Sur la base d'une technologie de rupture mise au point par le CNES, Geoflex développe une offre de service dite « d’hypergéolocalisation », permettant un positionnement par satellite d’une précision absolue atteignant quatre centimètres, et ce en temps réel, n'importe où dans le monde : sur terre, en mer et dans les airs jusqu'à 25 000 km d’altitude. L’entreprise vient d’annoncer une levée de fonds de 6 millions d’euros, qui devrait notamment lui permettre d’accélérer son développement commercial.
Officiellement née en 2012, Geoflex a tout d’abord connu une phase de maturation, qui s’est poursuivie jusqu’en 2016, année de la signature d’un contrat de partenariat avec le CNES. Le Centre national d’études spatiales est en effet à l’origine, après plus de douze ans d’efforts, de la technologie « PPP » (Positionnement Ponctuel Précis) à laquelle fait appel Geoflex pour développer son offre de services. L’entreprise ambitionne en effet de se positionner en tant qu’opérateur d’augmentation GNSS : elle compte commercialiser, sous forme d’abonnement, un service de correction d’erreurs visant à augmenter drastiquement la précision de systèmes de navigation satellite conventionnels tels que le GPS ou Galileo. Romain Legros, PDG de Geoflex, nous en dit plus sur l’entreprise qu’il a cofondée, et nous détaille le fonctionnement de la technologie qu’elle met en œuvre, ainsi que ses applications.
Techniques de l’Ingénieur : Comment résumeriez-vous, en quelques points clés, la genèse de Geoflex ?
Romain Legros : L’aventure a pris naissance à partir d’un démonstrateur scientifique de la technologie, qui a été mise au point par le Centre national d’études spatiales (CNES). Les fondateurs de Geoflex, dont je fais partie, étaient déjà impliqués dans l’amélioration de la précision de la localisation par GNSS[1] depuis quelques années. En 2014, nous avons vu arriver ce démonstrateur technologique du CNES comme une véritable innovation de rupture.
J’avais, pour ma part, à l’issue de mes études, créé le 4e opérateur mondial du secteur, qui s’appuie sur une technologie – le RTK[2] – nécessitant de nombreuses infrastructures au sol, en l’occurrence 200 stations permanentes, rien qu’en France. Ces installations sont en effet indispensables à la prise en compte, sur tout le territoire métropolitain, des erreurs affectant les mesures GNSS.
Le démonstrateur CNES, quant à lui, se basait sur une technologie permettant une précision équivalente, mais avec seulement une centaine de stations à l’échelle non pas française, mais mondiale ! Nous nous sommes donc penchés sur cette innovation et avons fabriqué les premiers récepteurs capables de fonctionner de concert avec ce démonstrateur.
Nous avons ensuite mis en place une feuille de route de développement technique et commercial, et nous sommes allés à la rencontre du CNES, pour leur montrer les résultats que nous avions obtenus. Cela nous a amenés à signer, en 2016, un contrat de partenariat, qui a fait de nous l’opérateur de cette technologie du CNES.
L’aventure Geoflex a dans un premier temps maturé, puis a connu un véritable départ en 2016 avec la signature de ce contrat.
Cent stations terrestres dans le monde, contre deux cents auparavant rien qu’en France, pour le même niveau de précision… Quels sont les « secrets » de cette technologie CNES sur laquelle vous avez bâti Geoflex ?
Avec les technologies qui existaient auparavant, on ne pouvait pas expliquer toutes les erreurs qui affectaient les mesures GNSS. On ne faisait que des interpolations en réseau : on prenait en compte les erreurs mesurées par ce réseau de deux cents stations, et on interpolait en fonction de la distance pour définir l’erreur affectant chaque utilisateur. On savait voir, mais pas expliquer.
Le CNES est arrivé avec de l’explicabilité : il a décomposé toutes les sources d’erreurs affectant les mesures de positionnement satellite. Il en existe en effet deux grandes familles : des erreurs globales, liées aux satellites, et des erreurs locales, liées aux récepteurs et à la traversée de l’atmosphère par les signaux. Le CNES est parvenu à distinguer les deux.
On peut modéliser les erreurs globales à partir d’un réseau d’une centaine de stations seulement au niveau mondial. Ces stations permettent notamment de modéliser les erreurs d’orbite des satellites. Reste ensuite à mesurer la distance entre satellite et récepteur. Cette mesure de distance se déduit à partir de la mesure du temps de parcours. Il faut donc également modéliser les erreurs d’horloge des satellites pour avoir une mesure correcte du délai de propagation du signal. De notre côté, nous collectons toutes ces données sur nos datacenters, où notre intelligence logicielle nous permet de modéliser toutes les erreurs liées aux satellites : erreurs d’orbite, d’horloge… mais aussi des erreurs induites par des phénomènes tels que la dilatation thermique des câbles au sein même du satellite, qui affecte, elle aussi, la propagation du signal.
Nous diffusons ensuite ces corrections d’erreurs satellites dépendantes vers les utilisateurs dans un format standardisé. Ces utilisateurs sont, par exemple, des intégrateurs fabricants de récepteurs GNSS. Ils n’ont ensuite plus qu’à synchroniser ces corrections aux mesures de leurs récepteurs, pour en améliorer la précision. Cela est réalisé par la brique logicielle dont ils sont dotés, le « moteur de positionnement », qui permet aussi de corriger les erreurs d’horloge du récepteur lui-même ainsi que les effets de la propagation atmosphérique du signal électromagnétique provenant des satellites.
