Apparemment la révolution de l’hydrogène est en marche. La voiture à hydrogène serait prévue pour 2015 et de nouveaux procédés de production voient le jour, tel que celui consistant à créer un catalyseur pour produire de l’hydrogène à partir du soleil et de l’eau (des matières premières, donc).
Après une formation de base mixte physique-chimie/sciences de la Terre et avoir obtenu un doctorat en « sciences de la Terre », à l’université de Grenoble 1, Muriel Andreani a fait 4 années de postdoctorat (CDD de recherche) avant de réussir le concours de « maitre de conférences » a l’université Lyon 1 en 2008. Elle enseigne aujourd’hui en sciences de la Terre, au sein de « l’Observatoire des Sciences de l’Univers » (OSU), qui est une unité de l’université Lyon 1 et est rattachée, pour sa recherche, au Laboratoire de Géologie de Lyon (lgltpe.ens-lyon.fr), qui possède 3 tutelles: Lyon 1, l’ENS de Lyon et le CNRS.
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Pouvez-vous présenter l’équipe qui travaille avec vous ?
Nous sommes une équipe spécialisée en minéralogie/pétrologie expérimentale, nous possédons un savoir-faire pour étudier les propriétés et la réactivité des roches sous haute pression et haute température. Ces conditions sont représentatives des environnements allant de la subsurface (ex. réservoirs, fond des océans) jusqu’au manteau terrestre.
Les personnes qui ont participé à l’étude qui nous concerne aujourd’hui sont: Isabelle Daniel, professeur de minéralogie à Lyon 1et directrice adjointe de l’OSU ainsi que Marion Pollet-Villard, étudiante de master 2, qui est désormais en thèse à Strasbourg, dans sa région d’origine.
Quelles sont vos missions au sein du Laboratoire de Géologie de Lyon ?
Je m’intéresse de manière générale aux « interactions entre fluides et roches* » dans différents contextes géologiques. Ces interactions ont essentiellement lieu dans les premiers kilomètres de l’écorce terrestre, là ou l’eau liquide peut percoler. Cela peut donc concerner aussi bien des processus d’érosion des surfaces continentales que des problèmes liés au stockage de déchets ou de CO2. Bien sûr, la nature des réactions et leurs conséquences dépendent de la nature des roches et des fluides mis en présence.
Je travaille principalement sur les réactions qui ont lieu au fond des océans, à l’endroit où se situent les dorsales. C’est à ce niveau que l’on observe les plus belles manifestations d’interactions entre l’eau de mer et les roches du plancher océanique. C’est-à-dire au niveau des systèmes hydrothermaux océaniques (fumeurs). Les fumeurs sont de grandes cheminées de sulfures pouvant faire plusieurs mètres de haut. Elles se forment au niveau des dorsales, là où se localisent les sorties de fluides chauds après leur circulation dans le plancher océanique.
Dans quel but ?
Notre objectif est de mieux comprendre ces réactions naturelles qui ont de nombreuses implications, fondamentales et sociétales. En voici quelques-unes :
- Elles pourraient être a l’origine des premières molécules organiques, précurseurs de la vie.
- Elles produisent en continue des minéralisations métalliques (sulfures) et des gaz (H2, CH4) d’intérêt économique.
- Elles sont le lieu de stockage naturel du CO2 sous forme minérale (précipitation de carbonates minéraux).
*Il s’agit d’étudier les réactions chimiques qui ont lieu lorsque des roches rencontrent des fluides, c’est à dire des liquides comme H2O et/ou des gaz (ex : CO2, H2O vapeur).
Comment procédez-vous ?
Mon approche est double :
- Je participe a des campagnes océanographiques qui étudient ces sites naturels et qui permettent de récupérer des échantillons de roches et de fluides à proximité des sources. Il peut s’agir de campagne en mers nationales, avec les moyens de la flotte française, principalement gérée par l’IFREMER. Dans ce cas, nous avons les moyens de faire des relevés géophysiques ainsi que des prélèvements d’échantillons rocheux et de fluides en sortie des cheminées hydrothermales. Pour cela, nous utilisons soit le Nautile et ses bras articulés, soit un petit robot nommé Victor. Il existe également des campagnes océanographiques internationales, gérées par le programme International Ocean Discovery Program (IODP); dont la devise est d’explorer la terre sous la mer. Dans ce cas, il s’agit le plus souvent de missions de forage du plancher océanique jusqu’à des profondeurs de l’ordre de 1,5 kilomètres maximum. De cette manière, des carottes de roches sont récupérées et peuvent être analysées.
