Interview

« Il faut offrir un coût d’accès à l’électricité favorable pour les producteurs d’hydrogène »

Posté le 26 mars 2024
par Pierre Thouverez
dans Entreprises et marchés

La révision de la stratégie française établie en 2020 pour favoriser le développement d’une filière industrielle hydrogène compétitive, doit permettre aux acteurs hexagonaux de s’adapter à un contexte qui a évolué.

France Hydrogène est une association qui fédère quelque 460 membres ayant des activités sur la chaîne de valeur industrielle de l’hydrogène. Un écosystème en pleine effervescence depuis quelques années, suite à l’engagement national et européen sur les technologies hydrogène, le vieux continent voulant faire de la molécule le vecteur énergétique de la prochaine décennie.

La France, qui a déployé en 2020 sa stratégie pour faire de l’hexagone un leader sur les technologies hydrogène, notamment via sa capacité à produire de l’hydrogène via des électrolyseurs alimentés par l’électricité de son réseau décarboné, a révisé cette stratégie en fin d’année dernière. Un document, publié le 15 décembre 2023, a été mis en consultation et devrait être entériné dans les semaines à venir lors du Conseil national de l’hydrogène.

Christelle Werquin, déléguée générale de France Hydrogène, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur le contexte autour de la révision de la stratégie hydrogène, ainsi que les préconisations élaborées par France Hydrogène pour développer en France une filière hydrogène compétitive.

Techniques de l’Ingénieur : Dans quel cadre national et international prend place la révision de la stratégie française relative à l’hydrogène ?

Christelle Werquin : Le cadre régulatoire autour de l’hydrogène a évolué en 2023, avec l’adoption d’un certain nombre de règlements et de directives par les institutions européennes. Plusieurs décisions restent encore en suspens. Ce que nous attendons encore aujourd’hui est l’acte délégué, issu de la directive hydrogène et gaz, qui doit donner une définition de ce qu’est l’hydrogène bas carbone.

Pour la France, la qualification de l’hydrogène bas carbone est fondamentale : elle dictera la façon dont on peut faire valoir l’intérêt de notre mix électrique bas carbone, basé notamment sur l’électricité nucléaire, pour utiliser l’électricité du réseau afin de faire fonctionner nos électrolyseurs à fort facteur de charge. C’est un avantage compétitif que nous avons et sur lequel nous misons beaucoup.

Au niveau européen toujours, il y a eu un certain nombre de décisions prises ces derniers mois, notamment en ce qui concerne l’aéronautique, le maritime, qui ont permis de mettre en place le cadre qui manquait jusqu’alors.

Qu’est-ce qui a motivé la révision de la stratégie française lancée en 2020 ?

Au niveau français, la révision de la stratégie est un processus qui a été annoncé il y a plus d’un an : le motif à l’époque se situait à plusieurs niveaux. Au premier rang desquels la guerre en Ukraine, qui a généré une forte augmentation des prix de l’énergie primaire. Mais aussi l’exercice de planification écologique, à l’occasion duquel les pouvoirs publics se sont interrogés sur la disponibilité de l’électricité pour répondre à l’ensemble des besoins de la filière hydrogène. Nous avons travaillé avec le SGPE et RTE et l’ensemble des filières consommatrices d’hydrogène pour faire converger les besoins.

Il y avait aussi l’idée, à ce moment-là, de s’interroger sur l’importation d’hydrogène ou de molécules de synthèses, venant de pays qui se disent capables d’en produire en grande quantité, notamment pour l’export, à des prix très concurrentiels. C’est à cette période que l’UE a mis en place des partenariats avec l’Amérique latine, les pays du Moyen-Orient, l’Inde sur ces problématiques… La question s’est alors posée de savoir si l’importation ne représentait pas la solution pour obtenir de l’hydrogène à prix compétitif.

Quelles évolutions caractérisent la révision de la stratégie française ?

Entre décembre 2022, moment auquel la révision de la stratégie a été décidée de par l’évolution du contexte et notamment la volonté de décarboner les 50 sites industriels français les plus polluants, et la publication pour consultation de la stratégie révisée, il y a eu une grosse évolution. Nous sommes aujourd’hui sur une approche beaucoup plus globale, avec notamment un soutien accru à la production de systèmes de petite taille, chose que France Hydrogène défend depuis longtemps.

