Les élus du comité central d'entreprise d'EDF ont annoncé ce lundi le lancement d'une étude indépendante sur le projet controversé de construction des deux réacteurs nucléaires EPR à Hinkley Point, en Angleterre. Les critiques fusent, Emmanuel Macron veut garder le cap.
C’est désormais officiel. Dans un communiqué, l’intersyndical d’EDF considère que de nombreux documents et réponses manquent « afin d’être en mesure de formuler un avis éclairé et motivé » sur le projet de construction des deux réacteurs EPR d’Hinkley Point. Les 20 élus du comité central d’entreprise (CCE) d’EDF ont donc voté à l’unanimité ce lundi le lancement d’une expertise externe. Celle-ci portera sur les conséquences économiques et financières du projet, ainsi que sur les aspects sociaux et organisationnels. Elle s’intéressera aussi aux aspects stratégiques, techniques et industriels, sans oublier le volet juridique du projet.
Les experts des deux cabinets mandatés rendront leur rapport courant juin. Le CCE devra alors dévoiler sa position finale au plus tard début juillet. Sachant que les syndicats d’EDF ont à plusieurs reprises demandé un report du projet de deux à trois ans, l’issue est incertaine. Mais la direction peut compter sur le soutien indéfectible du ministre de l’Economie Emmanuel Macron, fervent défenseur du projet. Il a d’ailleurs annoncé en avril dernier qu’EDF ferait part de sa décision finale d’investissement au plus tard en septembre, décision initialement attendue début mai. A savoir : pour le ministre, rien ne pourrait remettre en cause le bien-fondé de cet investissement.
Par ailleurs, le projet a récemment été remis en question par son ancien directeur financier, Thomas Piquemal, qui a démissionné le 1er mars. Il ne pouvait pas soutenir un projet qu’il juge « non faisable » et trop risqué pour les finances de l’entreprise dans les conditions actuelles, caractérisées par un effondrement des prix de marché de l’électricité.
Un projet trop cher pour EDF?
Avec une facture totale estimée à 23 milliards d’euros (contre 16 milliards prévus initialement), EDF devra apporter 66,5 % des investissements, le tiers restant étant supporté par deux électriciens chinois, CGN et CNNC. Le géant français devra donc trouver 15 milliards d’euros, soit peu ou prou, l’équivalent d’une année d’investissements pour EDF. Ce projet se ferait donc au détriment d’une transition énergétique vers des énergies renouvelables, déjà plus compétitives.
Cet investissement est-il réellement risqué ? « Qui parierait 60 %, 70 % de son patrimoine sur une technologie dont on ne sait toujours pas si elle fonctionne alors que cela fait dix ans qu’on essaie de la construire ? » alertait Thomas Piquemal le 2 mai devant les députés. Par ailleurs, l’électricien français affiche déjà une dette colossale. Et cela devrait empirer. Son résultat net est en chute libre, notamment à cause de ses dépréciations d’actifs, de la baisse des prix de marché de l’électricité et de l’augmentation des provisions à faire pour le projet Cigéo. Son résultat est passé de 3,7 milliards d’euros à 1,2 milliards entre 2014 et 2015. Or, il faudra financer les travaux de grand carénage et les futurs démantèlements, dont les coûts provisionnés ont sans doute été sous-évalués. « Quand on a 66 milliards d’euros de dettes, 100 milliards à financer dans les centrales françaises, 20 milliards à rajouter pour la Grande-Bretagne, on peut considérer qu’on est dans une très mauvaise situation », analysait Thierry Gadault, auteur du livre EDF : la bombe à retardement?, à Europe1, en mars dernier.
Mais les doutes concernant l’investissement à faire ne s’arrêtent pas là. Les experts et les médias britanniques dénoncent un prix d’achat garanti trop élevé du mégawattheure (92,5 livres sur 35 ans, soit 126 euros). Même si ce tarif peut sembler alléchant pour EDF, rien ne garantit la rentabilité du projet sur le long-terme, car le contrat ne prévoit pas d’engagements sur les volumes achetés.
Malgré tout, fin avril, le géant de l’électricité a annoncé un projet d’augmentation de capital de 4 milliards d’euros pour 2017, dont 3 milliards apportés par l’Etat, son actionnaire principal (à hauteur de près de 85 %). Ce renflouement des caisses servira à renforcer ses fonds propres et garantir ses investissements. Mais rien n’est facile en matière de nucléaire ! Greenpeace et l’entreprise britannique d’énergie verte Ecotricity estiment que cette décision s’apparente à une aide d’Etat pour financer l’EPR et les deux entités ont demandé à Bruxelles d’ouvrir une enquête. EDF avance donc plus que jamais dans le flou dans un projet qui, avant même son lancement, pourrait mener à un échec cuisant, comparable à celui annoncé à Flamanville.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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