Utilisés dans différents domaines et notamment la certification de documents, les NFT sont inviolables, traçables et uniques. Même s’ils devraient rester un marché de niche, ils ouvrent de nouvelles perspectives. Explications avec Fanny Lakoubay, conseillère en art new-yorkaise et spécialiste des NFT.
Intitulée « The First 5000 Days », l’oeuvre de l’artiste américain Beeple a été vendue 69,3 millions de dollars le 11 mars 2021 par la maison d’enchère Christie’s. Ce record a fait la Une des médias et a permis au grand public de découvrir un nouveau marché d’oeuvres : les NFT. Les « Non-fungible token » (ou « jeton non fongible ») ne sont pas des tableaux ou des sculptures. Un NFT est un fichier informatique « gravé » dans la blockchain.
Diplômée HEC et histoire de l’art, Fanny Lakoubay est installée à New York depuis 2007. Elle a travaillé chez Artnet, une plateforme en ligne dans le secteur du marché de l’art, puis chez Christie’s. Depuis 2018, elle conseille des clients privés, des plateformes et des institutionnels dans leur découverte et leur acquisition d’art numérique et dans leur compréhension des NFT et de la Blockchain Ethereum qui est considérée comme la technologie la plus prometteuse en dehors de Bitcoin car elle permet de créer tout type d’applications.
Techniques de l’Ingénieur : Comment définissez-vous ce marché ?
Fanny Lakoubay : L’art numérique est un marché de niche même s’il existe depuis la fin des années 60. Depuis 2018, des marketplaces de NFT sont apparues comme Opensea qui liste aujourd’hui plus de 14 millions de NFT. Une petite communauté d’artistes au sens large du terme s’est également intéressée à ce format de NFT pour expérimenter différents usages. L’art fera peut-être un petit business model des NFT. Mais le vrai intérêt est de rendre les contenus internet et numériques plus rares et de voir des artistes s’emparer des nouvelles technologies pour créer des choses intéressantes. Il faut considérer les NFT comme un nouveau standard.
Pourquoi la blockchain a-t-elle favorisé le développement des NFT ?
Ce marché a en effet beaucoup mûri en l’espace de deux ans grâce à cette technologie. Dès 2017, des personnes se sont intéressées à la blockchain pour différents usages dans le marché de l’art, en particulier pour l’authentification d’une œuvre physique. Avant la blockchain, il n’y avait aucun moyen pour un artiste qui travaillait sur des fichiers numériques (comme un JPEG ou une vidéo) d’avoir des éditions limitées, une des conditions pour donner une valeur à une œuvre. Des artistes qui n’arrivaient pas à vivre de leur art commencent à y arriver avec les NFT.
Beaucoup d’acheteurs pensent qu’ils deviennent propriétaires d’un NFT. En fait, ils n’obtiennent qu’un simple droit ?
Comme pour un tableau, le copyright n’est généralement pas transféré au collectionneur. C’est la même chose avec les NFT, il y a un transfert de droit de revente. Un NFT n’est pas véritablement une œuvre par lui-même, mais un titre de propriété, un identifiant unique rattaché à un fichier numérique. C’est une série de caractères (un « hash ») sauvegardée dans la blockchain avec une série d’informations comme les transactions passées. Cet identifiant pointe vers un fichier qui est sauvegardé dans un centre de stockage décentralisé. Le but de ce dernier est de garantir la pérennité du fichier et donc du NFT même si la marketplace qui le propose disparaissait. Des services comme le réseau distribué InterPlanetary File System (IPFS) et Arweave garantissent cela. Mais c’est la version idyllique. La réalité est un peu différente. Si un jour une marketplace disparaissait et qu’elle arrêtait de payer ses factures auprès de IPFS par exemple, il faudra que l’artiste ou le collectionneur prenne le relais pour que les œuvres restent accessibles. C’est faisable techniquement, mais il y a un risque.
Comment voyez-vous l’évolution de ce marché ?
Comme tout marché de l’art, il y a des bulles et des corrections de marché. On peut le constater en ce moment avec une baisse des prix des NFT. Mais cela n’a pas beaucoup d’impacts, car les NFT sont là pour rester. Je constate aussi une multiplication des marketplaces, mais 99 % disparaîtront probablement dès que le marché deviendra plus mature ! L’art n’est qu’une des nombreuses applications des NFT et il faut surveiller les nouvelles applications, comme les cartes de collection, la musique, les jeux vidéo et bien d’autres encore.
Je vois aussi apparaître des NFT plus « intelligents » – ou 2.0 comme on les appelle aux États-Unis – pour des collaborations et expérimentations fascinantes. Mis en vente par la maison d’enchères Phillips, Replicator est l’œuvre de Michah Dowbak, alias Mad Dog Jones. Son NFT a la faculté de se répliquer tous les 28 jours. C’est le début de ce l’on peut faire en termes d’œuvre conceptuelle et numérique. Les fonds de capital-risque investissent aussi dans des plateformes afin d’avoir accès aux mondes virtuels, ou « metavers » – comme Cryptovoxels, Decentraland ou encore The Sandbox – dans lesquels les NFT sont utilisés.
Le métavers [de l’anglais metaverse, contraction de meta universe, c’est-à-dire méta-univers, NDLR] est un monde virtuel fictif décrit dans le roman Snow Crash [Le Samouraï virtuel, NDLR], paru en 1992, de Neal Stephenson.
Des joueurs peuvent y montrer leurs œuvres, mais surtout acheter des accessoires comme on le fait avec les skins dans les jeux vidéo et notamment dans Fortnite, une application parfaite pour les NFT. C’est encore rudimentaire, mais en deux ans ces mondes ont déjà beaucoup évolué. C’est dans les métavers que l’on pourra utiliser des NFT. Les prix vont fluctuer, mais la valeur de la technologie est là pour rester.
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