Intégrer de hauts niveaux de solaire et d’éolien n’est pas un problème selon l’Agence Internationale de l’Energie
L’AIE vient de publier le rapport « La puissance de la transformation. Eolien, solaire et les aspects économiques des systèmes électriques flexibles ». Un document fort utile à l’heure des débats sur la transition énergétique.
Parvenir à des niveaux élevés d’éolien et de solaire photovoltaïque à l’échelle de l’ensemble des pays de la planète est possible techniquement. Ceci à un surcoût considéré comme « petit » par la directrice de l’Agence Internationale de l’Energie. Et même nul si l’on tient compte de l’évolution prévisible du coût des technologies et du prix du carbone.
« La pénétration de niveaux de 25% (systèmes inflexibles, par exemple au Japon) à 40% (systèmes flexibles, par exemple au Brésil) de la production annuelle est techniquement réalisable » affirment les experts de l’AIE.
Ces niveaux peuvent être augmentés davantage, atteignant plus de 50% dans les systèmes flexibles, si couper une partie des capacités ENR-V (énergies renouvelables variables) est accepté en période d’excès de production comparativement à la demande. Différentes approches permettent d’éviter de perdre cette production excédentaire.
Un surcoût limité, voire nul
Avec le modèle utilisé par les experts de l’AIE un système électrique qui passe de 0% à 30% d’ENR-V (1/3 d’éolien et 2/3 de photovoltaïque) conduit à un surcoût d’environ 7%. Et à un surcoût de 10 à 15% pour un passage de 0% à 45%. Le calcul est effectué sur la base des coûts actuels des technologies, or les coûts du photovoltaïque et de l’éolien vont continuer de baisser dans les années et décennies à venir.
En France, la part des ENR-V était de 3,7% en 2013. 2,9% pour l’éolien et 0.8% pour le solaire photovoltaïque. La variabilité de la production éolienne et solaire est source de nombreux débats, parfois très agités. Notamment en France suite à l’engagement du président de la République François Hollande de réduire la part du nucléaire de 75% aujourd’hui à 50% en 2025. C’est pour répondre de manière factuelle aux questions souvent posées que l’AIE a décidé de réaliser ce rapport.
Pour Maria van der Hoeven, directrice exécutive de l’AIE, « un système électrique transformé avec 45% d’éolien et de solaire dans la consommation annuelle – et donc 10 fois plus que dans la plupart des systèmes actuels – est un système qui est seulement 15% plus coûteux qu’un système qui ne possède pas du tout de solaire et d’éolien. Et cette petite augmentation de coût est estimée sur la base des coûts actuels des technologies et d’un prix modéré du carbone à 30 dollars la tonne. Dans le future l’éolien et le solaire auront un coût plus faible. Combiné avec une augmentation du prix de la tonne de carbone le surcoût du système pour des niveaux aussi élevé d’ENR-V peut être ramené à zéro. »
Quatre outils de flexibilité sont disponibles
« Il y a quatre ressources de flexibilité fondamentales » rappellent les experts de l’AIE. « Les centrales électriques flexibles, l’infrastructure électrique, le stockage et la gestion de la demande. »
Les centrales électriques flexibles ce sont les lacs de barrage (à ne pas confondre avec les STEP) et certaines centrales à gaz. Le surcoût quand on fait appel à ce type d’outil de flexibilité est inférieur à 3,5 centimes par kWh, voir inférieur à 1 centime d’euros dans les cas les plus favorables.
L’infrastructure électrique a un double intérêt : relier les sites de production ENR-V aux lieux de consommation et lisser la production éolienne et solaire sur une grande aire géographique, ce qui permet de tirer profit de la variabilité météorologique d’une région à l’autre. Le surcoût est inférieur à 1,5 centime d’euro le kWh.
Les technologies de stockage sont moins attractives sur le plan économique que les deux solutions précédentes. Néanmoins, dans les cas les plus favorables, le surcoût est inférieur à 2 centimes d’euros par kWh avec les STEP (Stations de Transfert d’Energie par Pompage). Dans le cas du stockage électrochimique avec batterie lithium le surcoût s’envole à plus de 14 centimes le kWh.
La gestion de la demande est une solution particulièrement économique, n’induisant un surcoût que de 0.5 centimes par kWh. Il s’agit, grâce aux nouvelles technologies de l’information, de réduire la demande des consommateurs pendant les périodes de faible production des ENR-V, de la différer aux périodes où cette dernière est importante.
Le Danemark, champion du monde de l’intégration des ENR variables
En 2012, les pays ayant eu les plus hauts niveaux d’ENR-V (éolien + photovoltaïque) sont le Danemark (34%), le Portugal (23%), l’Espagne (20%), l’Irlande (15%), l’Allemagne (12%) et l’Italie (11%).
L’Inde le Japon et le Brésil devraient selon les estimations atteindre 5% d’ENR-V en 2018, contre moins de 2% aujourd’hui, soit plus qu’un doublement de la part des ENR-V dans le mix électrique en seulement 5 ans.
