Cinq d’entre eux regroupent des opérateurs de la gestion des déchets ; un autre des bureaux d’études spécialisés dans l’énergie et la gestion des déchets ; la FAMAD est un syndicat qui regroupe des fabricants de matériels de collecte, et enfin le dernier syndicat regroupe des constructeurs d’usines de traitement de déchets.
Cela représente au total 257 adhérents et près de 45 000 salariés.
Ainsi, la FNADE représente l’ensemble de la chaîne de valeur de la gestion des déchets, de la collecte à la valorisation – qu’elle soit organique ou énergétique – en passant par le tri et le recyclage. Sans oublier le stockage des déchets, dangereux ou non dangereux.
Muriel Olivier, Déléguée générale de la FNADE, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur comment les acteurs des filières du déchet pouvaient s’appuyer sur la fédération pour plus de visibilité stratégique. En s’appuyant notamment sur les études menées par la FNADE, comme l’analyse prospective de la gestion des déchets à l’horizon 2050, l’étude sur l’impact de l’inclusion des UVE dans le système EU ETS, ou encore l’étude sur le modèle économique de la filière CSR.
Comment se structure le modèle économique des filières de gestion des déchets ?
Muriel Olivier : Le modèle économique de la filière de gestion des déchets se matérialise à travers les services réalisés pour le compte de producteurs de déchets, que ce soient des collectivités ou des entreprises. Il s’agit là des services de collecte et de traitement.
D’autre part, nos adhérents ont un rôle de producteurs de matières premières de recyclage (papier, plastiques, etc …), de producteurs de fertilisants à partir de déchets organiques et producteurs d’énergie à partir de déchets résiduels.
L’équation économique des activités est donc à la fois liée à une activité de service auprès de producteurs de déchets, mais aussi une activité de vente de matière ou d’énergie, pour des consommateurs industriels ou agricoles ou des collectivités locales. L’économie de la filière dépend donc de l’équilibre qui est trouvé entre les charges liées à la collecte et au traitement des déchets, et les recettes générées par la vente de matières ou d’énergie.
Quels sont les principaux axes d’amélioration de la valeur économique des déchets ?
Le premier axe d’amélioration est lié à la production de matières ou de fertilisants : il faut parvenir à produire plus, produire mieux, et optimiser les recettes dans le cadre de la revente de ce que l’on produit.
A partir d’un déchet, on va donc chercher à améliorer la quantité et la qualité de ce que l’on produit, pour optimiser les recettes financières, qui contribuent à l’équilibre économique et au coût des prestations de collecte et de traitement des déchets.
Reprenons l’exemple des fertilisants. Comment sont-ils produits à partir de déchets ?
Il y a plusieurs sources de déchets qui permettent de produire des fertilisants. Aujourd’hui ces derniers sont produits principalement à partir de biodéchets, de boues, ce qui va permettre de vendre des fertilisants, et également de l’énergie, s’il y a eu méthanisation.
La vente de ces fertilisants a un coût très variable en fonction du besoin local en fertilisants. Et du contexte géopolitique : aujourd’hui, les engrais importés sont essentiellement produits à partir de gaz. Avec le conflit en Ukraine, leur prix a beaucoup augmenté suite à la hausse des prix du gaz, et cela a entraîné une très forte croissance de la demande en fertilisants issus de déchets, qui sont une véritable alternative pour les sols et les productions agricoles.
Cet exemple peut s’appliquer à d’autres matières premières de recyclage, pour lesquelles le marché est assez volatile : la valeur des matières produites à partir de déchets va dépendre de la disponibilité et du prix des matières auxquelles elles se substituent.
Revenons à la valeur économique des déchets. Quels sont les autres axes d’amélioration ?
Sur les matières premières de recyclage, un des axes d’amélioration est de parvenir à créer un marché qui soit décorrélé du prix des matières vierges. C’est notamment vrai pour les plastiques. Quand le marché des matières vierges chute, en lien avec la baisse du prix du baril de pétrole, le prix des matières premières de recyclage devient inférieur à leur coût de production. Tout l’enjeu consiste donc à avoir un marché des matières premières de recyclage qui soit décorrélé des matières vierges.
Par exemple, nous prônons des incitations à l’incorporation de matières recyclées dans les produits, voire même à une obligation à l’échelle européenne. Cela permettrait de créer une demande et un marché différencié de celui des matières vierges.
