Fondée en 2017, la start-up rennaise Heyliot a développé un capteur, Heywaste, permettant de suivre à distance le niveau de remplissage des conteneurs de déchets. Une solution qui permet d’optimiser les tournées de collecte, et qui se révèle donc synonyme d’économies mais également d’écologie.
Après avoir développé un capteur permettant de suivre à distance le niveau de remplissage de présentoirs destinés à la presse papier, Heyliot s’est finalement tournée vers un marché particulièrement porteur : celui des déchets. Grâce à son capteur connecté baptisé Heywaste, l’entreprise propose à ses clients de mesurer en continu le niveau de remplissage de leurs conteneurs de déchets. Transmises sur une plate-forme via les réseaux sans fil LoRaWAN (protocole de communication radio utilisé en IoT¹) ou SigFox (un opérateur télécom français de l’IoT), ces données sont ensuite analysées pour permettre l’envoi d’alerte et la génération de rapports. Compact et doté d’une autonomie de plusieurs années, le capteur développé par Heyliot est entièrement conçu et fabriqué localement. Son co-fondateur et actuel PDG, Cyri Pradel, nous en détaille la genèse, le fonctionnement et les différents intérêts.
Techniques de l’Ingénieur : Comment l’idée de créer ce capteur Heywaste est-elle née ?
Cyril Pradel : L’idée est née courant 2016. Avec mon ami Loïc Coeurjoly, nous avions tous les deux fait ce constat que beaucoup d’objets connectés faisaient leur apparition, mais qu’ils étaient en général très orientés « grand public ». Nous étions surpris de constater qu’il y avait finalement assez peu de produits pour les entreprises. L’un comme l’autre, nous travaillions dans les télécoms en B2B et nous avons eu cette intuition que la donnée devait aussi profiter aux entreprises. C’est avec cette idée en tête que nous avons cherché un problème à résoudre.
Le premier problème que nous avons trouvé nous est apparu pendant une soirée au cours de laquelle nous avons rencontré un éditeur de presse. Il mettait, à l’époque, à disposition dans des présentoirs des journaux et magazines immobiliers. Il nous a fait part, au détour d’une conversation, de sa difficulté à gérer ces présentoirs : les livreurs passaient toujours les remplir soit trop tôt, soit trop tard. Et surtout, il n’arrivait pas à avoir d’indicateurs sur la qualité de sa diffusion. Nous sommes donc partis de ce problème-là en cherchant une solution permettant de voir à distance le niveau de remplissage des présentoirs de journaux.
Nous avons commencé avec des petits prototypes basés sur des Arduino [plateforme de prototypage open-source, NDLR] et Raspberry [Raspberry Pi est un nano-ordinateur monocarte, NDLR]. Nous avons ensuite pu tester notre produit sur le marché avec un de nos premiers clients. Il s’agissait à l’époque d’un prototype encore très volumineux, communiquant avec une carte SIM sur le réseau GSM [pour « Global System for Mobile Communications », le standard numérique de seconde génération pour la téléphonie mobile, NDLR]. Ça n’était clairement pas exploitable à long terme. Mais cela nous a prouvé que l’on pouvait répondre au besoin.
Cette première version nous permettait simplement de savoir si le présentoir était plein ou vide… C’était très binaire. Nous avons alors commencé à discuter avec 20 Minutes, Ouest-France, Logic-Immo… Ces interlocuteurs souhaitaient quasiment connaître le nombre exact de journaux en temps réel, ainsi que le nombre d’exemplaires pris en main sur différentes périodes d’une journée. Nous sentions que nous tenions une idée. Nous avons donc décidé de rejoindre le Pôle Startups, un incubateur ouvert par Canon à côté de Rennes, qui proposait de mettre à disposition ses compétences d’ingénierie mécanique et électronique pour accompagner des porteurs de projets. Nous avons ainsi pu sortir un premier capteur, qui se plaçait au-dessus du présentoir de journaux et qui permettait de savoir très précisément combien d’exemplaires étaient disponibles.
Nous avons ensuite pivoté, changé de marché : nous nous sommes rendu compte que, malheureusement, le marché de la presse papier était compliqué. Nous avons donc préféré nous orienter vers le marché des déchets.
Pourquoi ce choix du marché des déchets en particulier ?
