A l’issue de la remise d’un rapport demandé par son ministère, en 2019 à RTE et à l’AIE et rendu public fin janvier, Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, se félicite de voir qu’il est « techniquement possible d’intégrer 100% d’électricité renouvelable dans le système électrique ». Mais, même si la ministre juge qu’il s’agit d’un « moment copernicien pour le monde de l’énergie », il y a encore bien loin de la coupe aux lèvres, comme le soulignent les deux organismes auteurs dudit rapport.
Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE, avec l’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait été chargé, en 2019, par Elisabeth Borne, la prédécesseure de Barbara Pompili, d’étudier la « faisabilité technique de scénarios à très haute part d’énergies renouvelables variables » (solaire PV et éolien donc) à l’horizon 2050. Et « éventuellement 100 % », a précisé Xavier Piechaczyk, le président de RTE, lors d’une présentation à la presse la semaine dernière. Réponse : « oui c’est techniquement possible », ont indiqué en cœur les auteurs du rapport, cependant en y mettant de sérieuses conditions.
« Vu du système électrique », « sans parti pris et avec tous les moyens de productions » qui sont prévus à l’avenir, et sans étudier ni le coût, ni l’impact économique, environnemental ou sociétal, d’une telle part d’ENR dans le système électrique, c’est « faisable ». Mais, a insisté le président de RTE, cette faisabilité technique s’accompagne de quatre « familles de conditions techniques et technologiques pour que le système demeure gérable » et « ces conditions sont cumulatives » ont insisté les auteurs du document.
Compenser la variabilité pour maintenir la sécurité
D’abord, première condition, pour maintenir la sécurité du système électrique en permanence, soit le fameux équilibre offre/demande, il est nécessaire de « compenser la variabilité des ENR ». Une compensation qui doit se faire minute par minute, dans la journée, sur le mois, sur les saisons, et même sur les intersaisons, avec des années qui peuvent être plus ou moins venteuses, le rapport, visant l’horizon 2050, « prenant en compte pour la première fois l’impact potentiel du réchauffement climatique », précise Thomas Veyrenc, directeur exécutif en charge de la stratégie, de la prospective et de l’évaluation de RTE.
Pour ce faire, il faut disposer de moyens pilotables (par opposition aux moyens de production variables que sont le solaire et l’éolien). Cela suppose de la flexibilité « tous azimuts », insiste Thomas Veyrenc. C’est-à-dire, de la production pour la pointe (de consommation, via des centrales thermiques alimentée en hydrogène « vert » par exemple, ou des équipements avec de la capture et du stockage de carbone), du stockage pour répondre au court terme – des batteries stationnaires ou un recours aux batteries de véhicules électriques, le vehicle to grid (V2G) qui soient pilotables par le réseau – et aussi du stockage pour le long terme (sous forme d’hydrogène par exemple, ou de biogaz).
L’effacement et le déplacement de consommations peuvent aussi entrer dans cette catégorie, explique le responsable de RTE. Enfin, mutualiser les moyens avec les pays voisins qui ne disposent pas des mêmes horaires de pointe qu’en France implique un nouveau développement d’interconnexions avec d’autres pays.
Selon le directeur stratégie de RTE, pour la France, et en fonction de la part d’ENR que l’on entend intégrer dans le mix électrique, cela conduit à ajouter, en plus des capacités pilotables qui seront encore en présence (RTE estime que 30 GW très bas carbone pourraient demeurer en service à l’horizon 2030), « entre 40 GW et 60 GW d’ici à 2050 », juge Thomas Veyrenc… Et ce dernier d’ajouter que ce constat va entraîner trois types de questions, sur le coût de ces futurs moyens supplémentaires, leur empreinte environnementale et sociétale. Questions auxquelles le rapport RTE-AIE ne répond pas, mais qui vont faire partie du travail demandé d’ici à l’automne prochain à RTE spécifiquement.
Garder la fréquence
La deuxième condition pour parvenir à la faisabilité technique vise au nécessaire maintien de la fréquence du système à 50 hertz (Hz). Le directeur stratégie de RTE rappelle que si, à terme, il n’y a plus de centrales thermiques (de quelque origine que ce soit, dont la turbine tourne et soutien la fréquence), et uniquement de l’éolien et du PV, il existe « un consensus théorique, partagé par un grand nombre de scientifiques, de la faisabilité technique avec forte part d’ENR, mais des tests sont nécessaires à grande échelle, notamment pour des systèmes à très haute part d’ENR variables », insiste Thomas Veyrenc.
Et d’ajouter que, « 80 % en instantané, c’est possible, pour l’heure dans une petite zone fortement interconnectée », précise le responsable de RTE. Paolo Frankl, chef de la division renouvelables de l’AIE, indique ainsi que le pays le plus avancé en la matière, le Danemark, qui atteint des records (60 % d’ENR dans le mix en 2020), « bénéficie de nombreuses interconnexions avec ses voisins ». En revanche, en Irlande, dont la part des ENR est montée en instantané à 75 % en ce début d’année, cela a été bien plus difficile. Mais le pays s’était doté de réglages rapides de fréquence, via des convertisseurs spécifiques, qui permettent un ajustement quasi instantané de la production renouvelable à un écart du signal de fréquence, a-t-il ajouté. Mais c’est encore à l’état de test, a indiqué Paolo Frankl. Ainsi, si c’est possible sur une zone réduite (une île notamment) « sur une très grande zone », cela reste à démontrer, insiste Thomas Veyrenc. Et cela implique de la R&D (recherche et développement). Le rapport propose d’ailleurs une « feuille de route » en la matière.
