Quelques mois vont encore être encore consacrés au changement de la stratégie française en matière d’hydrogène. Les grandes lignes ont été annoncées début décembre, laissant encore en point d’interrogation la question des usages dans la mobilité et le recours à de l’importation.
Élaborée en 2020, la stratégie française de production et consommation d’hydrogène devait être révisée l’été dernier. Elle ne sera finalement calée que dans la première moitié de 2024, certains sujets méritant arbitrage. La filière, réunie lors de la conférence annuelle de son association France Hydrogène, est à la fois soulagée et inquiète : les arbitrages en question pourraient ralentir certains développements en cours ; mais les mois à venir vont donner l’occasion à chacun de défendre ses positions.
Annoncée par les ministres Agnès Pannier-Runacher et Roland Lescure lors de l’inauguration de la gigafactory de Symbio le 5 décembre, les grandes lignes de cette nouvelle stratégie confirment d’abord la direction globale prise il y a trois ans : la France veut devenir productrice d’hydrogène bas-carbone en visant 6,5 GW d’électrolyse en 2030 et – c’est un nouvel objectif – 10 GW en 2035. La filière estime qu’on pourrait pousser jusqu’à 12 ou 14 GW, mais se satisfait déjà du maintien de cet élan.
Nouvelle priorité à l’industrie ?
Autre point de satisfaction : la poursuite du soutien étatique aux projets, notamment pour la production d’hydrogène par électrolyse. Celle-ci bénéficiera en effet d’une enveloppe de 4 milliards d’euros à partir de janvier 2024, distribuée par l’Ademe avec l’appui de la Commission de régulation de l’énergie. L’objectif est d’aider l’émergence du premier gigawatt d’électrolyse en France en finançant l’écart de coût entre l’hydrogène bas-carbone et l’hydrogène carboné fabriqué par vaporeformage de méthane fossile. Ce soutien va favoriser des projets prévoyant de gros volumes d’hydrogène, donc très probablement des projets industriels, pour faire baisser les coûts.
La ministre de la transition écologique a justement indiqué que la stratégie allait désormais privilégier l’industrie et la mobilité lourde. D’où une première inquiétude de la filière et des territoires qui ont porté la mobilité hydrogène légère depuis trois ans. Certes la Tiruert (taxe incitative relative à l’utilisation des énergies renouvelables dans le transport) va représenter un soutien non négligeable à cette mobilité légère, mais France Hydrogène redoute un essoufflement de ce type de projets, alors qu’il y a un vivier d’acteurs motivés par la mobilité dite intensive, c’est-à-dire à fort kilométrage (comme les taxis) ou ayant besoin de recharge rapide.
Si le pays veut disposer de volumes importants d’électrolyse et décarboner son industrie, certains secteurs à fort potentiel devraient être prioritairement visés, telles les productions d’ammoniac, d’oléfines et d’acier primaire, comme l’a défendu l’Association négaWatt lors de la publication d’une étude à ce sujet mi-octobre. Elle propose aussi que les capacités de modulation de consommation d’électricité des électrolyseurs soient valorisées comme service rendu au réseau, et les ministres ont justement annoncé que cela serait mis sur la table des discussions. Le sujet n’est pas bénin, puisque cette modulation permettrait de stocker de l’hydrogène en période de surplus pour l’utiliser plus tard, ce qui engendrerait d’importantes économies pour le système énergétique, chiffrée à 1,5 milliard d’euros par an par RTE et GRTgaz.
Interrogation sur le recours aux imports d’hydrogène
Le nouvel écosystème de l’hydrogène décarboné se met tout juste en place, aidé par un cadre régulatoire européen naissant, mais il reste encore beaucoup d’efforts à faire pour le déployer avec l’ampleur attendue et de façon pérenne. Car il ne suffit pas de construire des gigafactory, il est également nécessaire que des produits fonctionnant ou fabriqués à partir d’hydrogène soient achetés en France et en Europe. La stimulation de cette demande est encore embryonnaire, et peu facilitée par des prix élevés. C’est le cas dans la mobilité, avec des véhicules encore très chers. Pas mieux du côté des électrolyseurs, où c’est encore la Chine qui fait la course en tête avec des électrolyseurs 3 à 5 fois moins chers.
Dans la course à la compétitivité, des pays comme l’Allemagne ont déjà décidé qu’ils importeront de l’hydrogène décarboné produit à bas coût hors d’Europe. La France s’y refusait jusqu’alors, mais les déclarations ministérielles viennent d’ouvrir la possibilité d’étudier cette option. Il faut dire que des réseaux hydrogène sont déjà prévus en France avec le corridor H2Med qui va relier la péninsule ibérique à Marseille, et d’autres prévus pour longer la vallée du Rhône jusqu’à Dijon puis l’Outre-Rhin. Le pays verra-t-il transiter cet hydrogène sans en utiliser une partie ? L’intérêt économique d’importer un hydrogène décarboné moins coûteux laissera-t-il la priorité à l’enjeu d’une production nationale souveraine ? Les débats des mois à venir vont devoir se pencher sérieusement sur ces questions pour déterminer quelle voie la France veut prendre.
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