En matière de prévention des accidents, l’arrivée massive de capteurs divers et performants peut réellement apporter des améliorations. Par exemple, les nouveaux capteurs connectés permettent un suivi en temps réel pour des machines et procédés industriels, pour la gestion et la surveillance des entrées dans des espaces sécurisé, clos ou des procédures de consignation ou pour détecter des situations dangereuses ou des accidents (collisions par exemple), ils peuvent aussi apporter des améliorations sur les machines elles-mêmes avec l’intégration d’éléments de maintenance prédictive (surveillance de dispositifs de sécurité, d’usure d’éléments critiques, analyse des pratiques et des procédures de sécurité pour retour sur la conception et/ou la formation à l’utilisation de la machine etc). Cependant, il ne faut pas négliger l’aspect cybersécurité de ces nouveaux éléments avec la possibilité pour des personnes mal-intentionnées de faire des ajustements à distance mettant en danger les travailleurs ou d’autres personnes / biens. Par exemple, des ajustements de niveaux de vitesse, de force, de changements de la programmation pour effacer des données de suivi, d’erreurs, peuvent rendre la machine dangereuse. Et face à cette menace, même si elle est aujourd’hui encore considérée comme faible car le piratage vise plutôt des moyens de récupérer de l’argent que de nuire à une entreprise ou des personnes, les normes et les outils de parade ne sont pas encore développés. Par ailleurs, cette surveillance constante peut rapidement induire des problèmes d’éthique, de respect de la vie privée et induire un stress sur le travailleur constamment sous surveillance. Ces risques émergents sont à prendre en compte lors de l’arrivée massive de nouveaux éléments de surveillance et de suivi.
Ergonomie occupationnelle : la place de l’homme et des machines
Un des principaux risques en matière de SST dans l’industrie 4.0 est celui du couplage machine/technologie et humain. Ce problème, traité par l’ergonomie occupationnelle, c’est-à-dire l’ergonomie au poste de travail, est déjà connu notamment dans les cas de travail posté sur une chaîne de fabrication où l’humain doit s’adapter à la cadence et à la conformation de la chaîne. On sait que ce genre de couplage induit des risques de surcharge physique, cognitive et psychologique et un couplage « serré » avec les machines éliminent les zones tampons (marges de manœuvre, temps de réflexion, d’analyse, d’interprétation) qui permettent à l’humain de réguler son activité en fonction des données de son environnement et de son état personnel. Cela induit généralement un appel à des capacité de réserve qui générent stress, sentiment de perte de contrôle et baisse de satisfaction vis-à-vis de son travail. La question est comment gérer la variabilité des capacités des individus ? Comment mesurer l’état du travailleur (physique et mental) face à la nouvelle situation de travail ? Et après que faire des données, comment intervenir dans le processus du travail ? Et au final, quelle place donne-t-on au travailleur : est-il un simple maillon d’une chaîne de production que l’on essaye d’ajuster au même titre que les machines qui l’entourent – en attendant qu’une machine le remplace lui aussi ?
Le développement de capteurs qui mettent le travailleur sous surveillance de ses postures va-t-il être accepté par l’opérateur ? Les mesures de corrections/compensations vont-elles être trop « autoritaires », « punitives », « moralisatrices » ? Quelles barrières éthiques se donner ? Toutes ces réflexions se nourrissent d’expériences déjà en cours où l’on avance en marchant. Le risque de ces expérimentations est aussi de transformer le « travailleur » en cobaye, lui procurant une place d’objet plus qu’une place d’humain.
Ergonomie cognitive et informatique : le travailleur limité à son cerveau
L’avènement de l’industrie 4.0 transfère une grande partie du travail des opérateurs humains vers des tâches de commandes, de suivi et de contrôle de processus.
Les compétences liées évoluent vers des capacités à visualiser des informations dynamiques symbolisées sur un écran, les analyser, les synthétiser et identifier les éléments critiques et les anomalies et prendre les décisions qui s’ensuivent et adopter les actions aux résultats. Plusieurs défis sont à relever en matière de recherche : en amont, travailler sur la présentation visuelle des données, sur la navigation et l’évaluation de l’interface humain-ordinateur (via le retour utilisateur notamment) et en aval étudier la charge mentale des opérateurs, évaluer la conscience de la situation par ceux-ci, réfléchir aux aides à la décision, aux diagnostics, au suivi. Cette évolution souligne la transformation du travail vers une sédentarisation et une virtualisation des tâches avec des risques pour la santé d’une part et des risques pour la sécurité d’autre part (l’absence de lien avec la machine de production de manière physique tend faire sous-estimer les risques, une certaine monotonie peut induire une baisse de la vigilance etc.
Les capteurs aussi pour les EPI
Mais le développement des capteurs n’a pas que des visées de surveillance, ils peuvent aussi être à la base de nouveaux équipements de protection individuelle (EPI) plus intelligents. C’est notamment toute la dynamique autour des vêtements intelligents qui est en plein essor : adaptation au froid et au chaud avec des matériaux à changement de phase, vêtements lumineux (intégration de diodes par exemple), indicateurs d’usure, soutien mécanique (dos, pieds notamment) via des exosquelettes souples. Cependant, aussi « enthousiasmant » ces développements puissent-ils être, il faut garder à l’esprit qu’ils sont généralement portés par des start-up. Les produits doivent encore faire leurs preuves sur le terrain et l’absence de normes et de méthodes d’évaluation standardisées rend difficile la mise en avant de leur éventuelle plus-value.
Cet article est principalement issu des réflexions de Yvin Chinniah, professeur titulaire de génie industriel à Polytechnique Montréal, et membres du Labo Poly Industries 4.0, lors du colloque annuel de l’IRSST en novembre 2017 : « Révolution 4.0 : à l’aube d’une nouvelle SST ? »
Cet article se trouve dans le dossier :
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