La directive plastiques à usage unique, qui oblige les producteurs de matières plastiques à incorporer de la matière première issue du recyclage dans leurs produits, qui entrera en vigueur en 2025, a d’ores et déjà entraîné l’apparition d’un marché, qui s’est créé de manière anticipée. Cela prouve l’efficacité de ce type de mesures.
Sur l’énergie, nous avons des recettes énergétiques, puisque nous vendons de la chaleur et de l’électricité. La chaleur va permettre d’alimenter des réseaux de chaleur urbains.
Quand nous livrons de la chaleur à des réseaux de chaleur urbains, l’énergie est vendue à un prix très compétitif, défini contractuellement et décorrélé du prix de l’énergie. Ce qui constitue un avantage compétitif quand le prix de l’énergie explose, comme on a pu le constater depuis le début de la guerre en Ukraine. Le prix de l’énergie que nous sommes en mesure de fournir, lui, ne varie presque pas, puisqu’il est lié uniquement à la chaîne de valeur de la gestion du déchet. Ce prix de chaleur intéressant bénéficie aux usagers et à la collectivité.
In fine, cette équation permet donc de diminuer le prix de la collecte et du traitement des déchets, et d’offrir un prix compétitif de l’énergie.
La performance se situe-t-elle toujours aujourd’hui sur les tonnages collectés ?
C’est le troisième axe d’amélioration, qui concerne les modalités contractuelles : nous avons des contrats de performance pour la collecte des déchets entre collectivités et opérateurs. La rémunération n’est donc aujourd’hui plus systématiquement liée au tonnage, puisque le but est de faire baisser ce dernier. Le rôle de nos entreprises adhérentes va donc de plus en plus consister à accompagner les collectivités locales, sur l’amont de la chaîne de valeur du déchet : la sensibilisation de l’habitant à la réduction, l’incitation au tri à la source, la collecte.
La FNADE a mené plusieurs études, dont une analyse prospective sur la gestion des déchets à l’horizon 2030. Quels en sont les enseignements ?
Nous avons fait une étude prospective d’orientation des flux de déchets, à horizon 2030 et 2050, en partant en partie des objectifs fixés par la loi AGEC et la LTECV. Ces objectifs, concernant la prévention et le recyclage, sont traduits dans les cahiers des charges des éco-organismes, et par la mise en place de nouvelles filières REP. Nous avons essayé, en nous appuyant également sur les retours d’expériences de l’ADEME sur la filière biodéchets, d’évaluer les flux supplémentaires orientés vers le recyclage en 2030.
Cette étude montre une orientation des flux, en 2010, de 30% vers l’élimination de déchets, à 10% en 2030 et à moins de 5% en 2050. Cela confirme la forte diminution d’activité des filières de stockage de déchets non dangereux.
On voit une augmentation de 3 millions de tonnes supplémentaires de déchets orientés vers la valorisation organique d’ici 2030. Sur les 100 kg de déchets organiques dans la poubelle d’ordures ménagères à l’heure actuelle, on va pouvoir d’ici 2030 détourner 40 kg vers le recyclage organique. On voit également une augmentation du recyclage avec des matières recyclées en substitution de matières vierges, soit 5,7 millions de tonnes supplémentaires d’ici 2050.
D’autre part, ce qui est montré dans cette étude est la production d’énergie renouvelable et de récupération en substitution d’énergies fossiles : à horizon 2030, ce sont plus de 30 TWh d’énergie thermique et de gaz qui pourront être produits à partir de déchets non recyclables, soit plus du double de ce qui est produit aujourd’hui. Il nous faut conserver nos capacités de valorisation énergétique, jusqu’en 2030, puis celle-ci va baisser par la suite, car le recyclage augmentera.
Les autres études que nous avons menées découlent de celle ci.
Quels sont les constats de l’étude que vous avez menée sur le modèle économique de la filière CSR ?
Il s’agit d’une étude que nous avons effectuée en 2015 et que nous avons mise à jour en 2023, en prenant en compte l’évolution du contexte économique. En effet, en fonction du prix de vente des énergies, nous n’obtenons pas du tout les mêmes résultats dans notre équation économique entre ce qui est facturé au client producteur de déchets pour collecter, produire du CSR puis produire de l’énergie à partir du CSR, et la chaleur ou l’électricité qui peut être vendue en sortie. En 2023, les prix de vente de l’énergie issue des déchets étaient plus compétitifs qu’en 2015. Mais le conflit en Ukraine a aussi entraîné une augmentation du coût des investissements, des réactifs pour traiter les fumées, entre autres… Il fallait donc remettre à jour ce modèle économique.
