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Industrie textile : pollution et gaspillage à tous les étages

Posté le 29 novembre 2019
par Matthieu Combe
dans Environnement

À l’occasion du Black Friday, rencontre avec Majdouline Sbai, sociologue et auteure du live « Une mode éthique est-elle possible ? ».

Techniques de l’ingénieur : Les dérives de l’industrie de la mode sont de plus en plus flagrantes. Quels sont les grands impacts environnementaux à considérer ?

Majdouline Sbai : En 2014, 100 milliards de vêtements étaient vendus dans le monde, soit deux fois plus qu’en 2000. La courbe est exponentielle : on pense que l’on est aujourd’hui autour de 150 milliards de vêtements vendus chaque année. Selon les chiffres fournis par l’ADEME, la mode émet 1,2 milliard de tonnes de CO2 chaque année. C’est plus que l’aviation et le trafic maritime international réunis. L’entretien de nos vêtements synthétiques en machine relâche autour de 500 000 tonnes de microplastiques chaque année dans l’océan, soit l’équivalent de plus de 50 milliards de bouteilles en plastique.

Un impact considérable est la consommation d’eau avec l’irrigation, notamment pour le coton, et la phase d’ennoblissement. Cette dernière concerne la finition du textile, dont la teinture et le lavage. Ainsi, l’industrie de la mode est le troisième consommateur des eaux d’irrigation dans le monde. Dans la phase d’ennoblissement, on utilise aussi beaucoup de produits chimiques qui polluent les eaux et se retrouvent aussi en partie dans les vêtements.

Ajoutons à ces impacts le gaspillage lors de la découpe. Environ 15% du tissu part alors à la poubelle, ce qui constitue un énorme gaspillage de ressources. Enfin, on emballe les vêtements dans du plastique (polybag). 15% des emballages jetables dans le monde seraient, au passage utilisés par l’industrie textile. Les vêtements sont ensuite transportés sur des milliers de kilomètres. Environ 70% des textiles achetés en Europe viennent de l’Asie du sud-est, en avion ou en bateau.

Quel est le défi principal pour réduire l’impact de cette industrie ?

L’enjeu capital est de mieux connaître les impacts de l’industrie de la mode au niveau mondial. C’est une industrie très complexe et mondialisée. Il y a une diversité de produits, d’opérateurs, beaucoup de sous-traitance et une certaine forme d’opacité.

Face à cette complexité, il faut avoir une règle : rien ne se perd, tout se transforme. Il faut penser dès le début la réparabilité et la recyclabilité du produit. Et au maximum utiliser des matières recyclées pour faire de nouveaux produits. Il faut aussi développer les techniques pour optimiser les découpes et éviter les chutes. Le design des vêtements devra prendre en compte ces aspects.

En France, autour de 624 000 tonnes de textiles d’habille­ment, linge de maison et chaussures sont mises sur le marché chaque année. Soit environ 2,6 milliards de pièces. On en a collecté et trié 239 000 tonnes en 2018, avec un taux de réemploi d’environ 60%. Les 40% restant sont principalement effilochés ou transformés en chiffons d’essuyage.

Y a-t-il des fibres moins polluantes que d’autres ? Lesquelles privilégier ?

63% des fibres utilisées dans le monde sont issues de la chimie, qu’elles soient synthétiques – polyesters, acrylique et autres – ou à base de bois transformé chimiquement (le bambou, la viscose et le tencel). En parallèle, 26% des fibres sont en coton et 11% sont en matières naturelles hors coton, à savoir majoritairement laine, soie et lin.

Les matières à privilégier sont les matières réemployées et recyclées. Elles permettent d’aller la durée de vie du textile et d’éviter la phase amont de production. On sait qu’il faut réduire la part du coton qui utilise beaucoup de pesticides, ainsi que des matières synthétiques qui sont issues de la pétrochimie et relâchent des microplastiques. Mais pour le reste, la question principale demeure la traçabilité. Il ne faut pas que les fibres provoquent du déboisement et doivent être produites dans de bonnes conditions de travail. Les matières naturelles végétales qui nécessitent peu d’eau et pas de pesticides, comme le lin et le chanvre, sont à favoriser. Pour un rendu esthétique différent, le tencel peut être intéressant, mais le problème reste la traçabilité. Pour les non végans, la laine et le cuir peuvent être intéressants, mais doivent provenir d’élevages équitables, avec de l’agroforesterie.

De nouvelles matières, réalisées avec des sous-produits de l’industrie agroalimentaire, arrivent sur le marché. C’est par exemple le cas avec des épluchures d’agrumes ou du marc de café. Nous pourrions faire la même chose avec les épluchures de betteraves. Avec les enjeux environnementaux, il faut se demander quelles doivent être les matières du 21e siècle. Ce ne peut pas être les mêmes que celles d’aujourd’hui. Plein de nouvelles filières naturelles sont à créer.

Propos recueillis par Matthieu Combe


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