnétique aussi, les forces sont également radiales. Ce sont des forces qui vont de l’intérieur vers l’extérieur, puis l’inverse, et qui font vibrer le stator.
Légende :
A savoir :
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Dans le moteur, il y a le rotor qui tourne, c’est la partie centrale, et le stator qui est statique et qui constitue la partie externe du moteur. C’est le stator, autour du moteur, qui crée le champ magnétique qui va donner l’ordre au rotor de tourner.
Il y a des forces d’interaction entre le rotor et le stator d’un moteur, certaines que l’on veut pour créer du couple, et d’autres que l’on ne veut pas et qui vont créer des vibrations qui peuvent générer un bruit audible.
Je vous donne un exemple : un haut parleur, c’est un dispositif électromagnétique. On y fait passer un courant dans un bobinage à différentes fréquences, le champ magnétique créé va interagir avec un matériau ferromagnétique sur lequel s’exerce une force.
Ce matériau mobile est relié à une membrane qui va faire vibrer l’air et ainsi émettre un son.
Là, il se passe exactement le même phénomène, sauf que dans le cas du haut parleur, c’est volontaire. Pour le stator, non. Si les forces appliquées dessus sont importantes, cela peut vibrer suffisamment pour créer du bruit.
Mais la vibration n’engendre pas forcément du bruit, du bruit audible en tout cas, parce que notre oreille a ce qu’on appelle une bande passante. Nous entendons bien entre certaines fréquences. Ce sont les sons audibles que nous cherchons à éliminer..
Ces sons proviennent majoritairement du moteur ?
En effet, le moteur est à l’origine de ces sons mais, parfois, ce n’est pas le moteur qui crée directement le bruit.
Le moteur crée une vibration. Il suffit que cette vibration se situe dans la bande-passante de l’oreille humaine et qu’elle ait une amplitude suffisamment importante pour que nous l’entendions.
Le vrai problème du bruit audible d’origine électromagnétique n’est pas son amplitude mais plutôt ses caractéristiques en fréquence qui forment des sons de type sifflements désagréables.
Mais si l’amplitude de vibration est trop petite pour que la vibration soit perçue par l’oreille, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y aura pas de bruit ! La vibration existe et peut se transmettre à n’importe quelle autre pièce de la voiture.
Si une petite pièce de métal, même éloignée du moteur tant qu’elle est reliée mécaniquement, produit une petite vibration, et si cette vibration a une résonnance, alors on peut entendre un sifflement. Même pour une force faible, on peut avoir un déplacement important.
A une échelle différente, c’est l’histoire d’écroulement de ponts malgré de faibles forces d’excitation. Le pont de Tacoma par la force du vent ou le pont d’Angers sollicité par une armée en marche au pas. La fréquence de la force des pas de l’armée passant sur le pont était semble-t-il identique à la fréquence à laquelle le pont entre en résonnance. Résultat : après plusieurs oscillations impressionnantes, le pont s’est écroulé.
Le moteur lui-même ne génère pas toujours le bruit, mais peut donc faire vibrer une pièce qui va résonner parce qu’elle aura une fréquence de résonnance qui correspond à l’excitation.
C’est ce qu’on appelle le bruit solidien. Via un solide, on transmet une vibration, et c’est une autre pièce qui va se mettre à faire du bruit.
Il faut savoir qu’une force exercée sur un matériau donne un déplacement plus ou moins grand en sortie. De plus, si la force est appliquée à une fréquence de résonance le déplacement est amplifié.
Sur le stator d’un moteur, il y a des forces d’origine électromagnétique qui vont générer ou non des déplacements et s’il y a un déplacement, alors il y a une onde acoustique qui est générée.
Avez-vous trouvé LA solution ?
Oui, en partie, nous avons développé un outil capable de modéliser un grand nombre de types de machines électriques, d’identifier la source du problème, de modifier soit la conception du groupe motopropulseur soit sa commande et de maîtriser ainsi les vibrations.
L’optimisation de la conception passe par le choix optimal et l’agencement optimal des matériaux (cuivre, fer, isolants, air, etc.). Il faut savoir que l’air entre le rotor et le stator est le lieu d’interactions magnétiques cruciales pour la génération des forces.
Changer un détail peut faire toute la différence au niveau du comportement vibratoire et de l’acoustique.
Côté commande, nous avons travaillé sur les courants électriques. Certains moteurs sont alimentés par un courant continu, d’autres par un courant alternatif.
A première vue, pour un moteur à courant alternatif, une allure parfaitement sinusoïdale comme le délivre EDF paraît idéale. Cependant pour faire de la vitesse variable une fréquence et une amplitude fixes ne sont pas acceptables. Or, l’électronique de puissance embarquée dans le véhicule qui effectue cette variation modifie en même temps le contenu harmonique du signal.
Résultat : on ne fabrique pas seulement la fréquence dont on a besoin mais également d’autres fréquences, des harmoniques de courant parasitaires qui vont se traduire en harmoniques de champ magnétique et en harmoniques de force. Ce sont ces forces supplémentaires inutiles qui vont être à l’origine des vibrations.
La difficulté est de trouver une solution sans jamais dégrader les rendements de base du groupe motopropulseur, de concilier objectifs (maîtriser le comportement vibratoire et acoustique) et contraintes (conserver de bons rendements et de bons niveaux de couple sans augmenter les dépenses d’énergie).
Quelles sont les perspectives de développement ?
La thèse est confidentielle pendant trois ans. Mais nos travaux permettent déjà à Renault de mieux maîtriser les problématiques acoustiques et de mieux comprendre les moteurs existants. Il existe déjà des prototypes qui exploitent nos études et qui donnent d’excellents résultats. La commercialisation n’est pas pour tout de suite. Nous faisons de la recherche pour préparer l’avenir…
Propos recueillis par Iris Trahin.
Fiche du projet AVELEC |
Partenaires Industriels : Renault, Reginov, Vibratec, Adetel Equipement, Cedrat Universitaires : Laboratoire d’Electromécanique de Compiègne (LEC) Financeur : Programme Pôle de Compétitivité – Fonds Unique Interministériel (FUI) géré par OSEO Innovation Budget Durée du projet |