Il y a un an, François Hollande, après l’annonce de la perte record d’Areva sur l’exercice 2014 (4,8 Md € tout de même et 6000 suppressions de poste en conséquence), prophétisait qu’il y aurait une nouvelle stratégie industrielle pour la filière nucléaire française. Une filière qui ne compte pas pour du beurre : 2500 entreprises et 220 000 salariés et dans laquelle l’Etat joue un rôle crucial d’orientation bien sûr mais surtout de financement. Mais la crise est profonde et touche tous les chaînons : de l’extraction de l’uranium à la gestion des déchets, en passant par la sûreté.
En amont, Areva minée par l’uranium
Présente sur presque tous les continents Areva n’en reste pas moins une entreprise très ancrée en France : les deux tiers de ses 45000 salariés y travaillent. Mais la recapitalisation en cours aujourd’hui est l’aboutissement de choix stratégiques et d’investissements hasardeux. Tel que l’affaire Uramin, un rachat de gisements d’uranium en Afrique qui se sont révélés complètement sur-évalués et ont fait perdre 2,6 Md € au groupe tout en exposant au grand public les pratiques douteuses des responsables d’Areva (voir la nouvelle enquête publiée par Mediapart).
Sur un autre plan, les travailleurs locaux d’Areva commencent aussi à se faire connaître, tel ce groupement d’anciens ouvriers des mines au Gabon qui ont exigé le 23 janvier dernier une indemnisation au titre des fortes radiations reçues lors de l’exploitation des mines. (voir cet article du journal gabonais info241). Le tout dans un marché de l’uranium excédentaire depuis la catastrophe de Fukushima en mars 2011.
Areva démantelée, EDF récupère les réacteurs
C’est mercredi 27 janvier que la nouvelle filière française du nucléaire a été décidée officiellement : EDF rachète pour 2,5 Md € la branche réacteurs et services d’Areva (Areva NP) et l’Etat recapitalise Areva à hauteur de 5 MD€. Aussitôt la bourse applaudit, le titre grimpe de plus de 30%. Mais rien n’est encore gagné. Il faut trouver d’autres investisseurs – sinon, l’opération risque d’être recalée par la Commission européenne – les deux pistes principales évoquées pour l’instant sont koweitienne et chinoise.
Enfin, une autre difficulté reste à régler : celle de l’EPR finlandais dont EDF refuse d’assumer la charge. En effet, cet EPR a déjà 9 ans de retard et a coûté 3 fois son prix de départ atteignant les 8 Md€. Fin janvier, les gouvernements français et finlandais ont donné 1 mois à Areva et TVO (l’industriel finlandais) pour régler leur litige financier. EDF a déjà suffisamment à faire avec ses propres projets d’EPR.
EDF peut-il tenir encore ?
En ce mois de janvier, EDF a confirmé 3350 suppressions de postes. Mais cela ne représente qu’une goutte d’eau au vu de l’argent nécessaire pour renflouer le groupe : 37 Md € de dette et des besoins d’investissements faramineux : 55 Md € pour les travaux de maintenance et de mise à niveau des centrales nucléaires d’ici à 2030 (si l’ASN vote pour les prolongations), 16 Md€ pour le projet d’EPR britannique d’Hinkley Point et la demande en augmentation constante pour mettre en place la gestion des déchets. On peut comprendre les craintes des syndicats qui ne veulent plus prendre le risque Outre-Manche. D’autant que l’EPR français de Flamanville est lui aussi menacé de ne jamais voir le jour : les anomalies trouvées sur la cuve pourraient obliger à tout détruire et reconstruire : Impensable !
Le nucléaire scientifique patine aussi
Les EPR, ITER ne sont pas les seuls projets qui prennent l’eau. Le réacteur de recherche du CEA, le RJH (réacteur Jules Horowitz) a aussi plombé les comptes de la DCNS : 100 millions de perte sur 2015 pour le groupe naval. Il faut dire que la facture globale de ce réacteur est passé de 630 M€ à près d’1,4 Md€ entre 2007 et 2015. Quant à la mise en service prévue pour 2016, ce sera plutôt 2022…
Et si la sûreté passait à l’as ?
C’est la plus grande crainte de Pierre-Franck Chevet, président de l’autorité de sûreté nucléaire (ASN). Tout d’abord car les autorités de contrôle et de surveillance que sont l’ASN et l’IRSN estiment de pas avoir les moyens de leur mission : le gouvernement a débloqué 30 postes là où l’ASN en réclame 200. Et devant la charge de travail, les contrôles ne pourront porter que sur les installations en fonctionnement et pas sur les nouvelles. Une situation qui ne serait pas forcément pour déplaire à EDF qui, comme le suggérait Mediapart en juin 2015, aurait mis comme condition du rachat d’Areva un assouplissement des exigences de l’ASN vis-à-vis des anomalies trouvées à Flamanville.
Sans oublier le trou de la gestion des déchets
Les citoyens, oubliés du nucléaire ?
A l’heure de la démocratie participative, des espaces de discussion au travail, la filière du nucléaire, pour laquelle le contribuable va encore payer (via des hausses de tarifs, d’impôts ou des coupes claires dans d’autres secteurs), reste assez hermétique à la participation du public. Une position que voudrait faire évoluer l’ASN. L’autorité a ainsi ouvert aux citoyens les commentaires sur ces projets de décisions et Pierre-Franck Chevet a clairement évoqué l’idée de faire participer les Français à la décision ou non de poursuivre la durée de vie de certaines installations en 2018.
Sophie Hoguin
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