- J’essaie de reproduire ces réactions en laboratoire, pour mieux les comprendre, mieux prédire leurs conséquences et éventuellement les optimiser en vue d’applications sociétales. Cela nécessite une simplification du système au départ, pour aller vers des systèmes chimiques de plus en plus proches de la réalité. Au départ, nous avons juste de l’olivine et de l’eau, chauffée entre 200 et 300°C. Ensuite nous pouvons complexifier ce système en utilisant une eau dont la composition chimique est plus proche de la réalité. Dans notre cas, nous avons ajouté du Sel (NaCl) pour se rapprocher de l’eau de mer et nous avons rajouté une source d’Aluminium (Al), qui est un élément abondant des minéraux associés à l’olivine dans la nature.
Puis je compare en permanence les résultats obtenus avec ces deux approches pour avancer.
« De l’hydrogène produit avec des pierres et de l’eau » Pouvez-vous nous expliquer cette nouvelle méthode de production d’hydrogène ?
C’est au niveau des dorsales que cette réaction est la plus efficace. En effet, l’olivine réagit avec l’eau de mer chauffée en profondeur par l’activité magmatique sous-jacente (les dorsales étant des rides volcaniques). Cela produit un nouveau minéral à la place de l’olivine, la serpentine (verte, avec une texture maillée, de peau de serpent), en plus d’oxydes de fer et d’un dégagement de dihydrogène. On appelle cette réaction la « serpentinisation ».
Cela signifie que le Fer (Fe2+) contenu dans l’olivine s’oxyde au contact de l’eau de mer (un peu comme quand le fer rouille). Cela entraine la dissociation de la molécule d’eau (H2O) responsable de cette oxydation. Elle se réduit en Dihydrogène (H2) et en oxygène. Cet oxygène rejoint le fer pour former des oxydes de fer.
Cette méthode est directement inspirée des réactions naturelles observées depuis plus de 20 ans à certains endroits sur terre: le long des dorsales (au niveau des fumeurs), ou sur le continent là où des fragments de roches océaniques (roches de la lithosphère océanique) ont été exhumées par la tectonique des plaques. C’est le cas par exemple en Oman, ou en Nouvelle Calédonie. En bref, partout où des roches du manteau (péridotites, roches riches en olivine) sont mises en contact avec de l’eau chaude.
Cela suggère que cette réaction est très répandue, et qu’elle peut avoir lieu dans des conditions P-T assez variables. Il semble que la réaction soit efficace avec des températures comprises entre 200 et 350°C et des pressions allant de quelques centaines de bars à quelques kilobars. Cela a été reproduit expérimentalement.
Sur le continent, on observe des dégazages d’hydrogène que nous attribuons à cette même réaction pour des pressions de quelques dizaines de bars, et pour des températures qui seraient autour de 100°C. Mais cela n’a pas encore été reproduit expérimentalement.
Comment l’idée est-elle née ?
Nous avons essayé de reproduire les réactions naturelles de production de Dihydrogène (H2), à partir des composants naturels. Les expériences précédentes ont été réalisées avec des systèmes chimiques plus ou moins simplifiés, et ont toujours abouti à des vitesses de réactions très lentes (de plusieurs semaines à plusieurs mois pour faire totalement réagir l’olivine).
Nous avons eu l’idée d’introduire de l’Aluminium (Al) dans notre réacteur car c’est un élément abondant dans les systèmes naturels, qui se trouve dans des minéraux fréquemment associés aux roches à olivine (dans des silicates comme le feldspath ou les pyroxènes par exemple).
Ce simple ajout d’Al accélère la réaction de 1 à 2 ordres de grandeur, ce qui la rend, pour la première fois, intéressante et envisageable à une échelle de temps industrielle.
