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Interview

Iktos : le mariage de l’IA et de la robotique au service de la découverte de médicaments

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Chimie et Biotech

Start-up française spécialiste de l’IA et de la robotique appliquées au développement de nouveaux médicaments, Iktos propose d’une part une plateforme SaaS composée de plusieurs briques logicielles et destinée notamment aux laboratoires pharmaceutiques, mais se consacre aussi elle-même, d’autre part, au développement de candidats-médicaments. En juillet dernier, la jeune pousse a franchi un cap supplémentaire en annonçant l’acquisition de Synsight…

Française elle aussi, la biotech Synsight a pour sa part développé une solution basée sur des algorithmes d’IA permettant de détecter in cellulo les interactions protéines-protéines et ARN-protéines. Une technologie très complémentaire de celle d’Iktos, qui apporte à la jeune pousse – forte, désormais, de près de 80 salariés à travers le monde[1] – un moyen de réaliser des tests biologiques et, ainsi, de « boucler la boucle » en matière de développement de nouvelles molécules thérapeutiques. C’est ce que nous explique Yann Gaston-Mathé, cofondateur et P.-D.G. d’Iktos.

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous, pour commencer, nous dire en quelques mots qui vous êtes et revenir plus en détail sur la genèse d’Iktos ?

Iktos-Yann Gaston-Mathé
Ingénieur diplômé de l’École Polytechnique, Yann Gaston-Mathé est le cofondateur et actuel P.-D.G. d’Iktos. © Iktos

Yann Gaston-Mathé : Je suis ingénieur polytechnicien de formation. J’ai fait tout le début de ma carrière dans l’industrie pharmaceutique. En 2012, j’ai commencé à travailler dans le domaine de la science des données appliquée à la recherche médicale, au sens large. D’abord au sein d’une entreprise, puis en tant que consultant indépendant, à partir de 2014. C’est à ce moment-là que j’ai fait la connaissance de Quentin et Nicolas[2], les deux autres cofondateurs d’Iktos.

Chimiste de formation, Quentin a notamment œuvré dans le domaine de la science des données appliquée à la recherche de nouvelles molécules. Docteur en intelligence artificielle, Nicolas a quant à lui commencé une carrière dans le domaine de l’ingénierie informatique, tout en restant à l’affût des avancées de la recherche, notamment dans le domaine du deep learning, en plein frémissement à l’époque.

Alors qu’il était salarié au sein de la même entreprise que Quentin, Nicolas a un jour eu l’idée de mettre en œuvre des modèles d’IA générative pour les besoins de la recherche de nouvelles molécules. Cela a été le véritable point de départ d’Iktos.

Pour cela, Nicolas a mis en œuvre un modèle d’IA générative basé sur de l’apprentissage profond, qu’il a entraîné sur une base de données contenant de nombreuses molécules, afin de lui apprendre à en générer de nouvelles. C’était alors inédit, un véritable travail de pionnier.

Quentin et Nicolas se sont ensuite attelés à guider ce générateur de molécules, en utilisant des « fonctions de récompense », ou « reward functions ». En donnant un score de qualité à chaque molécule générée, cela permet d’inciter le système, lorsqu’il génère des molécules intéressantes, à poursuivre dans cette voie, ou, à l’inverse de le freiner s’il s’oriente vers des molécules non pertinentes. Tout cela a abouti à ce que Quentin et Nicolas quittent leur entreprise pour pouvoir se consacrer pleinement au développement de ce projet. C’est à ce moment-là qu’ils m’ont proposé de les rejoindre. La technologie m’a paru tellement prometteuse que j’ai accepté sans hésiter ! C’est comme cela qu’est née Iktos, en 2016.

Quelle a alors été la suite de l’histoire d’Iktos ?

Nous avons ensuite réalisé une première levée de fonds auprès de business angels, en 2017, en commençant à songer, plutôt qu’à la recherche de candidats-médicaments, au développement dans un premier temps d’une plateforme logicielle SaaS[3].

