Décryptage

« L’hydrogène dans la transition énergétique » : une note technique de l’ADEME

Posté le 5 avril 2018
par Pierre Thouverez
dans Énergie

L’ADEME vient de publier le 3 avril 2018 sa note technique « L’hydrogène dans la transition énergétique ». Si le remplacement par de l’hydrogène « vert » de l’hydrogène fossile utilisé dans l’industrie, par exemple pour produire de l’ammoniac, semble aller de soi, les autres usages envisagés par l’ADEME se heurtent à des obstacles économiques significatifs.

L’ADEME mentionne dans son document l’expérimentation de l’hybridation batterie + hydrogène au niveau d’un magasin Biocoop d’Avignon ainsi que sur un site isolé sur l’île de La Réunion : « Le village de La Nouvelle, au cœur du Cirque de Mafate à La Réunion, expérimente depuis l’été 2017 un système de stockage hybride batterie / chaîne hydrogène, dans le cadre d’un projet porté par EDF SEI et le Sidélec (Syndicat d’électrification de La Réunion) et soutenu par la Direction Régionale ADEME. L’installation comprend une production PV (7,8 kWc), des batteries lithium (15,6 kWh), un électrolyseur et une pile (3 kW) et un stockage d’hydrogène (3 kg). L’ensemble permet à trois bâtiments (le dispensaire, l’école et le bâtiment de l’ONF) d’être 100% autonome en énergie. Si l’expérimentation est concluante, elle sera étendue à l’ensemble du village qui pourra alors se passer du fioul qui alimente ses groupes électrogènes. »

La batterie assure le stockage quotidien. Le système hydrogène n’intervient de son côté que pendant les longues périodes de pénurie solaro-éolienne. Ce « prolongateur d’autonomie » a donc un rôle marginal. Utiliser des générateurs thermiques classiques à leur place est bien meilleur marché. Et probablement acceptable sur le plan écologique étant donné qu’il s’agit d’usages très ponctuels.

Selon l’agence Bloomberg « pour être une solution, les coûts du stockage hydrogène devront baisser drastiquement. Un système à base d’hydrogène coûte environ 10 fois plus cher qu’un back-up à base de générateurs diesel ayant une puissance équivalente, selon une présentation de Toshiba Corp durant la World Smart Energy Week à Tokyo en mars 2017 ».

L’ADEME envisage par ailleurs de recourir à l’hydrogène pour les véhicules lourds professionnels. Ceci en phase avec la déclaration d’Emmanuel Macron du 22 mars 2018:  « Ils’agit de s’engager dans une révolution des transports en généralisant les véhicules électriques et à hydrogène et en convertissant les flottes de poids lourds au gaz. C’est une stratégie nationale que nous avons engagée. Elle doit aussi s’accélérer sur le plan Européen ». Là encore il est permis de douter. C’est précisément pour les véhicules lourds (et donc fortement consommateurs en énergie) et pour les longs kilométrages quotidiens que les véhicules électriques à batteries sont les plus pertinents économiquement. Recourir à des camions électriques à batterie sera bien plus économique que tout autre mode de transport des marchandises :   par exemple $0.85 par mile avec une flotte de camions Tesla contre $1.51 avec un train (un mile = 1,6 kilomètre). La banque Morgan Stanley estime que les camions Tesla auront un coût de fonctionnement 70% moins élevé que les camions Diesel. « Ce n’est pas seulement un suicide économique pour les camions diesel, c’est une suicide économique pour le transport ferroviaire » a estimé Elon Musk. L’analyste Adam Jonas a déclaré : « Nous pensons que les révélations de Tesla sur leur camion semi-remorque autonome et électrique de classe 8 pourraient constituer le plus grand déclencheur de l’industrie des camions et séparer définitivement les leaders en matière de technologie de ceux qui sont à la traîne ».

Selon l’ADEME, « De récentes simulations technicoéconomiques réalisées par Artelys pour l’ADEME indiquent qu’à l’horizon 2035, le système électrique (français ndlr), comprenant 64% de renouvelables, peut fournir 30 TWh/an d’hydrogène pour un coût inférieur à 5 €/kg, qui est compétitif pour des usages dans la mobilité et l’industrie. Dans ces simulations, le coût moyen de l’électricité consommée par les électrolyseurs s’établit à 42 €/MWh ».

Mais « le rendement énergétique de la chaîne hydrogène et les risques accidentels associés à son utilisation sont des questions qui font régulièrement débat. Ces débats sont légitimes, ils pointent les contraintes attachées à cette technologie, qui doivent être prises en compte dans sa mise en œuvre concrète.

L’hydrogène n’étant qu’un vecteur énergétique, il suppose une succession de transformations, entre source primaire d’énergie et énergie finale utilisée. Le rendement de l’électrolyse – permettant via un courant électrique de décomposer la molécule d’eau en hydrogène et oxygène – est actuellement de l’ordre de 70%. La compression de ce gaz est également consommatrice d’énergie, et la recombinaison de la molécule d’eau dans la pile, pour fournir de l’électricité à nouveau, se fait avec un rendement de l’ordre de 45%. Le rendement global de la chaîne, de l’électricité primaire à l’électricité utile restituée, se situe ainsi dans une fourchette de 20 à 30% selon les applications, la pression de stockage considérée, les schémas logistiques…

Pour cette raison, et dans le but d’une efficacité globale des systèmes énergétiques, le stockage électrochimique à batterie est à privilégier lorsque cela est possible. Le rendement de ce type de stockage est en effet meilleur, supérieur à 80%. Par exemple, dans le domaine de la mobilité, le véhicule électrique à batterie seule est à préférer pour les profils d’usage qui peuvent être couverts par ce type de véhicule, selon l’autonomie énergétique souhaitée, la disponibilité du véhicule requise… Le recours à l’hydrogène est à considérer lorsque cette solution n’est plus opérante ».

Jean-Gabriel Marie


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