Quels sont ses avantages ? (source d’énergie propre…)
Cette réaction demande juste des pierres et de l’eau. Elle ne nécessite pas de réactif carboné, contrairement aux procédés actuels qui dominent la production de H2 : reformage de gaz naturels, ou d’hydrocarbures, et qui rejettent donc du CO2.
La serpentinisation a lieu dans des conditions de températures relativement basses par rapport à la température normalement nécessaire à la décomposition de l’eau (>700°C). Les roches à olivine sont abondantes en mer mais aussi à la surface de la Terre. Pour donner une idée, en Oman, il existe environ 21 000 km³ de peridotites. Or la serpentinisation produit théoriquement 3 kilogrammes de H2 (soit 36 m³ en conditions ambiantes, standards) à partir d’1 m³ d’olivine. (soit 1g de H2 produit par Kg de roche).
Comment ce procédé est-il susceptible de se développer dans un futur proche ? (utilisation industrielle ?)
Il est encore difficile d’identifier avec certitude des champs d’applications. Nous n’en sommes qu’au tout début. En effet, nous venons juste de trouver un moyen de rendre cette réaction envisageable, grâce à son accélération. La prochaine étape est de changer d’échelle – c’est-à-dire de reproduire cette réaction avec de plus gros volume – notamment dans un réacteur pilote, d’échelle intermédiaire entre nos expériences préliminaires de laboratoire et un réacteur d’échelle industrielle. Cela permettra aussi une meilleure estimation des aspects techniques et économiques – le « coût » étant un facteur déterminant à l’éventuelle exploitation de cette réaction. C’est pour cette raison que nous devrons nous entourer de spécialistes du domaine.
Par quelles actions se traduit la coopération du CNRS et de l’École Nationale normale supérieure avec le Laboratoire de géologie de Lyon ?
Le laboratoire de Géologie de Lyon possède 3 tutelles: CNRS, ENS de Lyon et université Lyon 1. Cela se manifeste par 3 dotations de base et par du personnel affilié à une de ces 3 tutelles au sein du laboratoire. Le laboratoire possède également des locaux sur le campus de l’université et sur l’ENS de Lyon. les personnels se répartissant en fonction de leurs activités et de la disposition du matériel de recherche dont ils ont besoin.
Pour le présent travail, nous avons été en partie financé par une fondation américaine, qui finance un gros projet international pour la recherche sur le carbone, au sens large. Notre travail a été mis en avant sur leur site internet, où vous pourrez peut-être trouver des informations complémentaires :
deepcarbon.net/feature/scientists-discover-quick-recipe-producing-hydrogen
deepcarbon.net/feature/aluminum-catalyzes-serpentinization
Ce procédé pourrait permettre de mieux comprendre l’origine de la vie. Pourquoi ?
Car l’origine de la vie nécessite la formation « abiotique » (cad. purement à partir de procédés non biologiques) de composés organiques (carbonés), précurseurs des molécules du vivant (ARN, ADN, etc..). Une source principale de carbone sur la terre primitive est le dioxyde de carbone (CO2 magmatique). Une façon de réduire ce CO2 en composés organiques (C-O-H-…) est de le faire réagir avec un puissant réducteur comme le dihydrogène.
La serpentinisation fournit ce dihydrogène, dans des zones océaniques, protégées des rayons UV, et ou le dioxyde de carbone est abondant. Les roches à olivine étaient aussi très abondantes sur la Terre à ses origines. Les conditions sont donc favorables à la production et à la préservation de composés organiques précurseurs. Ensuite, le passage de ces composés organiques aux molécules du vivant plus complexes n’est pas encore bien compris, mais les surfaces minérales pourraient jouer un rôle.
Par ailleurs, des écosystèmes (bactéries) primitifs, qui ont un métabolisme basé sur le dihydrogène, ont été observés au niveau des zones de serpentinisation. La vie peut donc perdurer dans ces environnements.
Un autre point intéressant, est que l’olivine est l’un des minéraux les plus abondants du système solaire. Il est notamment présent sur Mars, tout comme la serpentine. Une meilleure compréhension de ces réactions peut donc permettre de mieux comprendre l’évolution de planètes comme Mars, et en particulier la possibilité d’apparition de la vie, qui est peut-être similaire à celle de la Terre ?
Par Sébastien Tribot
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