Le constat de base a tout simplement été celui du déclin du marché de la presse papier. Nous avons donc réfléchi à ce que nous avions construit : une solution permettant de suivre à distance le niveau de remplissage d’une boîte. Nous avons donc prospecté autour de nous, en cherchant à savoir quelles seraient les boîtes que l’on pourrait surveiller à distance. Nous avons vu des possibilités dans la logistique, dans le retail, dans l’agriculture… Mais nous avons finalement trouvé un intérêt plus particulier au marché des déchets : nous avions cette volonté de faire quelque chose de positif, d’apporter notre technologie pour améliorer un peu le monde autour de nous. Or, appliquée aux déchets, notre solution avait l’avantage de permettre d’économiser des tournées de ramassage, donc du carburant mais aussi du temps humain.
Comment le capteur que vous proposez aujourd’hui fonctionne-t-il ? Sur quels composants est-il basé ?
Aujourd’hui, le capteur fait 170 grammes, mesure un peu moins de 20 centimètres de longueur. Il est basé sur une architecture STM32. Le capteur de mesure en tant que tel est basé sur la technologie Time of flight (ToF ou « caméra temps de vol ») qui envoie des photons et mesure le temps qu’ils mettent à revenir. Quant à la transmission des données, nous utilisons un module bi-mode proposé par Nemeus qui nous permet de transmettre tantôt sur le réseau LoRaWAN, tantôt sur SigFox selon les conditions radio sur place.
Qu’est-ce qui a motivé ce choix des réseaux LoRaWAN et SigFox ?
Nous ne voulions pas faire de compromis sur les réseaux que nous allions utiliser. Par chance, nous avions à côté de chez nous cette entreprise, Nemeus, qui avait développé le premier module bi-mode IoT au monde, qui permettait donc de communiquer à la fois sur le réseau LoRaWAN et sur le réseau SigFox. Cela nous a fortement intéressés, nous sommes donc allés les voir et nous avons travaillé conjointement à la conception de ce capteur. L’intérêt des réseaux que nous avons choisis est qu’ils utilisent des basses fréquences, avec de longues portées. Aujourd’hui, nous nous apercevons que nous n’avons ainsi quasiment pas de problèmes de couverture. Fin décembre 2021, nous avons par exemple installé des capteurs dans des conteneurs situés au pied du Mont-Blanc, dans une zone assez encaissée, et pourtant notre parc d’une centaine de capteurs fonctionne très bien.
Nemeus n’est par ailleurs pas la seule entreprise locale avec laquelle vous avez collaboré…
Nous sommes très, très fiers de la fabrication entièrement bretonne de notre capteur. Nous avions toutes les entreprises nécessaires à proximité ! Un bureau d’étude mécanique à dix minutes de chez nous, notre fabricant-intégrateur, Ouestronic, se trouve également dans notre région. Les boîtiers plastiques sont quant à eux produits en Auvergne.
Côté alimentation électrique, quelle solution avez-vous retenue ?
Nous avons opté pour une pile, remplaçable facilement. Sur un cycle classique, qui consiste en une mesure par heure, et un envoi des données toutes les quatre heures, elle tient entre quatre et cinq ans. Nous avons beaucoup travaillé sur l’aspect low power du capteur. De plus, nous utilisons les voies descendantes des réseaux IoT pour envoyer une information à notre capteur, typiquement la reconfiguration des timings de mesure. Nous cherchons à optimiser la durée de vie de cette pile, en étant capables d’adapter le cycle de mesures en fonction de la sollicitation des points d’apport de déchets. Un point au bout d’une route ne sera pas forcément aussi sollicité qu’un point situé en plein centre-ville…
Le capteur fonctionne-t-il avec tous les types de conteneurs et tous les déchets ?
Nous avons pu le tester sur différents flux de déchets : ordures ménagères, emballages, verre, textile, pneus… Nous avons même fait des essais sur des cuves de méthaniseur. Nous avons été surpris de voir que le capteur était même capable de mesurer des niveaux d’eau, chose qui est normalement assez compliquée. La seule limite reste les environnements ouverts, en plein soleil, ce qui n’est généralement pas le cas pour les conteneurs de déchets.
Une fois acquises par le capteur puis transmises par le module radio, que deviennent les données ?
Le gros du travail consiste à traiter ce signal brut, qui arrive sur une plate-forme que nous avons développée. Nous avons en effet fait en sorte d’embarquer le minimum d’intelligence nécessaire dans le capteur pour éviter la surconsommation d’énergie. Tout le traitement des mesures brutes est donc déporté sur la plate-forme. Son rôle est de calculer, grâce à un algorithme, le niveau de remplissage d’un conteneur à partir de ses dimensions. Nous avons également des algorithmes qui travaillent à lisser les courbes, pour faire en sorte que les mesures présentées à nos clients soient des mesures qualifiées. Cela permet de leur présenter l’état de leur parc, avec un système de cartographie présentant l’ensemble des points selon un code couleur qui est fonction du remplissage. Le client a aussi la possibilité d’être alerté si un contenant dépasse un certain niveau de remplissage.