Nous avons ainsi été parmi les pionniers de ce type de solution qui, lorsque nous avons dévoilé nos premiers outils, a d’emblée suscité beaucoup d’intérêt de la part des laboratoires pharmaceutiques. Nous avons alors très rapidement abouti à de premiers succès, en épaulant des industriels tels que Servier sur des projets tout à fait concrets. Cela nous a permis de faire croître l’activité d’Iktos, toujours dans l’optique de développer cette fameuse plateforme logicielle et sa première brique technologique, baptisée Makya.

À partir de 2020-2021, nous avons commencé à réfléchir à la prochaine étape… Nous avons alors eu envie de démontrer nous-mêmes l’intérêt de notre technologie, d’aller un cran plus loin en nous lançant dans la découverte de nouvelles molécules. Nous avons pour cela lancé fin 2021 une nouvelle levée de fonds, en série A cette fois, close en 2023 pour un montant de 15,5 millions d’euros. Cela a été l’occasion pour nous d’introduire un concept technologique entièrement nouveau : une technologie de rétrosynthèse Spaya – sur laquelle nous avions commencé à travailler dès 2018. Cela nous semblait, déjà à l’époque, le complément idéal de notre technologie d’IA génératrice de molécules. Une telle technologie génère en effet indifféremment des molécules synthétisables et non synthétisables, ce qui constitue évidemment un problème majeur : aussi intéressantes que puissent être ses propriétés, une molécule n’a évidemment aucune utilité si elle ne peut pas être synthétisée, ou trop difficilement. Nous avions bien conscience de ce problème…

Nous avons ainsi commencé à développer cette nouvelle génération d’outils utilisant, pour générer de nouvelles molécules, une véritable logique chimique, et non pas simplement textuelle, à la manière d’un ChatGPT. Ceci, entièrement automatiquement, à partir d’une base de données de réactions chimiques, et toujours avec ce guide constitué par les fonctions de récompense que j’évoquais. Cela permet ainsi d’obtenir des molécules pertinentes, et synthétisables « by design ». On peut même définir des critères en matière de synthèse : restreindre à certains réactifs, disponibles par exemple à un prix donné, ou livrables rapidement, mais aussi restreindre l’espace de synthèse chimique, en excluant certaines réactions impossibles à mettre en œuvre au sein d’un laboratoire donné. Au départ réalisé assez indépendamment du reste, le développement de cette technologie de rétrosynthèse nous permet donc finalement, aujourd’hui, d’irriguer notre travail de recherche en matière d’IA générative.

Tout ceci nous a finalement conduits vers la notion d’automatisation… Nous avons alors imaginé une « plateforme » regroupant nos trois briques technologiques basées sur l’IA : notre technologie de génération de molécules Makya, cette technologie de rétrosynthèse Spaya, mais aussi, enfin, une troisième brique technologique – Ilaka – qui s’apparente en quelque sorte à un orchestrateur… Un chef d’orchestre chargé, à partir de la liste des différentes molécules à synthétiser, ainsi que de celle des différentes voies de synthèse possibles, de définir la manière la plus intelligente de combiner les deux pour pouvoir construire un plan de travail optimisé, destiné à un robot de synthèse. L’objectif étant bien sûr de maximiser la productivité de ce robot. Nous sommes ainsi les seuls, aujourd’hui, à disposer d’une telle plateforme – Iktos Robotics – permettant de prendre en charge la synthèse d’un grand nombre de molécules en parallèle, apportant à la fois un gain de productivité et de rapidité d’exécution.

Enfin, nous avons aussi fini par nous lancer dans notre propre programme de recherche de nouveaux médicaments. Nous prévoyons ainsi de dévoiler nos premiers candidats-médicaments dès le début de l’année prochaine. Nous préparons d’ailleurs désormais une nouvelle levée de fonds de 50 M€, en série B, pour poursuivre le développement de notre plateforme, qui s’annonce comme un outil révolutionnaire de découverte de nouvelles molécules thérapeutiques !

