« CRISPR-Cas9 », est une enzyme qui a fait basculé le débat sur les dérives du génie génétique du plan théorique à celui d'une pleine réalité. Les possibilités qu'elle semble offrir ne cessent d'alimenter un débat éthique sur les risques d'eugénisme.
« CRISPR-Cas9 », à prononcer « crispeur casse 9 », a été élue innovation scientifique de l’année 2015 par le magazine Science. Évidemment. Depuis 2012, cet outil de génie génétique a ouvert la porte à des manipulations de l’ADN faciles, rapides, efficaces et peu coûteuses. Faisant entrer le génie génétique sur l’homme dans une ère pré-industrielle. Mais qu’importe les techniques, nos sociétés ne savent toujours pas comment affronter les espoirs transhumanistes que la manipulation du génome porte en elle. Et encore moins comment encadrer d’éventuelles dérives eugénistes.
Pourquoi CRISPR-Cas9 est-elle révolutionnaire ?
Sur le principe l’outil CRISPR-Cas9 n’a rien de réellement nouveau. Il s’agit ni plus, ni moins qu’une enzyme de restriction (enzyme découpeuse d’ADN) comme le génie génétique en utilisait déjà (telles que les nucléases à doigts de zinc -ZFN- ou les nucléases TALEN – Transcription activator-like effector nucleases). Ce qui est révolutionnaire, c’est la simplicité d’utilisation : là où il fallait fabriquer des protéines spécifiques pour chaque gène ciblé avec les autres nucléases, il faut avec Cas9, juste fabriquer de l’ARN (il est transporté sur la partie CRISPR). Et ça on sait le faire dans les labos du monde entier. Du coup, le temps de travail est divisé par 4 et les coûts divisés par 10.
Du génome des bactéries aux embryons humains
Avec autant d’avantages, la technique s’est disséminée à la vitesse de l’éclair. Dès le début 2013, plusieurs équipes ont réussi à supprimer des gènes choisis dans des cellules humaines. En outre, Cas9 a été amélioré pour pouvoir non seulement couper, mais aussi remplacer l’ADN coupé par un autre, ou encore booster son expression, voire l’inhiber. CRISPR-Cas9 est devenu le « couteau suisse de la génétique ». En trois ans, la technique est testée dans le monde entier sur des bactéries, des animaux, des végétaux. En 2014, elle est utilisée avec succès sur des souris atteintes de tyrosinémie (maladie génétique du foie) et sur des embryons de souris atteints de la myopathie de Duchenne. En 2015, plusieurs équipes balayent le tabou de la manipulation d’embryon humain. Notamment une équipe chinoise qui publie ses résultats en avril 2015. Relançant le débat éthique autour du génie génétique.
Sur l’homme, la technique balbutie !
En réalité, si CRISPR-Cas9 a permis de produire des vaches sans cornes ou des moustiques résistants au paludisme (non encore relâchés mais déjà au cœur d’un débat écologique et éthique de grande ampleur), en ce qui concerne l’homme, la technique ne semble pas faire beaucoup mieux que ses consœurs avec un taux d’échecs encore très important. Notamment des effets « hors cibles » c’est-à-dire des changements induits sur d’autres parties que celles ciblées, avec des effets secondaires que l’on ne sait pas évaluer mais souvent délétères voire mortels. En effet, les thérapies géniques, qu’elles soient effectuées sur des cellules somatiques ou germinales sont encore balbutiantes du point de vue de la sécurité et de la fiabilité d’emploi : en Europe, un seul médicament a été autorisé en 2012 et dans le monde, un autre est utilisé en Chine depuis 2004. Avant de pouvoir proposer des traitements de masse, il reste beaucoup de chemin à parcourir.
Manipuler l’homme, faire évoluer l’espèce
En Europe, la recherche sur les embryons humains est strictement encadrée. Elle ne doit pas avoir pour finalité un traitement par exemple. Ces précautions louables sont cependant vaines face à notre monde globalisé : rien qu’au Japon, en Chine ou en Inde, cela n’est pas illégal. Et aux États-Unis seule la recherche sur fond public est limitée. Les scientifiques continueront de chercher et de trouver. Dans un premier temps, les barrières éthiques risquent de tomber facilement : qui dira non à la manipulation, y compris transmissible, quand il s’agira de prévenir des maladies graves comme la mucoviscidose ou les myopathies ? Dès lors, on pourra s’habituer au fait de changer notre génome, d’influer sur l’évolution de l’espèce. Et même si la complexité de notre génome fait que le fantasme transhumaniste du « bébé à la carte » est encore irréaliste, les manipulations déjà possibles aujourd’hui n’en questionnent pas moins notre humanité.
« Rester l’auteur de sa propre vie »
Pour le philosophe allemand Jürgen Habermas, il est essentiel de limiter les possibilités d’eugénisme des parents sur l’enfant à naître. Sous peine de créer des hommes qui, prenant connaissance des manipulations dont ils ont fait l’objet, se sentent limité dans leur liberté, dans le sentiment d’être l’auteur de leur propre vie. Ouvrant aussi par là la porte à des conflits familiaux prévisibles entre ce que les parents voulaient pour leur enfant, ce qu’ils ont prévu pour lui et ce qu’il voudra lui, dans le contexte imprévisible de son propre environnement et de sa propre biographie.
Les limites culturelles de l’eugénisme positif
Pour se défendre des dérives eugénistes des régimes fascistes du Xxe siècle, certains penseurs ont développé l’idée d’un eugénisme positif : une amélioration des hommes via la reproduction contrôlée mais en n’enlevant que les « traits négatifs », en encourageant ceux « souhaitables » et bien sûr en laissant le choix et la vie à ceux qui ne les possèdent pas. Mais sur quels critères définir ces caractéristiques « négatives ou souhaitables » ? Certains handicaps doivent-ils forcément être éliminés ? Il semblerait que les intéressés n’y soient eux-mêmes pas favorables, comme l’illustre un article de Nature qui donnent, pour une fois, la parole aux malades. Il s’agirait dès lors de réussir à faire évoluer les mentalités humaines vers plus d’acceptation de la différence, de la diversité. A la source même de la vie et de la créativité. Plutôt que d’essayer de tout normaliser, contrôler, maîtriser.
Par Sophie Hoguin
La technique CRISPR-Cas9 induit des mutations qui échappent à la maitrise comme le montrent les expériences animales. Il est donc essentiel que la frontière éthique préserve d’une transmission mutante mal ciblée à la descendance. Dans le cas contraire, nous perdrions le sens de l’être humain et la richesse de la diversité humaine. Inversement, les avancées thérapeutiques sur des cellules non reproductrices peuvent être source de signes positifs pour la recherche. Les chercheuses elles-mêmes à l’origine de cette technique insistent aussi sur l’importance d’une telle frontière pour son utilisation.
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