Certains clients souhaitent également planifier leurs tournées. Par exemple : effectuer le ramassage de tous les conteneurs d’emballage situés dans un périmètre donné et remplis à plus de 60 %. La plate-forme va alors leur fournir une liste de tous les points concernés, une sorte de feuille de route pour le chauffeur du camion de ramassage.
La plate-forme a la capacité de générer des rapports avec des indicateurs clés, comme le niveau moyen de remplissage avant collecte. C’est un aspect que nos clients regardent de près, en cherchant à se rapprocher des 80, 90 %. J’ai constaté cela en rencontrant un collecteur, qui passait auparavant les deux tiers de son temps à stationner, sortir du camion, simplement pour vérifier le niveau du conteneur. C’est du temps perdu, et des émissions polluantes évitables…
Hormis les gestionnaires (mairies, collectivités…), pourrait-on imaginer de rendre ces données disponibles pour les usagers ?
C’est fortement souhaitable ! Nous travaillons avec quelques collectivités qui sont des figures de proue de l’open data, Rennes notamment. Nous avons déjà aujourd’hui des modules qui permettent à nos clients d’accéder à leurs propres mesures (nous ne sommes pas propriétaires de la donnée), mais également, grâce à notre API², de communiquer avec des logiciels tiers, notamment des plates-formes d’open data, qui permettent d’indiquer aux usagers le niveau de remplissage des conteneurs.
Combien de capteurs avez-vous aujourd’hui déployés ? Pour quels types de besoins ?
Nous en sommes aujourd’hui à environ 1 800 capteurs. Nous avons globalement deux segments de clientèle, le premier étant les collectivités, le second les entreprises privées. Les collectivités ont souvent des besoins autour de la résolution des problèmes de propreté dus à des débordements. Cela peut notamment être lié à des phénomènes de saisonnalité, comme c’est le cas, par exemple, à La Rochelle, qui connaît une forte affluence l’été.
Nous travaillons aussi sur des points d’apport éloignés, difficiles d’accès, comme au pied du Mont-Blanc. Un autre exemple est celui de la communauté de communes du Pays-de-Mortagne, un territoire très vaste, sur lequel il faut optimiser le ramassage des conteneurs en évitant les déplacements inutiles.
En ce qui concerne les entreprises privées, nous avons soit des clients directs, qui font eux-mêmes leurs collectes de déchets et qui veulent les optimiser à la manière des collectivités, mais aussi des entreprises qui travaillent pour des collecteurs, des personnes qui font de la propreté en entreprise…
La France est-elle votre seul marché ? Quels sont vos objectifs en matière de déploiement de capteurs ?
Les réseaux de transmission que nous utilisons nous permettent de passer facilement les frontières. Nous avons ainsi déjà quelques capteurs en Suisse, en Belgique, en Espagne, ainsi qu’aux Pays-Bas. Nous avons pour objectif, en 2022, de déployer un peu plus de 7 000 capteurs.
Quel est le prix du capteur ? Un abonnement est-il nécessaire pour accéder à la plateforme de traitement des données ?
Nous vendons le capteur 129 €, prix d’entrée sans achat en volume. Un abonnement à 5 € par mois et par capteur intègre ensuite toute la connectivité et l’accès à la plate-forme, avec l’ensemble des fonctionnalités : alertes, rapports…
Quelles sont vos perspectives d’évolution pour les mois et les années à venir ?
Nous avons plutôt vocation à rester sur le secteur des déchets. En revanche, nous allons continuer à améliorer le capteur, à le rendre plus résistant, plus communicant aussi. On voit bien aujourd’hui que la capacité du capteur à prendre beaucoup plus de mesures par jour que nos concurrents est un avantage. Quand eux se limitent à deux ou trois mesures quotidiennes, nous en prenons 20 à 30 fois plus, ce qui permet d’apprendre beaucoup plus de choses. Le tout avec la même consommation d’énergie. Nous allons maintenant développer la partie analyse des données, proposer un conseil plus poussé à nos clients.
Le capteur va aussi évoluer pour être compatible avec les nouveaux réseaux, notamment NB-IoT et LTE-M, qui font partie des nouveaux réseaux IoT arrivant dans plusieurs pays. Cela nous permettra, demain, de traverser encore plus de frontières et d’aller encore un peu plus loin avec le capteur.
(1) Internet of things, internet des objets
(2) Application Programming Interface
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