Techniques de l’Ingénieur : Les nouvelles normes et les matériaux innovants vont révolutionner la construction dans les années à venir. Cela peut-il tourner au casse-tête pour les directeurs de chantier ?
Williams Pauchet : La base de la direction de chantier consiste à la mise en œuvre des produits et des matériaux. A partir d’un cahier des charges précis, le maître d’œuvre doit diriger son chantier pour qu’au final, il n’y ait pas de problèmes de réalisation, pas d’erreurs techniques, et donc pas de surcoût.
Par contre, en termes de réduction des dépenses énergétiques et des nouveaux labels, il va falloir se préoccuper de la mise en œuvre de ces produits et matériaux que les Maître d’Œuvre connaissent peu. Leur rôle va essentiellement être de vérifier de la bonne mise en œuvre et de la conformité de leur installation par rapport aux clauses techniques du chantier.
On se trouve aussi très souvent face à des architectes ayant la double casquette de concepteur et maître d’œuvre. Pour ces derniers, les évolutions sont plus importantes.
Oui, cela arrive très souvent. Dans ce cas de figure, l’architecte a alors la responsabilité au niveau de la conception et de la mise en œuvre des nouveaux matériaux, dans le respect du cahier des clauses techniques et des nouvelles normes.
Il s’agit donc, en termes de formation, de leur expliquer comment on doit gérer un chantier du début à la fin : gestion, mise en œuvre, cohérence avec le CCTP, vérifications, réception…
Les chantiers de construction sont tous très spécifiques. Comment adapter vos formations à cette réalité ?
Il est effectivement nécessaire pour nous d’adapter les formations à la spécificité des chantiers. Mais plus généralement, c’est tout l’enjeu qui entoure l’activité de direction de chantier : il faut s’adapter en permanence.
L’important est que les gens qui sortent de nos formations soient capables de diriger un chantier, avec une méthodologie, ce qui n’est pas toujours le cas, et de faire appliquer la réglementation et les normes de construction. Ce sont ces manquements qui entrainent des surcoûts de chantiers et des contentieux parfois très importants.
Justement, quelles sont les causes de surcoût sur un chantier ?
La plupart du temps, les surcoûts viennent de cahiers des clauses techniques particulières (CCTP) qui ne sont pas bien réalisés (oublis, erreurs, recopiages d’anciens cahiers des charges…). Si le CCTP est mal conçu, le Maître d’Œuvre est contraint de s’adapter en permanence, et cela entraine irrémédiablement des surcoûts.
C’est d’ailleurs le travail essentiel de cette formation et de celle sur les CCTP, qui se fait au niveau de la méthodologie, de façon à ce qu’on arrive au terme de la formation en ayant supprimé les problèmes techniques, les soucis d’approvisionnement, de gestion… qui engendrent tous des surcoûts en partie évitables.
Les nouvelles normes sont aussi à l’origine de difficultés pour les architectes et les maîtres d’œuvre.
Oui. Notamment les nouvelles normes sur les économies d’énergie et le label BBC. Il y a beaucoup de nouveaux produits qui se mettent en place et les acteurs n’ont pas forcément connaissance de la mise en œuvre de ces nouveaux produits.
Et la mauvaise mise en œuvre de ces produits pose énormément de problèmes …
Bien sûr. Par exemple, considérons les maisons de bois. Les mauvaises utilisations de certains types de bois ou mélanges de bois entrainent des problèmes, pas forcément tout de suite, mais au bout de deux ou trois ans : déformations de structure, de façade…
La méconnaissance des nouveaux matériaux fait que les architectes ont une tendance lourde à se restreindre à prescrire des matériaux et des techniques ayant fait leurs preuves depuis longtemps, le choix récurrent du béton (blocs de) étant un bon exemple de cette « timidité » dans le choix des matériaux.
Le coût induit par le choix des matériaux reste un facteur de décision important non ?
Il y a évidemment un problème de coût. Si on considère les nouvelles normes type RT2012, et les « règles handicapés » et les contraintes réglementaires, on arrive à un surcoût global de 17 à 20 %, ce qui constitue clairement un obstacle à la construction.
Par ailleurs les explications fournies pour la RT 2012 au niveau de l’ensemble de sa mise en œuvre ne permettent pas aux architectes d’avoir une vue claire quant aux moyens à mettre en place en fonction du résultat à obtenir, ce qui est très problématique.
Mais ces surcoûts peuvent-ils être compensés par la durabilité des matériaux ou leurs nouvelles fonctionnalités ?
Il est encore trop tôt pour évoquer ces économies, puisque ces amortissements s’effectuent sur le long terme. Il est bien évident que l’attente d’un propriétaire lorsqu’il fait construire avec des matériaux innovants et donc chers, c’est de voir drastiquement chuter sa facture de consommation énergétique. Pour le moment, les amortissements sont trop longs : en moyenne plus de 20 ans à l’heure actuelle.
Selon vous, est ce que la mise en place des nouvelles normes et des nouveaux matériaux va entrainer à long terme la généralisation de l’utilisation de ces matériaux au détriment du béton par exemple ?
Des matériaux vont avoir tendance à disparaître pour laisser leur place à des matériaux plus performants et qui deviendront de moins en moins chers. Au niveau des bétons par exemple, ceux utilisés aujourd’hui sont de moins en moins énergivores à leur fabrication et les nouvelles textures des bétons techniques vont progressivement remplacer les bétons classiques.
Mais ces nouveaux matériaux resteront chers pendant un long moment, tant que l’on n’aura pas de recul par rapport à leur utilisation.
Par exemple en ce qui concerne les matériaux isolants, la multiplication de ces matériaux et de leur efficacité pose des problèmes, puisque on se retrouve face à des bâtiments qui ne réagissent plus que thermiquement et non plus réellement en matière de confort de vie puisqu’ils sont devenu hermétique en été (chauffage) comme en hiver (climatisation).
L’adoption généralisée d’un nouveau matériau nécessite donc d’avoir du recul sur les pathologies associées ?
Les pathologies apparaissent au fur et à mesure de l’utilisation des nouveaux matériaux mais aussi de leurs mises en œuvre.
On connaît certaines pathologies très bien. Les anciennes, qui persistent d’ailleurs toujours, et certaines pour des raisons de réduction des coûts, et les nouvelles sur lesquelles on continue d’apprendre. Mais les retours de pathologies sur les nouveaux matériaux se font au compte-goutte. Il va falloir du temps pour avoir une réelle connaissance sur le comportement de ces matériaux sur le long terme.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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Cet article se trouve dans le dossier :
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