Sur la base d’une technologie brevetée, qu’elle a elle-même contribué à améliorer, Heatself produit des câbles chauffants possédant des propriétés variables en fonction des conditions thermiques auxquelles ils sont soumis. Pour ce faire, la TPE normande utilise une matrice à base de polymères qu’elle additionne de particules conductrices, et ce dans des proportions très précisément définies, mais aussi dans des conditions physiques de mélange qu’elle est l’une des seules à maîtriser.
Forte de ce savoir-faire, Heatself a ainsi, à la demande de Forvia, transposé cette technologie innovante à des films chauffants, destinés cette fois à être répartis au sein de l’habitacle de véhicules électriques, dans des zones telles que le tableau de bord ou les accoudoirs, donnant ainsi vie à un système de régulation thermique autonome et « intelligent ».
Après avoir développé une ligne pilote en interne, l’entreprise normande qui consacre une bonne partie de son temps – outre la production – à des activités de R&D a réalisé il y a peu ses premiers essais de mise en œuvre en conditions réelles, sur des lignes industrielles automobiles. Une montée en échelle tant sur le plan des cadences que de la taille des films produits : d’une épaisseur de 400 microns, les liners développés par Heatself peuvent atteindre une largeur de deux mètres.
À la tête de l’entreprise, Philippe Paul Bert nous livre une partie des secrets de ce projet mené avec l’appui de NextMove et soutenu financièrement par un prêt à taux zéro octroyé par la Région Normandie et Bpifrance.
Techniques de l’Ingénieur : Quelle est la genèse de Heatself ? En quoi son savoir-faire consiste-t-il ?
Philippe Paul Bert : Heatself a été créée en 2011. Dès ses débuts, l’entreprise s’est concentrée sur deux axes de travail principaux : un premier axe très spécifique, centré autour de la fabrication de câbles chauffants, et un second axe plus orienté « services », consacré à la R&D.
Nos câbles chauffants sont fabriqués à base de polymères hautement techniques, que nous produisons entièrement en interne : nous disposons d’une unité de production du matériau en tant que tel, mais aussi des équipements nécessaires à sa mise en œuvre par extrusion, pour donner naissance aux câbles que j’évoquais. Ces câbles chauffants ont des propriétés variables en fonction des conditions thermiques ambiantes. Avec cette technologie, nous donnons vie à des dispositifs destinés notamment à maintenir en température des procédés industriels. En cas de variation de température dans l’usine, dans l’atelier, dans l’environnement du process, les câbles réagissent à cette variation et adaptent automatiquement la puissance électrique à dissiper pour maintenir le procédé à une température constante. Ceci sans besoin d’électronique additionnelle : le câble lui-même est un composant électronique.
Comme je le disais, nous avons aussi, en plus de cela, une importante activité de recherche et développement. Nous avons par exemple été sollicités par l’Agence spatiale européenne (ESA) qui nous a demandé de participer à une réflexion portant sur le développement de nouveaux éléments chauffants pour maintenir en température des satellites, notamment. Cette collaboration a débuté en 2012 et se poursuit toujours actuellement. L’objectif que nous visons conjointement est de rendre les satellites – qui sont soumis à d’importantes variations de température – complètement autonomes sur le plan de la gestion thermique, et ce sans pilotage électronique, grâce à notre matériau capable de répondre à son environnement.
Qu’est-ce qui, dans les polymères qui les constituent, permet de conférer aux câbles leurs propriétés de régulation ? Quelles sont les origines de cette technologie et comment avez-vous, vous-mêmes, contribué à son évolution ?
Nous sélectionnons une matrice – un polymère vierge – dans laquelle nous ajoutons des particules conductrices. Notre savoir-faire mêle donc matériaux et procédés. Il repose en effet à la fois sur la sélection de cette matrice vierge, sur le choix des particules conductrices, mais aussi sur le procédé de mélange, de mise en œuvre. Quand je dis « procédé », cela signifie donc que nous maîtrisons un ensemble de paramètres : températures, vitesses, forces de cisaillement… Nous nous appuyons pour cela sur des notions de physique des polymères. La quantité de particules et la façon dont elles sont injectées permettent de conférer au matériau ses capacités de gestion thermique intelligente. Il n’en faut ni trop ni trop peu : il nous faut trouver un entre-deux qui permette d’obtenir un matériau plus ou moins conducteur selon les paramètres ambiants. C’est un vrai jeu d’équilibre… Et c’est le matériau lui-même qui joue les chefs d’orchestre : il s’autopilote, s’autorégule, sans intervention de capteurs et de calculateurs externes.
Le matériau en lui-même a été découvert il y a une trentaine d’années, par des Américains. Ce sont donc eux qui sont à l’origine de l’activité que nous réalisons. Nous sommes très peu dans le monde à maîtriser cette technologie de fabrication. Les brevets de base sont dans le domaine public, mais nous avons nous-mêmes déposé deux brevets : un premier portant sur l’efficacité de la transmission de la chaleur – diminuer les déperditions est synonyme d’économies d’énergie – et un second portant sur la transposition de la technologie sous forme de films.