Iktos-robotique
Iktos a également développé une plateforme pilotée par des algorithmes d’IA permettant d’automatiser la synthèse de nouvelles molécules thérapeutiques : Iktos Robotics. © Iktos

Une véritable success-story… que vous devez sans doute aussi aux partenaires qui vous ont fait confiance ?

Si nous avons pu parvenir là où nous en sommes aujourd’hui, c’est effectivement parce que nous avons mené de nombreuses collaborations avec des laboratoires pharmaceutiques, qui nous ont permis de démontrer à de multiples reprises que notre technologie permettait d’obtenir d’excellents résultats, de nous forger une réputation d’excellence et de valider la pertinence de notre plateforme logicielle SaaS. Nous avons aujourd’hui plus d’une douzaine de clients de l’industrie pharmaceutique, l’un des derniers d’entre eux étant le laboratoire Takeda, avec lequel nous avons signé notre plus gros contrat logiciel à ce jour (interview réalisée mi-juillet 2024, n.d.l.r.).

Nous avons par ailleurs créé des filiales aux États-Unis et au Japon, où nous avons d’ailleurs beaucoup de clients également.

Nous avons aussi annoncé en mars dernier avoir noué un partenariat stratégique avec Elsevier, qui gère notamment une base de données de réactions chimiques très riche, issue de publications scientifiques. Nous avons ainsi co-développé un nouveau logiciel de rétrosynthèse, vendu par Elsevier, entraîné par notre technologie d’intelligence artificielle à partir des données de notre partenaire.

Vous avez annoncé début juillet 2024 l’acquisition de Synsight, société spécialisée dans l’intelligence artificielle et la robotique pour la conception de nouveaux médicaments. Quelles sont les origines de cette opération, et quelles perspectives cela ouvre-t-il pour Iktos ?

Puisque nous gravitions dans le même univers, nous connaissions depuis longtemps les cofondateurs de Synsight, Cyril Bauvais et Guillaume Bollot. Ils nous ont un jour sollicités pour discuter d’un éventuel rapprochement. Nous avons été impressionnés par la qualité de la plateforme technologique qu’ils ont développée : MT Bench[4]. Elle permet de visualiser, au sein d’une cellule, les interactions entre protéines, mais aussi entre ARN et protéines, et donc de tester les molécules susceptibles d’inhiber ces interactions. Or, ces interactions sont des cibles prometteuses dans de nombreuses maladies, telles que certains cancers ou maladies neurodégénératives. Nous avons donc décidé, comme nous l’avons effectivement annoncé en juillet dernier, de réaliser l’acquisition de Synsight.

Cela nous permet d’ajouter une ultime étape qui manquait jusqu’alors à notre plateforme : celle des tests biologiques. C’est une manière pour nous de boucler la boucle en matière de développement de nouvelles molécules. Mais c’est aussi et surtout la qualité et le haut degré d’automatisation de la technologie développée par Synsight – sur la base de brevets INSERM – qui nous a poussés à réaliser cette acquisition.


[1] Une cinquantaine à Paris, dans le XVIIe arr., auxquels s’ajoutent cinq chimistes œuvrant quant à eux au sein d’un laboratoire de chimie robotisée situé aux Ulis ; six personnes employées par la filiale américaine d’Iktos, ainsi que deux autres au Japon ; mais aussi six nouveaux collaborateurs issus de Synsight.

[2] Quentin Perron, actuel CSO (Chief Strategy Officer, responsable stratégie) et Nicolas Do Huu, actuel CTO (Chief technical officer, directeur de la technologie).

[3] Software as a service, logiciel en tant que service.

[4] Microtubule Bench technology.

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Posté le par Benoît CRÉPIN


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