En amont, le coût de collecte et de traitement doit être compétitif par rapport au prix de marché de gestion des déchets. En aval, il faut que la chaleur produite soit compétitive avec celle produite à partir d’énergies fossiles comme le gaz. La question est donc de savoir dans quelle mesure, pour atteindre l’équilibre économique entre les recettes amont et aval, il est nécessaire de soutenir la filière. On a un prix de marché en amont, un prix de vente de la chaleur en aval que l’on ne peut pas dépasser. On peut ainsi en déduire le besoin de soutien pour que la filière puisse émerger et être viable économiquement.
Ce que l’on constate, c’est que les conditions pour la filière CSR sont plus favorables en 2023 qu’en 2015. En effet, la conclusion de l’étude en 2015 faisait état de la nécessité, pour la production de chaleur et d’électricité, de tarifs d’obligations d’achat sur l’électricité pour développer la cogénération sur la filière CSR. Lors de la mise à jour de l’étude en 2023, nous avons mis en évidence qu’uniquement avec des soutiens à l’investissement, il était possible de développer de la cogénération. C’est donc une situation beaucoup plus favorable qu’en 2015, qui laisse à penser que le pari de faire de la cogénération sur la filière CSR est un levier pertinent.
Enfin, pouvez-vous nous expliquer les enseignements tirés de l’étude concernant la potentielle inclusion de l’incinération dans le système d’échange de quotas carbone européen ?
Nous avons réalisé une étude d’impact sur l’inclusion d’unités de valorisation énergétique dans le système d’échange de quotas de CO2, un peu en anticipation d’une étude européenne dont le rapport sera rendu le 31 juillet 2026..
Nous voulions avoir une démarche objective sur l’impact de cette inclusion, d’un point de vue économique, mais également en termes d’émissions. Si on fait entrer les usines dans ce système de quotas CO2, c’est avant tout pour diminuer les émissions, il est donc pertinent d’évaluer l’efficacité de ces mesures.
Cette étude comprend deux volets : un volet benchmark sur les pays européens – La Suède et le Danemark – qui ont déjà leurs usines incluses dans le système d’échange de quotas de CO2. Quand on regarde ce qui se passe dans ces deux pays qui ont mis en place ces systèmes d’échanges depuis 2013, la première chose que l’on remarque est qu’ils ont toujours autant recours à l’incinération qu’en 2013. Concernant leur taux de recyclage, il n’y a pas d’évolution notable. Les faibles évolutions du recyclage sont, comme c’est le cas aussi en France avec la loi AGEC, liées à d’autres mesures.
Finalement, on se rend compte que la mise en place des systèmes d’échanges de quotas de CO2 n’a pas beaucoup d’impact sur l’orientation des flux de déchets dans ces pays.
Au-delà du peu d’impact sur l’orientation du flux de déchets, on remarque que cela crée des difficultés dans les contrats entre les collectivités et les opérateurs parce qu’il y a une très forte volatilité du prix du CO2, notamment depuis trois à quatre ans. Du coup la répercussion du prix des quotas dans les marchés est très difficile à anticiper.
Finalement, notre étude conclut que le système d’échange de quotas de CO2 est une solution disproportionnée et inadaptée pour réduire les émissions de CO2 fossile issues de ces unités de valorisation énergétique, qui ont deux fonctionnalités, ne l’oublions pas : la première étant celle de traiter du déchet. La seconde, c’est la production d’énergie mais contrairement à l’industrie, la filière déchet ne peut pas changer ses choix de combustibles, puisque son combustible est par définition le déchet qu’elle reçoit. C’est pour cela que nous estimons que ce système n’est pas adapté pour nos filières.
Ainsi, la FNADE propose le maintien des UVE dans le système de partage de l’effort et propose de réformer le mécanisme fiscal français (TGAP) pour intégrer une composante carbone dans la taxation des OMR (Ordures Ménagères Résiduelles), car elle constitue une évolution logique et souhaitable pour faire de la fiscalité un outil incitatif à la transition écologique.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
Cet article se trouve dans le dossier :
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