L’ESA nous a aussi demandé de faire de notre matériau un capteur de température, de le rendre capable de remonter des informations thermiques. L’objectif est, avec un câble de dix mètres par exemple, que l’intégralité de cette longueur de câble constitue un capteur de température et non pas un simple point de mesure ciblé. Nous travaillons ainsi beaucoup avec le secteur spatial, notamment avec le CNES, outre l’ESA. Le secteur aéronautique nous sollicite également pour ce type de développement, cette fois dans l’optique d’intégrer nos câbles devenus capteurs dans les moteurs d’avion, et ce afin d’obtenir des profils de température.
Enfin, nous travaillons également avec l’industrie automobile. C’est en effet ce secteur – et plus particulièrement l’équipementier Forvia – qui nous a demandé de mener une réflexion sur le développement non pas de câbles, mais de surfaces chauffantes autorégulées. L’essor des véhicules électriques implique en effet le développement de moyens permettant d’optimiser le confort thermique de l’habitacle, sans toutefois pouvoir exploiter la chaleur d’un moteur thermique. Les constructeurs ont donc pour objectif d’intégrer des éléments électriques dans l’habitacle, en les répartissant dans plusieurs zones : le tableau de bord, la portière, les accoudoirs… Tout en faisant en sorte que le système soit autonome et qu’il permette une « intelligence » de la chauffe. Cela représentait un vrai challenge, et nous avions, pour tout vous dire, au départ quelques doutes quant à la faisabilité du projet… Nous y sommes toutefois parvenus et avons abouti au développement d’une ligne pilote en interne. Nous avons même pu réaliser nos premiers essais de mise en œuvre sur des lignes industrielles automobiles, avec des cadences bien supérieures et des tailles de films – ou liners – bien plus importantes : jusqu’à deux mètres de largeur, pour une épaisseur de 400 microns… ! Nous avons encore énormément de travail à réaliser sur cet aspect, mais la technologie est d’ores et déjà viable économiquement, ce qui constitue le critère numéro 1 dans le domaine automobile.
Cette expérience est pour nous très positive et met en lumière un fait : le secteur est tout à fait capable de travailler avec de petites structures telles que la nôtre, qui réalise 700 000 € de chiffre d’affaires annuel. En France, cet aspect n’est pourtant pas suffisamment perçu, je pense. Pour que ce partenariat réussisse, nous avons fait preuve d’empathie : nous nous sommes mis à la place de nos partenaires équipementiers. Nous avions en effet tout à fait conscience du handicap que peut représenter, pour ces grands groupes, une petite structure telle que la nôtre. Le jeu en vaut pourtant la chandelle, y compris pour nous : ces grands groupes ont une vision qui peut porter très loin…
En outre, ce projet ouvre des perspectives d’applications dans d’autres domaines : aéronautique pour du dégivrage, spatial pour des surfaces chauffantes destinées à des satellites, voire médical, pour des couveuses destinées aux nouveau-nés prématurés par exemple, ou encore le maintien en température autonome de poches de sang et de sérum physiologique.
À quelles échéances toutes ces perspectives d’applications pourraient-elles selon vous se concrétiser ? Quel impact le Trophée NextMove que vous venez de recevoir pourrait-il avoir sur ce plan ?
Pour les applications dans l’automobile, cela ne dépend pas de nous. Nous sommes dans l’attente des décisions qui seront prises par les industriels. C’est aussi pour cela que nous cherchons également à travailler sur d’autres applications, avec des volumes potentiels sans doute moins importants, mais qui nous permettent en tout cas de mieux maîtriser notre destin.
Nous poursuivons cependant bien volontiers nos travaux de R&D dans le domaine automobile, un secteur où la compétition est grande, avec une concurrence technologique venant des États-Unis et d’Asie. Pour nous, l’automobile est un secteur très structurant, car l’innovation doit être économiquement viable et robuste industriellement parlant.
Nous sommes par exemple toujours en discussion avec Forvia, mais aussi NextMove, qui nous a demandé de mener une réflexion autour des matériaux durables. J’étais, je dois le reconnaître, au départ un peu sceptique, mais l’idée commence à faire son chemin… Nous sommes en train de construire un programme visant à transposer les bases de nos solutions techniques vers des matériaux durables. Nous espérons ainsi passer de 0 % à 70 voire 100 % de matières biosourcées ou issues du recyclage en l’espace de deux à trois ans. Le prix NextMove que nous avons reçu nous encourage d’ailleurs à poursuivre dans cette voie, qui nous a déjà permis de développer une conscience autour de la diminution des impacts carbone et environnementaux. Nous souhaitons vraiment faire partie des « colibris » : faire ce que nous sommes en mesure de réaliser à notre échelle. Nous sollicitons nos fournisseurs, mais aussi nos partenaires industriels, afin qu’ils nous éclairent sur les tendances, le chemin à suivre. Ils ont en effet pour beaucoup d’entre eux emprunté certaines voies avant nous, et les écouter nous permet de gagner du temps. Tout cela vaut bien entendu pour l’industrie de la mobilité au sens large – automobile, ferroviaire, aéronautique – mais aussi pour le spatial. Cet aspect environnemental devient un axe presque aussi important à nos yeux que les propriétés intrinsèques de nos matériaux.
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