ll y a aujourd’hui plus d’un million d’ingénieurs en France et de l’ordre de 200.000 chercheurs dans les domaines qui sont les nôtres, c’est-à-dire maths, physique, chimie, etc… Ces ingénieurs sont issus à 80% des grandes écoles, ce qui signifie qu’ils ont obtenu leur diplôme d’ingénieur d’un des 200 établissements d’enseignement supérieur accrédités par la Commission des titres des ingénieurs (CTI), organe légal créé par décret en 1934.
Contrairement à d’autres pays, il se trouve qu’en France le phénomène associatif est assez développé chez les ingénieurs, et que l’école qui les a formés est leur principal critère de regroupement. Ingénieurs et scientifiques de France (IESF) est l’organe représentatif de la profession, reconnu d’utilité publique depuis 1860. Cette fédération regroupe environ 180 associations, pour la plus grande partie des associations d’anciens élèves, une partie d’associations scientifiques (sociétés savantes) mais aussi des associations professionnelles (par exemple les ingénieurs experts auprès des tribunaux, ou bien les IPF qui sont des ingénieurs dont les compétences professionnelles sont régulièrement contrôlées et validées par des représentants de l’État). Le troisième type d’association que nous fédérons est ce que nous appelons les Unions régionales d’ingénieurs et de scientifiques (URIS). Il y a, en France, 25 de ces organisations régionales. Quelques sections internationales aussi.
Dans la mesure où nous sommes l’organisme représentatif de la profession d’ingénieur et de scientifiques en France, nos membres attendent de nous leur représentation auprès des pouvoirs publics, la valorisation de la science et de la technologie, et, bien évidemment, la promotion des métiers scientifiques. En découle de fait un aspect formation, et nous suivons de très près ce qui se passe dans l’enseignement supérieur, dans les universités comme dans les écoles d’ingénieurs, ainsi qu’à l’Education nationale : c’est non moins important, car si l’on ne veille pas à ce que suffisamment d’élèves choisissent les études scientifiques, on aura beau développer des écoles et des cursus universitaires, ça ne servira pas à grand-chose si les filières scientifiques ne sont pas approvisionnées. Ce défi est commun à la France et à tous les pays développés.
Mon dernier point est, je dirais, tout ce qui concerne la place de la profession, sa structuration, son éthique, son organisation. Un million d’ingénieurs, c’est près de 4% de la population active de ce pays. « Les ingénieurs » sont un phénoménal réservoir de compétences, de savoir-faire, d’intelligence, une source d’innovation. Il faut aussi savoir qu’aujourd’hui 15% des ingénieurs travaillent à l’international, ce qui veut dire qu’ils ont la connaissance, une expérience profonde, vécue, de pays auxquels la France souhaite s’intéresser. Ils constituent une ressource nationale, ce que nos dirigeants économiques ou politiques n’ont pas pris réellement en compte.
IESF mène plusieurs grands programmes, dont tout d’abord l’enquête annuelle très détaillée que nous effectuons depuis plus de 20 ans sur la situation des ingénieurs. Au début, il s’agissait juste d’une enquête salaires, puis elle s’est enrichie avec le temps et couvre à peu près tout ce que l’on peut avoir envie de savoir sur les ingénieurs, leur formation, leur secteur d’activité, leur fonction, leur perception des entreprises, leur salaire bien sûr mais aussi leur point de vue… Avec chaque année près de 50.000 réponses, c’est un échantillon statistique absolument parfait, qui nous donne un aperçu limpide de ce qu’est la profession, de ses difficultés, de ses attentes, de ce qui va et de ce qui ne va pas.
Un autre programme majeur est ce que nous appelons le Répertoire des ingénieurs français. C’est une base de données de plus de 800.000 noms dont nous sommes les dépositaires et dans laquelle on retrouve les ingénieurs diplômés de ce pays, avec leur nom, leur diplôme ainsi que l’année d’obtention et l’établissement qui le leur a délivré. Ce registre de la profession qui fait foi est mis à jour chaque année par les associations d’anciens ou les écoles. On me parle d’un taux de consultation qui dépasserait les 100.000 par mois. Ce qui traduit entre autres que DRH et chasseurs de têtes consultent notre Répertoire pour vérifier que les gens qui disent avoir un diplôme l’ont effectivement obtenu. Rappelons l’histoire récente d’un individu qui avait dirigé un aéroport régional pendant quelques mois avec de faux diplômes. Les entreprises veulent se prémunir contre ce genre de choses…
Nous avons également des « comités sectoriels ». C’est-à-dire que sur une quinzaine de grands secteurs (énergie, aéronautique, environnement, génie civil…) des spécialistes se réunissent à intervalles réguliers. Ils assurent une fonction de veille technologique, et maintiennent aussi une forme de cohérence entre les associations d’ingénieurs qui ont souvent leurs propres groupes professionnels. Ces comités ont également mission de publier de temps à autre des « white papers » matérialisant leurs études et le fruit de leurs cogitations, ainsi que des « position papers » pour permettre à IESF de s’exprimer et de communiquer correctement à l’occasion de grands débats nationaux ayant une incidence scientifique ou technique, ou bien lorsque se produit un événement majeur qui peut concerner la communauté des ingénieurs et scientifiques.
Le dernier point que je voudrais mentionner est le « Livre Blanc » des ingénieurs et scientifiques de France. En termes de communication, ingénieurs et scientifiques sont rarement en lumière, plutôt occupés à travailler. Souvent pointilleux, préférant être absolument sûrs de leurs déclarations, ils ont tendance à tout vérifier cinq fois avant de s’exprimer, et arrivent souvent avec retard dans les débats, une fois que tout est joué. Nous avons publié le Livre Blanc en novembre 2011 dans la perspective des élections présidentielles, au terme d’une large consultation qui a duré plus de six mois auprès des ingénieurs et scientifiques français à travers leurs associations. Nous leur avons demandé quels étaient pour eux les sujets importants, les priorités.
Assorti de 40 propositions pour réindustrialiser la France, le Livre Blanc est axé sur l’industrie, sur l’innovation, sur la formation au long de la vie, sur l’énergie, sur le développement responsable, sur la maîtrise des risques, enfin sur l’image de la science et de la technologie. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si ces thèmes ont été largement abordés par chacun des grands candidats tout au long de la campagne présidentielle.
Propos recueillis par Sébastien Tribot, journaliste scientifique
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