Toutes ces modélisations et corrections très fines permettent ainsi d’atteindre, in fine, une précision de localisation de quelques centimètres. Tout cela a nécessité plus de 12 ans de recherche pour le CNES.
Quelles sont les applications offertes par cette technologie ? A-t-elle éventuellement d’autres intérêts encore que ceux de la précision et de la faible contrainte en matière de stations au sol ?
L’étendue de ces applications est quasiment infinie. Dans le domaine professionnel, cela permet, globalement, de mieux conduire des opérations de terrain, qu’il s’agisse d’agriculture, de BTP… Cela peut également se révéler utile pour les systèmes d’aide à la conduite de véhicules, comme l’assistance au maintien dans la voie. Ce type de fonction est en effet, pour l’heure, assuré principalement par des technologies optiques, des caméras qui détectent le marquage au sol. Or, si ce marquage est effacé, peu visible, les systèmes de vision sont inopérants. Ce type de fonction n’est donc disponible – en moyenne – que 40 % du temps de trajet. Si on y ajoute une brique technologique GNSS augmentée telle que la nôtre, on atteint en revanche quasiment les 100 %… Cela pourrait ainsi contribuer, à terme, à faire émerger les véhicules 100 % autonomes. Nous avons d’ailleurs remporté en 2021 les championnats du monde du véhicule autonome de Dubaï.
Toujours dans le domaine automobile, un grand nombre de services géolocalisés pourraient aussi bénéficier de la technologie : dématérialisation du péage et du paiement des parkings, prime d’assurance personnalisée…
Au niveau des intérêts de la technologie, un autre grand avantage qu’elle offre, par rapport, par exemple, au RTK, est qu’elle fonctionne certes sur terre, mais aussi en mer et dans les airs, jusqu’à 25 000 km d’altitude, là où orbitent les satellites GNSS. La technologie peut donc être utile à d’autres satellites, tels que ceux utilisés pour les télécommunications ou l’imagerie…
Quel est le niveau de maturité de la technologie à laquelle vous faites appel ? Quelles pistes explorez-vous prioritairement en matière d’applications ?
Après la signature de notre accord avec le CNES en 2016, nous avons abouti à une première version industrielle de notre service. De 2018 à 2022, nous avons réalisé des démonstrations pré-opérationnelles auprès d’un certain nombre d’intégrateurs. Nous avons notamment rencontré des intégrateurs-métier tels que la SNCF, pour voir ce que notre technologie pourrait apporter au secteur ferroviaire. Nous avons ainsi lancé un programme de 3 ans avec la SNCF pour tenter d’intégrer la technologie dans ce domaine. Ce programme a été un franc succès ! Il ouvre ainsi la voie à la suppression de tous les équipements permettant de détecter le passage des trains, situés pour l’heure en bord de réseau. L’économie potentielle sur les coûts d’investissement et de maintenance des lignes se situe aux alentours de 40 %. C’est considérable. La localisation précise des trains pourrait aussi permettre de les rapprocher et donc d’augmenter leur fréquence de passage. Les enjeux globaux sont eux aussi considérables : on parle-là de plusieurs millions d’euros au kilomètre.
Nous avons par ailleurs réalisé des démarches similaires dans six autres domaines applicatifs, notamment le maritime, l’agriculture, l’automobile, la construction… Tout cela nous a permis de faire croître la robustesse de notre technologie et de prouver aux intégrateurs qu’elle fonctionne.
Forts de ce parcours, nous entrons désormais dans une ère industrielle. Nous allons véritablement pouvoir développer notre métier d’opérateur de service. Nous avons pour cela reçu le soutien de trois nouveaux actionnaires : trois grands groupes du CAC 40 – Bouygues, Stellantis et Thales – qui ont investi pas moins de 6 millions d’euros et qui sont eux-mêmes candidats à l’utilisation de notre technologie. Nous finalisons par ailleurs des contrats d’intégration avec trois grands fabricants de récepteurs, qui vont graver notre technologie logicielle directement dans le silicium de leurs chipsets[3] GNSS.
Si je prends l’exemple du domaine automobile, on pourrait ainsi voir les premiers véhicules bénéficiant de notre technologie arriver sur le marché d’ici 3 ans, et même dès 2024 en réalisant une opération de rétrofit sur des véhicules existants, pour leur apporter de nouveaux services.
Pour quel modèle économique comptez-vous opter ?
Plusieurs schémas de go to market sont possibles. On peut imaginer packager le coût de l’abonnement à nos services avec le prix d’achat du récepteur. Cela nous semble pertinent pour le marché de masse. Pour des applications à forte valeur ajoutée, nous envisageons de proposer des services plus élaborés, avec des contrats de support, sous forme d’abonnement.
Plus globalement, notre objectif est véritablement de nous positionner en tant qu’opérateur, sans vendre aux utilisateurs finaux, mais en passant par des intégrateurs, afin de massifier le déploiement de notre technologie.
[1] Global Navigation Satellites Systems : GPS américain, GLONASS russe, BEIDOU chinois et GALILEO européen.
[2] Real Time Kinematic
[3] Jeu de puces
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