Selon le “Scénario 450” de l’IEA World Energy Outlook, les ENR-V atteindront en 2035 un niveau de 31% en Europe-OCDE, 20% aux USA, 19% au Japon, 16% en Inde et 7% au Brésil, ce dernier disposant d’importantes ressources hydroélectriques ce qui réduit les besoins en ENR-V.
Le boom des ENR-V en Europe pose des problèmes au business-model des centrales thermiques traditionnelles
Dans un marché en forte croissance comme celui de l’Asie les ENR-V ne rentrent pas en compétition avec les capacités traditionnelles déjà en place. Elles permettent simplement d’aider les différents pays à faire face à la hausse de la demande électrique.
Mais dans un marché sans croissance comme l’Europe la situation est radicalement différente. Tout ajout de nouvelles capacités d’ENR, fluctuantes ou pas, entraine mécaniquement une pression économique sur les capacités traditionnelles en place, c’est mathématique.
Pour l’AIE il conviendrait que les responsables politiques ne se contentent pas de favoriser l’émergence des ENR-V mais que parallèlement ils accompagnent le déclin des centrales conventionnelles. Et qu’ils veillent à ce que les centrales les moins flexibles (charbon et nucléaire) ferment avant les centrales thermiques flexibles (gaz). Des dispositifs en faveur des centrales à gaz et des centrales hydroélectriques modulables d’appoint seraient les bienvenus: ces centrales sont nécessaires pour l’intégration de hauts niveaux d’ENR-V.
L’AIE insiste : il faut réfléchir et agir à l’échelle de l’ensemble du système électrique. Se contenter d’ajouter des capacités ENR-V n’est pas suffisant pour que la transition énergétique soit un succès s’inscrivant dans la durée.
La Scandinavie, un futur réservoir de flexibilité pour l’Europe ?
Selon les auteurs du rapport « European Renewable Energy Network » du parlement européen « les sites de production d’énergies renouvelables sont souvent loin des sites de consommation. L’éolien se trouve sur les côtes voire au large (Mer du nord, Mer d’Irlande, Baltique), le photovoltaïque en Europe centrale et du Sud. Il faudra donc améliorer et interconnecter les réseaux de transport d’énergie si l’Europe veut atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés. L’une des priorités serait de mieux connecter les zones de production en Scandinavie avec l’Europe centrale. Une autre priorité serait d’améliorer le commerce d’énergie entre l’Espagne, le Portugal et la France. »
Une étude de l’Institut Fraunhofer a montré qu’un renforcement idéal du réseau électrique européen permet de réduire de 90% les besoins en stockage en Europe. En supposant en parallèle une gestion optimale de la demande « les besoin résiduels en stockage sont de seulement 20 TWh, ce qui est équivalent à 2,2 jours de demande électrique européenne » soulignent les auteurs du rapport « European Renewable Energy Network » .
L’Europe dispose d’atouts naturels pour sa transition énergétique. En particulier le bouclier scandinave qui a été sculpté par l’érosion glaciaire générant ainsi une kyrielle de lacs naturels perchés en altitude. La Norvège possède, a elle seule, un réservoir hydroélectrique de 84 TWh. « La Norvège dispose d’une abondante ressource hydroélectrique, avec 50% de la capacité européenne en réservoirs » rappelle Steinar Bysveen, directeur général de Statkraft. « L’hydronorvégien a fournit le back up nécessaire aux investissements éoliens au Danemark. Le même concept peut être utilisé en Allemagne, au Royaume-Uni et dans le reste de l’Europe » affirme l’expert. « Passer à de hauts niveaux d’éolien dans ces pays requiert un système d’appoint. Nous pouvons le fournir grâce au pompage. Aujourd’hui, le niveau maximum d’hydroélectricité que nous pouvons délivrer est limité par le volume des précipitations pluvieuses ou neigeuses. Mais si nous pouvons pomper, alors nous pourrons délivrer tout ce que nous voulons. »
D’autres solutions de flexibilité ont été proposées par différents experts, telles que par exemple les STEP à eau de mer. Enfin une optimisation des unités hydrauliques modulables déjà en place dans les différents pays, y compris en France, permettrait d’améliorer significativement le périmètre de cet outil de flexibilité.
Selon un rapport qui vient de paraître et réalisé par l’un des Joint Research Centres de la Commission européenne, le volume actuel de stockage des STEP en France est de 184 GWh pour 5 GW de capacité, et le potentiel réalisable est de 4 000 GWh. Il est donc possible de le multiplier par un facteur 20.
Par Olivier Daniélo
En savoir plus :
> Le rapport du parlement européen à propos de l’intérêt d’un réseau électrique pour les ENR en Europe (« European Renewable Energy Network »)
> Le rapport d’un JRC de la Commission européenne à propos du potentiel du pompage-turbinage en Europe (« Assessment of the European potential for pumped hydropower energy storage »)
> La conférence « Pathways towards 100% renewable electricity system » par un expert du German Advisory Council on the Environment
Cet article se trouve dans le dossier :
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