L’autorisation européenne du glyphosate expire le 30 juin prochain. Le 8 mars 2016, la Commission européenne a proposé de prolonger l’homologation du glyphosate pour quinze ans. Elle n’a pas obtenue la majorité qualifiée des Etats membres,représentant au moins 65% de la population de l’Union Europénne. Le 19 mai, la Commission proposait de prolonger l’homologation du glyphosate pour 9 ans : même son de cloche, la proposition n’a pas été adoptée. La Commission a alors essayé un dernier tour de passe-passe : adopter une autorisation provisoire de la molécule pour 18 mois, le temps que l’agence européenne des produits chimiques (Echa) rende une nouvelle expertise, censée clore le débat. Là encore, la majorité qualifiée n’a pas été obtenue. La France, l’Allemagne, l’Italie, la Grèce, l’Autriche, le Portugal et le Luxembourg se sont abstenus, seul Malte a voté contre. Les vingt autres pays ont voté pour, mais ne représentaient que 52% de la population de l’Union.
La société civile française se sent trahie. Alors que Ségolène Royal, ministre de l’environnement, avait annoncé qu’elle s’alignerait sur la position la plus protectrice de la santé et de l’environnement, la France s’est simplement abstenue. « Il était plus difficile de rassembler sur un vote contre plutôt que sur une abstention, s’est-elle défendue. En outre, il fallait aussi prendre acte des avancées de la Commission, qui ne propose plus qu’une ré-autorisation de douze à dix-huit mois, alors qu’elle proposait quinze ans il y a quelques mois ! »
La Commission européenne devrait avoir le dernier mot d’ici quelques jours. Selon des informations du Monde, « la Commission pourrait passer outre un vote négatif en comité d’appel et prendre la responsabilité d’une réautorisation provisoire, assortie de restrictions ». Une situation complexe dans un contexte de défiance vis-à-vis des institutions européennes. Mais un soulagement pour les Etats membres qui n’auraient pas à assumer la responsabilité de cette réautorisation.
Les pays européens deviennent schizophrènes : d’un côté les agriculteurs militent pour la prolongation de l’homologation du glyphosate, de l’autre leurs populations sont de plus en plus sensibles aux risques sanitaires des pesticides. Pour complexifier le tout, les experts scientifiques se divisent de plus en plus sur la toxicité du produit.
Comment est née la polémique ?
En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a jeté un pavé dans la mare agricole en classant le glyphosate comme « cancérogène probable sur l’homme ». Cette classification a été établie à partir d’un « nombre de preuves limité » chez les humains et de « preuves suffisantes » chez les animaux de laboratoire. Mais l’expertise scientifique est souvent divergente. Quelques mois plus tard, en novembre 2015, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) jugeait le caractère cancérogène du glyhosate « improbable ». L’indépendance des experts au sein de l’Efsa est souvent remise en question par les organisations de la société civile en raison de conflits d’intérêts supposés ou avérés. Des plaintes ont même été déposées à Paris, Berlin et Vienne, à l’encontre des experts européens, accusant ces derniers de tromperie.
Comment deux agences peuvent-elles aboutir à des conclusions si diamétralement opposées? Le Circ a entrepris son évaluation en ne se basant que sur des études publiées dans la littérature scientifique évaluée par les pairs. De son côté, l’Efsa a pris en compte ces mêmes études, mais aussi les dossiers présentés par les industriels, dont les données ne sont pas publiques. L’agence a néanmoins recommandé pour la première fois de définir des limites d’exposition maximale à la molécule, à la fois pour les professionnels et les consommateurs. Par ailleurs, l’Efsa n’a analysé que la substance active, tandis que le Circ se penche aussi sur le glyphosate associé à des adjuvants, évaluation réservée aux Etats membres dans la législation européenne.
La controverse scientifique était née. Celle-ci a vite été récupérée par les organisations environnementalistes qui ont profité de la dispute d’experts pour demander l’interdiction du produit au nom du principe de précaution. Pour Foodwatch, la Ligue contre le cancer et Générations Futures : « Il faut protéger la santé des citoyens et appliquer strictement le principe de précaution inscrit dans nos textes européens et donc ne pas renouveler l’autorisation ». Leur campagne connait un large écho dans l’opinion publique. Une pétition adressée au commissaire européen par ces trois organisations a déjà rassemblé plus de 155.000 signatures. Pour sa part, une pétition lancée par Avaaz plus de 2 millions de signatures contre l’utilisation du glyphosate. Une vidéo de l’ONG We move Europe, s’opposant à la réautorisation du glyphosate, a été vue plus de 5 millions de fois sur Facebook. La pétition associée a récolté plus de 270.000 signatures. Enfin, un sondage conduit par l’institut YouGov dans les cinq plus grands pays de l’Union montre que plus des deux tiers des personnes interrogées s’opposent à la réautorisation du glyphosate en Europe.
Par Matthieu Combe, journaliste scientifique
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