Le programme Angels, qui a vu le lancement de son prototype le 18 décembre dernier, est le symbole d’une filière française qui cherche à passer un cap supérieur.
Et ce cap, c’est la capacité à proposer des débouchés commerciaux grâce aux nouvelles applications que permettent l’usage de nanosatellite(s).
Pour Techniques de l’Ingénieur, Nicolas Multan a accepté de revenir sur l’histoire – récente – de Hemeria, ex Nexeya, et sur l’aventure démarrée avec le CNES, qui a pour finalité la mise en orbite d’une constellation de 25 satellites, Kinéis, en 2022.
E.T.I : Expliquez-nous comment a émergé Hemeria, qui est aujourd’hui l’acteur français majeur de la filière nanosatellites ?
Nicolas Multan : Il y a deux histoires qui se rejoignent et qui aboutissent à ce qu’est Hemeria aujourd’hui.
Il y a d’abord la genèse de l’aventure nanosatellites chez Nexeya, puis la genèse d’Hemeria à proprement parler.
L’idée de produire des nanosatellites à des fins industrielles et commerciales est née en 2009. A l’époque, les projets de nanosatellites donnaient de bons résultats, mais uniquement sur des thématiques étudiantes et scientifiques. L’approche, assez novatrice, a été de se dire que ces petits satellites pourraient offrir des débouchés au monde de l’industrie et du privé.
Nous avons alors développé plusieurs programmes de recherche et de développement, financés par les pouvoirs publics – BPI, régions, métropole – et qui nous ont permis de créer la base d’un consortium avec différentes sociétés, dont Nexeya était le pilier.
A partir de là, nous avons avancé doucement jusqu’à la mi-2016, où nous avons eu la chance de convaincre le CNES de lancer un programme de filière nanosatellites française. Le CNES s’est approprié l’idée et a décidé de lancer le programme Angels.
Ce programme a été contractualisé avec Nexeya au mois de mars 2017, et a abouti au lancement de Angels le 18 décembre dernier. Ce lancement et le démarrage du projet Kinéis marquent la volonté du CNES de constituer une véritable filière française du nanosatellite et cela a été déterminant.
Pour finir, début octobre 2019, Nexeya a été vendue. A cette occasion, certaines activités – spatial, vol, dissuasion nucléaire – ont été exclues du deal et ont été transférées au sein d’un nouvelle société, Hemeria. Hemeria, en tant qu’intégrateur, est aujourd’hui le fer de lance de la filière française des nanosatellites.
Comment avez-vous travaillé avec le CNES sur le programme Angels ?
Pour nous, il s’agissait de trouver des débouchés à nos programmes de développement. Nos discussions avec le CNES nous ont permis de nous mettre d’accord sur le développement par Hemeria d’un démonstrateur.
A partir de là s’est mis en place un tout nouveau mode de fonctionnement entre l’agence nationale et un industriel. En effet, le CNES a été à la fois spécificateur du besoin, mais a également oeuvré en codéveloppement avec nous sur la réalisation d’Angels. Jusqu’à 8 experts du CNES ont intégré les équipes d’Hemeria et ont challengé les propres spécifications du CNES, dans le but de mener à bien ce projet, dans des délais deux fois plus courts que ce qui est préconisé pour ce type d’entreprise… Au final, nous avons développé un satellite entièrement en deux ans et demi, du jamais vu.
D’autre part, les équipes du CNES qui ont spécifié le programme Angels et celles qui ont intégré nos équipes étaient indépendantes. C’est un approche tout à fait innovante.
Comment se comporte Angels depuis son lancement ?
Angels a été mis en orbite le 18 décembre dernier. Il fonctionne bien, s’oriente bien… nous avons allumé la charge utile il y a une semaine (le 8 janvier), et cette charge fonctionne. Il s’agissait pour nous d’une deuxième étape de validation très importante et qui nous permet de dire aujourd’hui qu’Angels est un satellite bien né.
Une deuxième version du logiciel de vol doit être injectée au mois de mars et va rendre le satellite définitivement opérationnel. A partir de là, Angels pourra intégrer dès l’été prochain la constellation Argos – constituée de 6 satellites – opérée par CLS, une filiale du CNES. Le but étant, d’ici 2022, de remplacer l’actuelle constellation de satellites qui opèrent Argos par la constellation Kinéis composée de 25 nanosatellites.
Les analyses réalisées sur Angels vont-elles être utiles pour améliorer ce que seront les satellites de la constellation Kinéis ?
Angels est un démonstrateur opérationnel. Il faut qu’il fonctionne au moins deux ans. Comme c’est un prototype précurseur, toutes les informations que nous allons tirer de son fonctionnement vont alimenter le développement en cours de la constellation Kinéis. Un satellite de la constellation Kinéis aura des gènes d’Angels, mais sera profondément revu, car il s’agira d’un produit industriel avec une durée de vie de huit ans. Et dont la vocation ne sera plus scientifique mais commerciale.
Au-delà du programme Angels, quelle est la stratégie d’Hemeria sur le marché des nanosatellites ?
Il n’est pas exagéré de dire qu’aujourd’hui Hemeria est le pilier de la filière nanosatellites française. En tant que intégrateur fédérateur, Hemeria anime une communauté d’environ 15 entreprises qui intègrent de près ou de loin la filière française.
Kinéis représente bien sur un gros enjeu pour nous dans les années qui viennent, puisque nous devons livrer 25 satellites d’ici 2022.
Au-delà, nous avons signé avec Thalès d’un côté et Airbus de l’autre des lettres d’intérêts mutuels, qui nous permettent d’organiser régulièrement des comités de direction pour challenger les opportunités du domaine des nanosatellites. Cela nous a amené à développer des partenariats très pertinents sur des offres IoT et d’observation.
Le second point est la thématique de militarisation de l’espace. Une des étapes consiste à mettre des guetteurs en orbite géostationnaire, projet qui intéresse au plus haut point Hemeria.
Enfin, nous répondons à des appels d’offre à l’international en adoptant une stratégie ToT – Transfer of Technology – puisqu’il s’agit aujourd’hui d’une nécessité. Cet accompagnement local fait partie du package proposé par Hemeria sur l’export.
Propos recueillis par P.T
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