Cependant, la problématique qui nous interpelle aujourd’hui est que cette révision de la stratégie ne s’accompagne pas pour le moment de budget supplémentaire.

En effet, pour l’instant, sur les 9,2 milliards d’euros alloués au développement de la filière hydrogène via le plan national de 2020 et France 2030, environ la moitié a été déboursée ou est en passe de l’être, mais environ 4 milliards d’euros, promis en 2021 sur le mécanisme de soutien à la production, restent aujourd’hui en suspens.

Cela dit, même en comptabilisant ces 4 milliards d’euros, cela permet de financer au mieux 2 à 3 GW d’électrolyseurs. Or, pour rappel, l’objectif est de 6,5 GW pour 2030 et 10 GW en 2035. Nous sommes donc loin du compte.

En conséquence, que faut-il mettre en place pour atteindre l’objectif de 6,5 GW à horizon 2030 ?

Plusieurs réponses sont selon nous possibles. D’abord, il faut offrir un coût d’accès à l’électricité qui soit favorable pour les producteurs d’hydrogène. Au-delà des différents subsides, c’est structurellement qu’il faut permettre aux producteurs d’hydrogène d’avoir accès à une électricité à moindre coût, afin de rendre compétitive la production d’hydrogène par électrolyse. Cela fait actuellement l’objet de négociations entre l’Etat, EDF et les industriels. Il faut que les producteurs d’hydrogène aient accès à un prix du MWh électrique autour de 40 euros (une fois tous les leviers activés), pour être compétitifs.

L’autre gros sujet, que l’on retrouve à l’international, est l’écart entre les intentions de projets, qui sont énormes, et les décisions finales d’investissements, qui sont très faibles. Cela est lié à la hausse des coûts des équipements, des matières premières, mais aussi de l’incertitude sur la demande.

Cette incertitude sur la demande tient en particulier au temps qu’a mis le cadre régulateur à se mettre en place, aux contraintes règlementaires qui sont associées, ou pas, aux régulations… Il faut donc absolument savoir où se trouve la demande, pour être en mesure de la soutenir efficacement.

Enfin, la réglementation européenne ReFuelEU impose, en particulier au secteur aérien, des objectifs très contraignants quant à l’incorporation de carburants de synthèse, dont la production nécessite de l’hydrogène.

Il y a une très forte propension en France au développement de projets de production de molécules de synthèse, mais il faudrait une véritable stratégie par rapport aux e-fuels, car il y a des opportunités pour l’industrie tricolore, mais il faut rapidement se mettre en ordre de bataille.

Qu’en est-il de la mobilité hydrogène ?

Parmi les sujets associés à la demande, nous défendons en particulier le soutien à la mobilité routière à hydrogène. Pas seulement car cela correspond à une forte part de la décarbonation du secteur des véhicules utilitaires, mais aussi parce qu’en France nous avons toute la chaîne de valeur industrielle, beaucoup d’investissements ont déjà été opérés sur les équipements clés (pile à combustible, réservoirs…), les constructeurs ont été soutenus…. Il faudrait donc pouvoir continuer à développer ce segment des véhicules utilitaires légers.

Nous avons élaboré un premier plan mobilité, que nous sommes en train de réviser en ce moment, du fait de nouvelles données d’entrée de la filière auto : Pour résumer, il faut soutenir le CAPEX des véhicules, donner de la visibilité sur la TIRUERT, et soutenir le développement des infrastructures de recharge.

Sur les e-fuels, une stratégie est en cours d’élaboration, notamment avec nos partenaires du Bureau français des e-fuels, et Transport et Environnement.

Plus généralement, sur les marchés industriels, nous regardons comment travailler avec nos partenaires européens pour une transposition de la directive RED III, et notamment des articles 22a et 22b… Nous faisons de nombreuses propositions assez complexes et techniques, sur les modes d’approvisionnement, de contractualisation, afin de soutenir au mieux les producteurs d’hydrogène tricolores.

Nos actions sont peut-être un peu sous le radar en ce moment, mais un élément nous fait penser qu’il ne faut pas relâcher l’effort de la stratégie nationale. Contrairement à ce qui a été dit, on ne voit pas d’importations depuis des pays extérieurs à l’UE d’hydrogène poindre à l’horizon avant 2035/2040. Il ne faut pas compter à court terme sur des importations, ni sur l’hydrogène naturel d’ailleurs.

Propos recueillis par Pierre Thouverez

 


 

Crédit image de une : freepik


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