Construire ou upgrader des lignes
La troisième condition, c’est de pouvoir « réagir à proximité des aléas sur les systèmes électriques ». Pour le responsable de la stratégie de RTE, cela conduit « à redimensionner le réseau à la hausse », et plus particulièrement s’il faut y introduire de multiples sources de solaire très largement disséminé, car ces sources n’envoient en général pas de signal en temps réel au réseau. Là encore, le rapport juge qu’une compensation possible consisterait à permettre au réseau de disposer de moyens de stockages (ce que peut faire, pour l’heure, légalement la distribution, mais pas le transport).
Mutualiser grâce aux interconnexions
Enfin, la quatrième condition réside dans la mutualisation des moyens au niveau européen. Faire des échanges entre les différentes parties du réseau au niveau de l’Europe est une nécessité. Ce qui ne constitue « pas un enjeu de coût particulièrement », insiste le directeur stratégie de RTE, mais, à l’aune des expériences passées pour construire des lignes transeuropéennes, des enjeux « d’acceptabilité, de planification et de concertation avec les parties concernées ». A titre d’exemple, le schéma décennal de RTE (les besoins de développement du réseau de transport, réalisé pour son dernier opus sur 15 ans, insiste le responsable de RTE) fait apparaître un doublement des besoins d’interconnexions d’ici à 2035…
Prendre en compte les autres paramètres
Une fois l’analyse technique réalisée, reste à prendre en compte les autres paramètres impactants (coût, acceptabilité, etc.). Le gouvernement a chargé RTE d’analyser huit scénarios électriques de long terme (quatre avec du nucléaire et quatre sans nucléaire), au-delà de 2035 (horizon 2050-2060) intégrant les impacts économiques, sociaux et environnementaux de chacun d’entre eux. Cette analyse se fera dans le contexte de la préparation de son bilan prévisionnel de l’équilibre offre/demande en électricité en 2050, a rappelé Thomas Veyrenc. La publication de ces scénarios est prévue à l’automne 2021 pour permettre d’éclairer les choix que le gouvernement aura à faire autour de 2023 sur le mix électrique au-delà de 2035, signale le ministère de la Transition écologique, à l’aune de la sortie du rapport.
RTE a d’ailleurs indiqué, en présentant son rapport conjoint avec l’AIE, que son analyse à venir est mise en consultation publique, le jour même.
Certains se sont enthousiasmés pour ce rapport sans l’avoir lu. Il montre surtout que parier sur un mix électrique à forte proportion d’éolien et de solaire est très dangereux.
Contexte : La Stratégie Nationale Bas Carbone repose sur une réduction de « près de la moitié de la consommation d’énergie finale ». En croissance économique, ce serait du jamais vu !
La consommation d’électricité serait donc constante malgré la hausse de sa part et, oh miracle, la flexibilité de la consommation apporterait de la souplesse pour l’équilibre production-consommation.
Il est écrit : « il n’existe aucune démonstration de la faisabilité d’une intégration très poussée d’EnR variables comme l’éolien et le photovoltaïque sur un grand système électrique », « il n’existe aucune expérience d’exploitation de tels systèmes à grande échelle ».
« le rapport n’examine pas la question de savoir si ces scénarios sont socialement souhaitables ou attrayants ni celle de leur coût et de leur viabilité financière. » . Donc pour l’instant on ne sait pas.
« Les technologies actuelles des onduleurs ne contribuent pas à l’inertie et ne peuvent participer pleinement à la stabilité du système » , « les solutions techniques… ne sont pas aujourd’hui disponibles ».
« à compter de 2035 il ne sera plus possible de poursuivre l’augmentation de la part des renouvelables sans développer la flexibilité de manière significative ». Donc la consommation devra s’adapter à la production, il faudra souvent couper les appareils non prioritaires…
« flexibilité considérable du côté de la demande » , « installations de stockage dédiées à grande échelle ». Concrètement il faudrait développer le power to gaz, une techno balbutiante jamais développée à grande échelle. Actuellement bien peu de croissance du stockage….
« s’interroger sur les conditions pour développer un environnement industriel permettant de porter cette ambition. » Oui compter l’argent c’est une chose, mais il faut aussi avoir des compétences et des usines, et il n’y a pas que dans le nucléaire que l’industrie a décliné…
« enjeux environnementaux (utilisation des sols, criticité des matériaux), et sociétaux (acceptabilité), que ce soit pour la flexibilité de la demande au sein des logements ou le déploiement d’infrastructures ». Oui les ENR ont des impacts environnementaux plus importants que le nucléaire !
« toute évaluation future devra se concentrer sur les coûts globaux du système plutôt que sur des indicateurs tels que le coût moyen de l’électricité par technologie (LCOE), car ceux-ci ne tiennent pas compte des coûts environnants » . Enfin !
Aujourd’hui en France « le système d’équilibrage est l’un des plus compétitifs d’Europe » . Mais il faudrait tout changer …
« Au-delà de 2030, une extension, un renforcement et une restructuration en profondeur du réseau seront nécessaires pour atteindre des parts élevées d’EnR. » Rien d’impossible mais les gens n’aiment pas les lignes HT….
On en revient toujours aux mêmes conclusions: non seulement il faudra un nombre énorme de PV, éoliennes et lignes HT, mais il faudra adapter la conso à la production donc à la météo, du stockage à grande échelle avec des techno immatures, et personne ne peut garantir un réseau stable.
Le pari sur l’avenir est donc nettement plus important sur nos capacités à construire un système reposant largement sur éolien et photovoltaïque que sur nos capacités à reconstruire des réacteurs nucléaires. Et il est faux de penser qu’un tel système est plus écologique.
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