Depuis fin mai, une nouvelle fonctionnalité est apparue chez certains utilisateurs américains de YouTube : le « Video Quality Report ». Dès lors qu’une vidéo met du temps à charger ou que sa qualité est trop faible, une bannière indiquant « Difficile de lire cette vidéo? Découvrez pourquoi » apparaît sous la vidéo. En cliquant dessus, ces utilisateurs découvrent le classement des meilleurs (et des pires!) fournisseurs d’accès à internet (FAI) pour regarder YouTube.
Les opérateurs y sont classés en 3 catégories : « YouTube HD garantie » pour les opérateurs offrant une lecture fluide de vidéos haute définition en streaming (720p minimum), « définition standard » pour les opérateurs offrant un visionnage sans difficulté en résolution standard (360p) et « basse définition » pour les opérateurs ne permettant une lecture des vidéos de moyenne définition qu’à renfort de coupures.
Google indique gentiment à l’utilisateur le débit de son FAI, mais aussi ceux de ses concurrents qui permettent une meilleure lecture de ses vidéos dans son quartier.
Quelles sont les explications de Google ?
Sur le site dédié, Google explique que les FAI jouent un rôle important « en amenant la vidéo à travers leur réseau jusqu’à votre maison ». « Ils doivent s’assurer d’avoir une capacité suffisante pour transporter les données de YouTube. Dans le cas contraire, la qualité de vos vidéos en souffrira », précise-t-il. Mais le géant de l’Internet reconnaît que la qualité de la vidéo peut aussi diminuer si votre connexion Wi-Fi est mal configurée, si trop d’appareils sont connectés simultanément à Internet, ou encore lors des pics d’utilisation d’Internet.
Ainsi, YouTube délivre un message simpliste signifiant grossièrement « Si le chargement est long, c’est sûrement à cause du faible débit réservé à YouTube par votre fournisseur d’accès; si vous souhaitez améliorer ce débit, vous pouvez changer de fournisseur, d’ailleurs on vous en propose quelques-uns ! « . En conseillant implicitement de se tourner vers les opérateurs qui privilégient YouTube dans l’allocation de leurs bandes passantes, Google met directement la pression aux opérateurs pour que ceux qui ne le font pas encore priviligient, à leur tour, YouTube afin de garder leurs clients.
Avant même l’arrivée de ce dispositif en France, Orange critique déjà une fonctionnalité partisane, incomplète, vague et sans garantie d’indépendance. En effet, cet indicateur ne concerne que YouTube et pourrait laisser penser aux utilisateurs que cela vaut pour l’ensemble des sites Internet. Mais, un FAI avec un bon débit sur YouTube délivre-t-il aussi un meilleur débit sur l’ensemble des autres sites? Est-il plus ou moins fiable? Un tel jugement doit être réservé à un observateur indépendant et non à un acteur privé.
Que recherche YouTube avec ce dispositif ?
Cette fonctionnalité sert à peser dans un débat qui fait rage depuis quelque temps et oppose les éditeurs de contenus et les FAI. En somme, la question est assez simple : les gros éditeurs de contenus, nécessitant une bande passante importante doivent-ils payer plus que les autres sites web ? C’est notamment le cas des sites de Streaming, comme YouTube et Netflix. Les FAI estiment que ces éditeurs doivent participer financièrement pour les aider à accroitre leurs capacités. Mais le géant Google ne l’entend pas de cette oreille : pour lui, c’est aux fournisseurs d’accès de prendre en charge les travaux nécessaires, les utilisateurs les payant pour avoir accès convenablement aux sites web.
En filigrane, c’est le principe de neutralité du Net qui est remis en cause. Ce principe garantit l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Ce principe exclut ainsi toute discrimination ou avantage accordé à un site web et à son flux de données.
Ce débat pose plusieurs questions. Les autres fournisseurs de contenus vont-ils accepter d’être délaissés au profit de YouTube et autres gros éditeurs de contenus ? Si YouTube y parvient, il est certain que d’autres sites emboiteront le pas pour être avantagés à leur tour. Il faudra alors s’attendre à ce que les plus petits sites soient défavorisés, faute de moyens pour payer.
Aux Etats-Unis, les opérateurs Verizon et Comcast sont parvenus à faire payer Netflix et YouTube pour bénéficier d’une meilleure bande passante sur leur réseau.La neutralité du Net semble donc bien être compromise…
En France, Free dans le collimateur de YouTube?
Si Google gagne cette bataille, ce sont bien les utilisateurs qui devront payer les travaux. Xavier Niel, patron de Free, précisait en avril 2013 à 01Net Magazine qu’il ne comptait pas se laisser faire. « Si on ne fait pas ça aujourd’hui, les abonnements vont grimper de 5 à 15 euros par mois, juste pour payer le surplus de la bande passante de Google. Mieux vaut une petite crise des débits maintenant que des prix élevés demain. Chaque jour, j’espère qu’on aura la solution. En attendant, on ne bride l’accès à personne, mais on arrête l’escalade : on a un tuyau d’une certaine taille pour le trafic de Google et on n’en rajoute pas » , expliquait-il. Une crise qui dure donc… et qui devrait s’amplifier lorsque YouTube lancera son offensive en France.
Free avait même été accusé de brider l’accès à YouTube. En janvier 2013, l’Arcep ouvrait une enquête sur cette affaire. En juillet, il concluait qu’il n’avait remarqué « aucune pratique discriminatoire ». Alors, comment cette fonctionnalité sera-t-elle adaptée en France et Free sera-t-il classé parmi les « YouTube basse définition » ? Réponse certainement bientôt, le site indiquant que « Les résultats pour votre localisation ne sont pas encore disponibles. SVP, revenez bientôt ».
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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